A la tête de ce qu’on appela l’Aktion Reinhard, l’Autrichien Odilo Globocnik, SS-Gruppenführer présida à l’extermination des juifs de Pologne dans quatre camps : Treblinka, Sobibor, Chelmo et Belzec. Là-bas, il n’était pas rare que les cendres des victimes soient utilisées comme engrais dans les potagers des SS.

En mai 1945, acculé et refusant de tomber aux mains des Alliés, Odilo Globocnik se suicida et son cadavre fut enterré à la va-vite dans un champ de Carinthie en Autriche. Ce dernier, cultivé, donna bien plus tard des céréales qui servit à confectionner du pain pour les villages voisins et leurs habitants. Ce champ appartenait à la famille de Josef Winkler, l’un des plus importants écrivains autrichiens vivants dont l’œuvre consiste, depuis plus de trente ans, à exhumer les silences et les cadavres de l’histoire nationale autrichienne
Récompensé par le prix Franz Kafka en 2024 ainsi que par le prix Georg Büchner (2008), la plus illustre distinction littéraire allemande, l’auteur de L’Ukrainienne (Verdier, 2022) revient ainsi avec son nouveau livre, présent dans la seconde sélection du prix Médicis étranger, sur ce champ qui bordait sa maison natale mais également sur la mémoire d’une Autriche qui n’en a toujours pas fini avec son passé nazi et à travers elle sur sa mémoire familiale tue – son oncle servit dans la SS – et nourrie par cette mort omniprésente dans son œuvre. Chez Winkler, les fantômes du passé entourent et hantent en permanence les vivants. Le Champ est ainsi une sorte de cimetière moral de l’Autriche, un cimetière dont les ossements pourris, malsains de cette région de Carinthie toujours imprégnée d’extrême-droite et de relents nazis, surgissent régulièrement. Josef Winkler comme Reinhard Kaiser-Mühlecker écrivent pour pouvoir les exhumer afin de solder ce passé douloureux, et ainsi libérer les générations futures. Une tâche ardue mais nécessaire.
Par Laurent Pfaadt
Josef Winkler, Le champ, traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Banoun
Chez Verdier, 220 p.