Tout est pensé, tenu, sensible dans le one-woman-show de Camille Cottin qui interprète l’adaptation de ce roman très spécial « Jewish Cock » de Katharina Volckmer traduit de l’anglais par Pierre Demarty et mis en scène par Jonathan Capdevielle.
Avec une audace et un humour pleins d’aisance, la comédienne se met dans la peau de cette jeune femme qui habite Londres et se trouve dans le cabinet du gynécologue, le docteur Seligman pour se faire placer un pénis circoncis car depuis son enfance elle est préoccupée par son problème de genre. Mais il n’y a pas que cela qui la hante, ce sont, entre autres, ses origines allemandes.

Profitant en quelque sorte de cette position allongée durant l’intervention et du fait que le médecin penché sur son ventre ne voit pas plus son visage qu’elle ne voit le sien, elle se livre à des confidences concernant ses fantasmes où elle s’imagine intime avec Hitler, un comble pour elle qui est obsédée par la shoah. C’est drôle et frôle le standup quand elle évoque avec naïveté et sincérité ces « hallucinations » contraires à ce qu’elle pense vraiment. Une révélation en entraînant une autre, ce flot de pensées l’amène à évoquer cette enfance durant laquelle la féminité telle que sa mère la représentait la dégoûtait, et là elle ose évoquer la cicatrice de la césarienne sur son ventre, vestige de ce qui a présidé à sa naissance, comme ses recommandations sur la manière de s’asseoir quand on est une fille, c’est-à-dire sans écarter les jambes car c’est indécent et provocateur.
Si le propos a de quoi nous surprendre car il aborde encore bien des sujets, son allusion à la peur du vibromasseur électrique, qu’elle pourrait commander auprès d’un fabricant japonais de sex-toys, son histoire d’amour avec K rencontré dans les toilettes publiques réservées aux hommes, histoire qui lui fait prendre conscience que, décidément, elle ne liera jamais sa vie à celle d’un homme, elle se défaussera quant au suicide de celui-ci après leur rupture, son obligation de consulter un psy car elle a planté une agrafe dans l’oreille d’un collègue et a été du coup mise à pied, sa relation avec Jason le psy en question, ce qui lui permet de rapporter au docteur Seligman, les histoires salaces qu’elle déblatère pour faire de sa thérapie, un ramassis de mensonges outranciers et par là -même de critiquer la méthode, enfin ,le récit concernant son arrière-grand-père , chef de gare dans la petite gare de Silésie qui voyait passer les trains se rendant à la gare suivante, celle d’Auschwitz… si toutes ces considérations bâtissent le portrait d’un être original, c’est la mise en scène et le jeu de la comédienne qui rendent ses dires audibles et construisent ce personnage exceptionnel .
C’est dans l’obscurité qu’on percevra ses premiers mots avant que, dans la lumière on voit apparaître ses deux jambes écartées gainées de rouge, le reste du corps étant dissimulé par l’immense rideau bleu violet qui tombe des cintres. Très vite on la voit surgir portant combinaison de latex rouge et short militaire. La guerrière est en place pour ce show d’une heure et demie au cours duquel elle ne cesse d’aller et venir, se dissimulant derrière les tentures, se roulant sur l’amas de tissus qui occupe le centre du plateau, et qui bouge et se soulève comme un ventre qui respire. (Scénographie Nadia
Lauro ). En perpétuel mouvement, elle balance son texte prenant le médecin à témoin de ses dires, l’interpellant pour qu’il l’approuve, c’est Jonathan Capdevielle, le metteur en scène qui parfois lui répond laconiquement depuis la régie. L’évocation des péripéties de sa vie la conduit à changer de posture, de tenues, elle peut apparaître en petite robe de jeune fille ou en petit Jésus automate, (costumes Colombe Lauriot Prevost) esquisser une marche au pas de l’oie ou danser éperdument en faisant de grands moulinets avec son bâton de danse. (Chorégraphie Marcella Santander)
Un travail physique très suggestif et souvent plein d’humour pour ces paroles dites sans retenue, cette marche pour se libérer du passé et construire sa véritable identité quoiqu’il en coûte.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Représentation du 11mars, TNS
En salle jusqu’au 22 mars