à l’écoute

Le second concert de la saison de l’OPS associait les noms de Maurice Ravel et de Sergueï Prokofiev dans de grandes œuvres de la première moitié du 20ème siècle. Placé sous la direction de son chef Aziz Shokhakimov, l’orchestre accueillait le pianiste français très réputé, Bertrand Chamayou.


Bertrand Chamayou
©Marco Borggreve

A l’écoute de ce concert, et après celle d’un bon Daphnis et Chloé de Ravel et d’une prodigieuse Fantastique de Berlioz durant la saison dernière, on finit par se demander si Shokhakimov, le jeune directeur de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, n’est pas plus à l’aise dans la musique française qu’avec les compositions russes dans lesquelles il a pourtant du baigner très tôt durant sa formation. Toujours est-il que, si la seconde partie du concert dévolue à Ravel s’est révélée fort bonne, la première consacrée à cette grande partition qu’est la cinquième symphonie de Prokofiev s’avéra plutôt décevante. Dans le magnifique andante initial, s’ouvrant de façon poétique telle une promesse de l’aube conduisant vers une conclusion glorieuse et prométhéenne, l’orchestre peine à décoller, la texture sonore systématiquement épaisse et les phrasés d’une raideur constante empêchent la grande ligne de se faire entendre. Le souffle épique qui soulève la fin de ce premier mouvement passe presque inaperçu, enseveli sous des percussions d’une lourdeur inappropriée. Dans le prodigieux allegro marcato qui lui succède, on eût aimé que le côté à la fois vif, cinglant, rauque et moderne de l’écriture soit bien mieux souligné ; et que la nostalgie grave et lyrique qui traverse ensuite le troisième mouvement adagio soit davantage présente. Seul l’allegro giocoso conclusif semblait enfin approcher la vitalité de cette œuvre.

Pour le concerto en sol de Ravel, chef d’oeuvre pianistique de la musique française, on avait donc invité Bertrand Chamayou, pianiste particulièrement renommé dans ce répertoire. C’est l’occasion de rappeler que l’une des plus grandes versions discographiques de ce concerto fut enregistrée ici même à Strasbourg dans les années 1970 par la pianiste Anne Queffelec, dans un style très poétique et expressionniste, magnifiquement soutenu par l’orchestre d’Alain Lombard. C’est une toute autre approche que nous a fait entendre, le soir du 4 octobre, Bertrand Chamayou. Dès les premiers accords et jusqu’aux notes conclusives, il aura fait valoir une conception rapide et concentrée, toute en dentelles, assez minimaliste au plan sonore et fort retenue sentimentalement parlant. Elle n’en fit pas moins entendre de très grandes beautés musicales, tout à fait présentes pour les auditeurs du bas mais dont il n’est pas sûr qu’elles se soient propagées jusqu’aux rangées les plus hautes de la salle. Quoi qu’il en soit, on fut également heureux d’entendre l’orchestre de Shokhakimov déployer une palette sonore subtile et raffinée, en accord parfait avec le jeu pianistique. En guise de bis, Chamayou nous offrit une Pavane pour une infante défunte dans une approche sobre et dépouillée, similaire à celle du concerto.

Depuis bientôt un siècle qu’on le joue, l’archi-célèbre boléro aura suscité toutes les approches possibles imaginables, des plus effervescents et entraînants jusqu’aux dramatiques et quasi-tragiques en passant par les séducteurs, captieux et envoutants mais aussi d’autres se cantonnant dans une expression sobre et mystérieuse, à l’instar du témoignage laissé par Ravel lui-même dans son enregistrement. C’est à ce modèle-là qu’il faut rattacher la très bonne et très belle exécution proposée, le soir du vendredi 4, par Shokhakimov et l’orchestre, témoignant du niveau de ses instrumentistes. Des premiers jusqu’aux ultimes accords, on aura particulièrement apprécié un phrasé des plus subtils et un alliage de timbres d’une qualité exceptionnelle.

Michel Le Gris

Repères discographiques :
Prokofiev, 5ème symphonie
– Orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan (DG)
– Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet (Decca)
– Orchestre National de France, Jean Martinon (Testament)

Ravel, Concerto piano en sol
– Anne Queffelec,
– Orchestre philharmonique de Strasbourg, Alain Lombard (Erato)
– Samson François, Société des Concerts, André Cluytens (Warner)
– Orchestre National de France, Léonard Bernstein direction et piano (Warner)

Boléro
– Orchestre symphonique de Boston, Charles Münch (RCA)
– Orchestre philharmonique de New York, Pierre Boulez (Sony)
– Orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan (DG)
– Orchestre philharmonique de Munich, Sergiu Celibidache (Warner)
– Société des Concerts, Constantin Silvestri (Warner)
– Orchestre National de France, André Cluytens (Warner)