Le 23 mai 1992, 600 kilos d’explosifs pulvérisaient la voiture du juge antiterroriste Giovanni Falcone, non loin de l’aéroport de Palerme. Cet assassinat allait marquer durablement une mémoire non seulement italienne mais également européenne, faisant du juge, le martyr de la pieuvre.

Vingt-trois ans plus tard, voilà qu’un autre juge, littéraire celui-là, Roberto Saviano, auteur du mondialement célèbre Gomorra, dresse à Falcone, un mausolée de papier remarquable. Retraçant les dix dernières années du juge, depuis l’assassinat du préfet de Palerme, le général dalla Chiesa jusqu’à la mort de Falcone l’auteur nous fait entrer dans les arcanes du pool anti-mafia qui lutta sans relâche contre les sbires du parrain de la mafia, Toto Rina qui fut arrêté quelques mois après l’assassinat de Falcone.
Dans ce récit absolument palpitant, le lecteur suit Falcone dans sa lutte contre les banques liées à la mafia ou face aux repentis mais également dans sa vie quotidienne auprès notamment de sa femme, elle-même juge, qui fut également tuée le 23 mai 1992. Mais le grand talent de Saviano qui n’hésite pas, pour les besoins du récit, à combler les interstices biographiques de son génie littéraire, est de traverser le miroir et de faire pénétrer son lecteur dans les rangs de la mafia comme il a si bien su le faire dans ses ouvrages qui l’ont rendu célèbres. Un miroir qui culmine avec le maxi-procès de Palerme contre plusieurs centaines d’accusés entre février 1986 et décembre 1987.
Dans cette Italie où le Vatican entretint des relations incestueuses avec la pieuvre, Giovanni Falcone a, qu’on le veuille ou non, un côté christique avec sa dimension sacrificielle pour le bien de l’humanité. Devenu le Joseph d’Arimathie du juge, Roberto Saviano signe là son plus beau livre, réussissant parfaitement l’alchimie entre l’enquête et la littérature afin de permettre, à ce livre en forme de croix, de permettre à son sujet d’accéder à l’immortalité.
Par Laurent Pfaadt
Roberto Saviano, Giovanni Falcone, traduit de l’italien par Laura Brignon
Chez Gallimard, « Du monde entier », 608 p.