un film de Sylvain Desclous
Les romans d’Eric Reinhardt sont inspirants pour le cinéma. L’adaptation de l’Amour et les forêts par Valérie Donzelli a été un succès. Le système Victoria, dès sa parution en 2011, avait séduit Sylvian Desclous au point de contacter l’auteur. Le temps a passé, le projet d’une adaptation s’est fait jour et avec le romancier, ils ont coécrit le scénario. Comme souvent les bonnes adaptations, il s’agissait de trahir le roman. Le lecteur se plaira à découvrir comment le roman a été revisité et de voir derrière les personnages de David et Victoria, Damien Bonnard et Jeanne Balibar.

Il est dit que les prénoms ont une influence sur la construction de ce que nous sommes, sur notre personnalité. Victoria incarne la réussite toute puissante d’une DRH très influente. La rencontre est étonnante entre elle et David. Il tombe sous le charme de cette femme qui parle aussi bien le chinois que l’allemand, qui manage sa vie avec une liberté et un contrôle qui le subjuguent. Et surtout, elle le comprend et elle devine son parcours de brillant jeune architecte qui se retrouve à exercer le métier alimentaire et schizophrénique de chef de travaux pour la construction d’une tour dans le quartier de la Défense, lui qui rêve de maisons écologiques inscrites dans le paysage. Un homme frustré donc, séparé de sa femme, en mal de communication avec sa fille et humilié par ses patrons qui exigent à la fois des économies sur le budget et un rendu de l’édifice dans les temps. Aucun retard ne sera admis.
L’humiliation, le manque de respect et de reconnaissance sont le quotidien de David qui évolue dans un univers de béton, de fer et de poussière et même les fenêtres n’offrent pas d’échappées ; dans les vitres, le reflet des personnages, un monde comme une prison qui renverrait à leur espace mental, enfermés dans un système sur lequel ils n’ont pas de contrôle. Ils sont dans un rapport hiérarchique et d’intérêts. Quand David en fait le reproche à Victoria, incarnation de ce système, elle lui rétorque que lui aussi est un petit chef qui donne des ordres. Personnage complexe et ambigu, elle est une énigme pour David qui la questionne, notamment sur sa sexualité qu’elle vit avec la même liberté. Mais dit-elle la vérité ou bien ce qu’il veut entendre ? Qui est-elle ? Femme amoureuse ou fine calculatrice ? Femme mariée, femme adultère. Qui est son mari ? Qui est son amant ? Amusants caméos de deux hommes biens connus de la scène littéraire.
Pour Sylvain Desclous, nulle autre actrice que Jeanne Balibar avec son phrasé particulier, la manière de se mouvoir, ne pouvait mieux incarner les facettes contraires et contrastées qui composent Victoria. Damien Bonnard est le « man next door » « à la force tranquille et bonhomme » alliée à une sensibilité qui le rend touchant. Est-ce dire que Victoria est la méchante de l’histoire ? Ils appartiennent à deux mondes différents, deux classes sociales antagonistes et leur liaison improbable fait se confronter deux systèmes de pensée inconciliables si ce n’est qu’entre les deux s’exerce une attraction irrésistible qui conduit à tous les possibles.
Comment retourner le destin ? Inopinément, la fin du film réconcilie avec le genre humain et la capacité à encourager qui a le projet d’un monde à réinventer. L’espoir n’est pas vain de trouver sa place, d’être à la bonne place.
Par Elsa Nagel