Evoquer la judéité, l’homosexualité sont des sujets toujours délicats auxquels s’attaque le metteur en scène hongrois Kornél Mundruczo sur un texte écrit par Kata Wéber auquel ont été intégrés les improvisations des comédiens de la Cie Proton theatre fondé à Budapest par le metteur en scène, il y a 15 ans, avec Dora Burki.
Le titre de la pièce est un terme scientifique, qui signifie, changer de position pour une observation et voir ce qu’il en est.

Nous allons dans le cas présent naviguer en sociologue, à la rencontre de trois générations la grand-mère, Eva, sa fille Lena et le petit-fils Jonas que nous verrons évoluer dans le cadre d’une même pièce, une cuisine-séjour bien équipée mais plutôt banale (scénographie Monika Pormale) et qui ne sera visible qu’une fois tiré le rideau translucide qui la dissimule au début et derrière lequel se déroule la première scène filmée par deux cameramen qu’on entr’aperçoit( Mkàly Teleki et Aron Farkas) et dont les images sont projetées sur deux grands écrans placés de part et d’autres du plateau donnant à voir en gros plan les visages, celui d’Eva, une femme âgée et celui de Lena, sa fille, une femme d’âge moyen. Très vite leur rencontre qui a lieu à Budapest dans l’appartement d’Eva se précise, rideau tiré on les voit, toutes deux prises dans un dialogue-dispute au sujet d’un document, acte de naissance de la mère prouvant sa judéité que lui réclame sa fille, émigrée à Berlin pour faciliter l’inscription de son fils Jonas dans une école confessionnelle. Eva refuse de se séparer de ce document par peur qu’on l’égare. C’est l’occasion pour elle de se lancer dans le récit incroyable de sa naissance dans le camp d’Auschwitz où sa mère était incarcérée, où on ne laissait pas une femme accoucher et encore moins vivre son bébé. C’est dire qu’elle est un cas exceptionnel. Ce récit entendu maintes fois agace sa fille venue pour l’emmener à une remise de prix où elle refuse de se rendre, elle en fait même pipi dans sa culotte !
Toute cette rencontre est mise en scène avec un total réalisme, les actrices, Lili Monori et Emoke Kiss-Végh se prêtant au jeu avec beaucoup de naturel.
Sans changement de décor, l’acte suivant s’opère dans une atmosphère de bruit et de fureur accompagné d’une musique d’apocalypse, de fumée envahissant l’espace sur lequel tombe une énorme chute d’eau qui inonde tout l’appartement, on en reste sidéré et l’on nous annonce ce qui a lieu 15 ans après et là, c’est Jonas (Erik Major) qui en est la vedette, venu pour l’enterrement de sa grand-mère, il s’est installé dans son appartement et reçoit la visite de ses anciens copains, (Roland Ràba, Tibor Fekete, Csaba Molnàr, Soma Boronkay) une bande d’homosexuels patentés qui vont nous offrir une véritable partouze, pendant laquelle ils se montrent tous à poils, prennent de la drogue et se livrent sans vergogne à des ébats des plus suggestifs . Scène étonnante et décomplexée, on a manifestement changer d’époque et quand les visiteurs, une fois repartis, la mère de Jonas entre dans l’appartement en désordre et trouve son fils endormi recouvert d’une des robes de sa grand-mère, elle ne peut qu’être sidérée et ne trouve qu’une question à lui poser « as-tu pensé à apporter ta kippa pour la cérémonie ? »
Si l’on revient sur la perception de la judéité telle qu’elle est présentée à travers ces personnages, on s’aperçoit que pour la grand-mère, elle est existentielle, pour sa fille, administrative et pour le petit- fils, un simple article vestimentaire, trois points de vue qui suivent le passage du temps, celui des générations et justifient ainsi le titre de la pièce.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Le Maillon Strasbourg, 26 mars 2025