Une saison sur la Baltique

A l’occasion de la Saison de la Lituanie en France, Hebdoscope vous fait découvrir quelques livres et auteurs à ne pas rater


Undinė Radzevičiūtė, La Bibliothèque du Beau et du Mal, collection littérature étrangère, traduit du lituanien par Margarita Barakauskaité-Le Borgne, éditions Viviane Hamy, 352 p.

Ce livre incroyable, finaliste du prix Médicis étranger cette année, raconte l’histoire de Walter, excentrique bourgeois valétudinaire dans le Berlin des années 20 qui hérite de la bibliothèque de son grand-père Egon. Celle-ci contient des ouvrages réalisés en peau humaine à l’image de ce livre du marquis de Sade dont la couverture est tirée du corps d’une aristocrate guillotinée.

Fasciné par cette bibliothèque, Walter va alors se muer en chasseur de peaux, en vampire pour donner à cette bibliothèque devenue un être vivant, les offrandes littéraires qu’elle demande. Il y a du Parfum de Süskind, du Nom de la Rose d’Umberto Eco et du Fritz Lang dans ce livre remarquable.

Jan Brokken, Les Justes, comment « un visa pour Curaçao » permit de sauver des milliers de Juifs, traduit du néerlandais par Noëlle Michel, Editions Noir sur Blanc, 528 p.

Jan Brokken, célèbre auteur néerlandais comparé à Graham Greene relate dans ce livre l’histoire de Jan Zwartendijk, l’« Oskar Schindler » de Lituanie.

Nous sommes à l’été 1940. Alors que les nazis s’apprêtent à envahir la Lituanie, Jan Zwartendijk, directeur de la filiale lituanienne de Philips devenu consul à Kaunas redoute le pire pour la communauté juive de la ville, forte de 40 000 membres. Avec l’aide de l’ambassadeur des Pays-Bas en Lettonie, Jan Zwartendijk va fournir pendant près de trois semaines aux juifs qui le souhaitent des visas pour Curaçao, une île des Antilles appartenant aux Pays-Bas. Entremêlant les destins de ces milliers de familles fuyant l’horreur qu’il a rencontré et interviewé, Jan Brokken tisse cette toile de l’espoir qui les vit partir vers l’Est et traverser l’URSS via le transsibérien jusqu’en Chine et au Japon. Car les seuls bateaux partant pour Curaçao se trouvent au Japon. Ici intervient alors le deuxième personnage de cette incroyable histoire, Chiune Sugihara, vice-consul du Japon en Lituanie, surnommé très vite après la guerre « le Schindler japonais », et qui fut lui aussi mu par un impératif humaniste. Avec Zwartendijk, il contribua faire de cette fuite, une épopée. Leur obsession commune permit ainsi de sauver des milliers de juifs.

Sigitas Parulskis, Ténèbres et compagnie, traduit du lituanien par Marielle Vitureau, Agullo éditions, 320 p.

Des héros aux bourreaux, il n’y a malheureusement qu’un pas que franchit allègrement Sigitas Parulskis dans son roman qui erre parmi les fantômes de ces innombrables collaborateurs des nazis, auxiliaires de la Shoah en Lituanie, qui massacrèrent près de 200 000 juifs y compris des juifs français, notamment le père et le frère de Simone Veil.

Dans ce roman paru en 2012, le héros Vincentas est un photographe qui se voit confier la mission d’immortaliser pour un officier SS, ces exécutions, ces massacres « à des fins de service » opérés par les SS et leurs supplétifs lituaniens qui se sont baptisés « les apôtres ». Car en effet, il y a quelque chose de christique, de mystique dans cette histoire où le Mal cohabite en permanence avec le bien et l’amour. Car si Vincentas se rend complice de toutes ces atrocités relatées parfois jusqu’à l’insoutenable – « il lui fallait désormais s’habituer à fumer non plus seulement après le sexe, mais aussi après la mort » – il tente de racheter son âme en sauvant celle de Judita, cette juive dont il est tombé amoureux. Un livre dans lequel on plonge comme dans un tableau de José de Ribera où les ténèbres sont parfois éclairés de quelques lumières éblouissantes de beauté.

Tomas Venclova, Nord magnétique, traduit de l’anglais (États-Unis) par Eva Antonnikov éditions Noir sur Blanc, 576 p.

Si la saison de la Lituanie en France doit permettre de mettre en lumière un écrivain lituanien majeur, il faut bien évidemment évoquer Tomas Venclova. Ce poète lu et admiré dans le monde entier reste un inconnu en France. Son autobiographie écrite sous la forme d’entretiens avec Ellen Hinsey devrait remédier à cet oubli. L’homme, proche de Vaclav Havel et du prix Nobel de littérature polonais Czeslaw Milosz est selon le Times Literary Supplement, « le plus grand écrivain lituanien des temps modernes, mais il n’est pas seulement d’importance nationale : il compte parmi les plus grands poètes vivants d’Europe ». Les magnifiques pages de Nord magnétique nous ainsi font revivre le destin tragique et incroyable de son pays, entre occupation nazie et domination soviétique, au milieu des dissidents et de leur quête de liberté pour faire sortir leurs œuvres d’URSS. On y croise tour à tour Anna Akhmatova, Boris Pasternak ou Milan Kundera qui nous rappellent combien le totalitarisme est impuissant à vaincre la littérature.

Kristina Sabaliauskaite, L’impératrice de Pierre, traduit du lituanien par Marielle Vitureau, Folio, 432 p.

Tout le monde connaît bien évidemment Catherine II de Russie, la Grande Catherine, cette tsarine qui, depuis Diderot et jusqu’à Henri Troyat et Hélène Carrère d’Encausse fascine les Français. Il fut cependant une autre Catherine à avoir suscité l’admiration de philosophes français et en particulier de Voltaire qui la surnomma la « Cendrillon du 18e siècle » : Catherine Ier.

Rien ne prédestinait pourtant cette polonaise née en Lituanie, Marta Helena Skowrońska, à monter sur le trône de la Sainte Russie en compagnie de son tsar le plus illustre, Pierre le Grand, et à diriger cette même Russie entre 1725 et 1727.

C’est à cette date que débute la magnifique saga historique de Kristina Sabaliauskaite, autrice lituanienne la plus lue au monde. La future tsarine revient sur sa vie et sa destinée hors du commun qui l’a vu tour à tour domestique d’un pasteur, prisonnière des Russes qui en feront une esclave sexuelle et finalement leur tsarine. Kristina Sabaliauskaite qui sera d’ailleurs présente au salon du livre de Versailles les 23 et 24 novembre prochain, nous conte cette vie incroyable dans les deux tomes d’un roman historique animé d’un indéniable souffle littéraire qui a séduit jusqu’à la Prix Nobel de littérature, Olga Tokarczuk. Succès international traduit en plusieurs langues, L’impératrice de Pierre est également un incroyable voyage dans cette ville en construction appelée à être cette « fenêtre sur l’Europe » : Saint-Pétersbourg.

Par Laurent Pfaadt

Saison de la Lituanie en France jusqu’au 12 décembre 2024.

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