La disparue du cinéma

Un roman de Laurence Mouillet

L’affaire a tenu en haleine les Strasbourgeois pendant cinq ans. C’était en 1995 et aujourd’hui encore des interrogations subsistent sur la personnalité et le mobile du meurtrier. Laurence Mouillet l’a connu ainsi que sa victime. Comment vit-on quand on côtoie un homme, un collègue de travail que l’on soupçonne fortement d’un crime ? La disparue du cinéma n’est pas un roman policier. C’est l’histoire d’une jeune femme rêveuse qui se fait son cinéma.


Carole Prin, ouvreuse dans un cinéma de Strasbourg, a été tuée à bout portant par le projectionniste, son compagnon, alors qu’elle allait accoucher. Quand Laurence Mouillet a eu connaissance des résultats de l’enquête, elle s’est vue confirmer ses soupçons et la peur que lui inspirait ce projectionniste, rebaptisé Lionel dans son roman. Elle s’est intéressée précisément à cette peur. Rétrospectivement, elle se souvient de son comportement étrange, de la manière dont il a essayé de rallier ses collègues à sa cause de victime, victime de la disparition de sa compagne, la mère de son enfant. Puis ce fut la gradation dans l’horreur de ce qu’a révélé l’enquête : un féminicide doublé d’un infanticide. Aussi, le roman est-il tendu jusqu’au procès où Laurence a été citée comme témoin. Et c’est encore de son point de vue que l’écriture se poursuit, n’ayant pas été présente lors de l’audition des autres témoins comme le veut la procédure. 30 ans après les faits, comment approcher la vérité ? Comment faire sentir la menace qui a pesé ?

L’auteure était soucieuse de parler de sa collègue et de dire qu’elle a été vivante et si heureuse à la perspective de devenir mère avant d’être assassinée à une époque où le mot féminicide n’existait pas encore. Il le sera dans le domaine du droit en 2014 et sera le mot de l’année dans le Petit Robert en 2019. Mais ce n’est pas de Carole que l’auteure a voulu parler mais d’elle-même avec le personnage de Claire, ses sensations et les émotions d’une femme à l’aube de sa vie d’adulte en ces années 90. Elle a puisé dans ses souvenirs de très jeune femme, caissière au cinéma pour payer ses études, le travail idéal pour une étudiante qui n’a que les soirs et les week-end de libres et qui vit donc à côté de la vie. Son univers, ce sont les livres, les films, la musique et son amoureux … mais qui ne sera que de passage. Comment se construire quand on est une jeune femme qui se cherche ? Comment se construire quand on a été témoin d’un tel événement et avoir l’hyper conscience de la noirceur de la nature humaine ? Claire trouve une échappatoire dans le sommeil, comme un remède à la dépression. Mais son sommeil est hanté par Carole (Sandra dans le roman) et par son enfant, par des rêves dont elle sort exténuée, autant de cauchemars qui traduisent son mal être.

La littérature permet d’approcher les événements, de leur donner un sens. L’auteure puise dans l’univers des contes avec l’image de l’ogre, gardien d’une chambre secrète, du rêve si réel pourtant d’un cavalier sorti d’un autre temps, accompagné d’un ange blond bien vulnérable. Et il y a cette escapade inattendue en Grèce comme la promesse d’une autre histoire qui ne s’écrira pas, solaire, par contraste avec la noirceur du reste du roman.  En ne disant pas « Je » mais « Claire », l’auteure s’est sentie plus libre d’évoquer de quelle manière elle a subi cette histoire et de la revisiter à travers le filtre du temps. Elle a pris son temps, il fallait que du temps passe. Et comment raconter cette histoire si horrible en échappant à la reconstitution morbide des faits ? Comment être respectueuse de la mémoire de Carole ? Il ne s’agissait pas de mener à son tour une enquête pour traiter ce fait divers, réinterroger les témoins de l’époque, Laurence Mouillet a choisi d’être son propre sujet et d’approcher la vérité par la fiction. Qui veut lire un polar lira un autre livre.

Par Elsa Nagel

Laurence Mouillet, La disparue du cinéma, Mediapop Editions, parution le 21 février 2025.