Rectum Crocodile

C’est un spectacle qui donne beaucoup à voir et à entendre, qui s’offre comme un défilé de personnages magnifiquement costumés, maquillés, l’auteur n’en est-il pas Marvin M’toumo, créateur de mode, déjà célèbre en raison de son précédent spectacle » Concours de larmes » monté en 2022 avec sa Cie Hibiscus culturist. C’est lui qui signe la mise en scène, la scénographie et bien sûr, les costumes.


© Albane-Durand-Viel

Sur le tapis vert agrémenté de quelques bouquets de plantes un catwalk s’illumine (création lumière Alessandra Domingues) pour le passage des personnages annoncés par la voix off d’un enfant qui semble lire un conte.  Comme il se doit dans ce genre littéraire apparaissent d’abord des animaux, le coq, le chat, le chien tous représentés par des comédiennes vêtues de justaucorps académiques imitant leur pelage marchant à quatre pattes et portant sur leur fessier les masques de ces animaux, imitation burlesque, carnavalesque, hommage aux carnavals caribéens, rappelons que l’auteur Marvin est né à La Guadeloupe. Quant aux oiseaux, ils sont merveilleusement incarnés par des comédiennes en talons hauts, portant jupettes en plumes blanches et brandissant sur leurs seins des becs longs et pointus. Tous poussent les cris propres à leur espèce, y glissant une sorte de provocation quand ils grimacent vers le public.

Puis c’est le défilé des femmes toutes si belles, élégantes dans leurs robes bustiers amples ou serrées aux couleurs chatoyants qu’elles captivent le regard. Elles viennent porteuses des récits évoquant les tourments et sévices subis par leurs ancêtres dans ces terres coloniales où ils étaient les esclaves de maîtres dominateurs, exigeants et sans pitié. Elles parcourent le plateau en grandes enjambées, le regard fixé sur les spectateurs directement interpellés par ce réquisitoire plein de ressentiment pour ces histoires vécues dont elles portent parfois avec grandiloquence la mémoire. La musique (Vica Pacheco et Baptiste Le Chapelain) toujours très forte rythme ces prestations qui s’accompagnent aussi de danses. Après la rencontre avec la mère tenant dans ses bras le bébé cacao (un baigneur en celluloïd) dont l « l’urine » -chocolat est distribuée dans de petites tasses offertes à quelques spectateurs, nous entendrons les cris de peur de la jeune femme qui s’est enfuie de la plantation et que les chiens poursuivent puis le chagrin et l’humiliation de la jeune femme amoureuse de son maître qui l’a repoussée.

Mais d’autres femmes défileront sur le plateau plus agressives et revendicatives, dont l’une tout en dansant pointe une épée vers le public et mime les vengeances souhaitées et elles ne sont pas tendres, torrents de boue, déluge, oiseaux déchirant de leurs becs ceux qui occupent ses rêves, ses oppresseurs.

Vient enfin « le cocotier », un long poème pamphlétaire déclamé par la jeune femme portant bustier en jute et jupette en paille garnie de larges feuilles « je suis le cocotier » clame-t-elle et fusent dans chaque strophe les imprécations  contre les tenants de cette civilisation où règnent » vos dirigeants brutaux, vos méchants fachos, affreux jojos », ajoutant entre autres textes virulents « Je suis le cocotier, et mon chien chien chowchow, vous montre les crocs, vous mord les os, vous qui avez tué les peuples locaux pour l’or des banco, pour du choco, pour du tabasco », une diatribe accusatrice et satirique déversé sur ce public placé en quadri frontal qui se voit  la recevoir sans ménagement  et peut en mesurer les effets sur les visages de ceux placés en vis-à-vis.

Si l’engagement des interprètes et leur virtuosité ne font aucun doute avec Davide-Christelle Sanvee, Elie Autin, Grace Seri, Amy Mbengue, Djamila Imani Mavuela, Marvin M’ toumo et que tout spectacle se revendiquant de l’anticolonialisme ne peut qu’obtenir notre adhésion, il n’en reste pas moins vrai que nous sommes restés à distance, ne pouvant nous défaire du sentiment  que le trop plein d’esthétisme dont nous étions témoins ne faisait qu’atténuer la pertinence du propos.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du1er avril au TNS