Sommes-nous proches ou loin, avec cette nouvelle création de Caroline Guiela NGuyen du « Saïgon » qui lors de sa création nous avait tant bouleversés que chaque occasion de le revoir fut un bonheur. Proches sans aucun doute de cette dimension humaine qui est la marque de ses créations, éloignés, peut-être parce qu’on n’atteint pas dans ce nouvel opus la dimension insurpassable de la tragédie historique qui sous-tendait « Saigon » pour se référer ici à un genre qui flirte avec le conte, entrecroisant des éléments propres à ce genre avec ceux plus prosaïques du reportage.

Alors commençons par la formule adéquate « il était une fois » et faisons advenir les protagonistes de base dans cette histoire, un père, une mère et leur fillette, Valentina. D’emblée un obstacle s’érige sur leur chemin, le cœur malade de la mère qui oblige à une séparation, le père restant au pays, en l’occurrence la Roumanie, la mère et la fille s’installant à Paris pour y trouver les soins appropriés. Surgit immédiatement le deuxième obstacle, celui de la langue française que ni l’une ni l’autre ne parlent et la mise en place d’un personnage hostile la cardiologue, femme pressée, technicienne du cœur, dépourvue d’écoute, de sensibilité, d’humanité et qui, par là même, transforme la petite Valentina en héroïne, priée d’apprendre vite le français pour devenir traductrice, médiatrice du médecin. En contrepartie, apparaît le personnage aidant, la directrice de l’école, pleine de bienveillance à l’égard de cette enfant dont le comportement et les absences l’intriguent, elle est secondée par le cuisinier roumain qui permet les échanges en assurant la traduction, elle va donc pour la soutenir lui confier « le gros nounours » à emporter à la maison ce qui ravit Valentina.
Ainsi se met en place le déroulement d’un conte réaliste au cours duquel alternent les séquences qui ont lieu dans le cabinet de la cardiologue et celles qui se passent à l’école, les premières devenant de plus en plus violentes, le médecin allant jusqu’à confier à l’enfant la responsabilité de garder jour et nuit le »bip » qui pourrait annoncer la possibilité d’une implantation cardiaque, seule possibilité de sauver sa mère, les secondes comportant de plus en plus de mansuétude.
Comme Valentina apprend vite le français, elle prend en quelque sorte le pouvoir sur les communications et entre dans les dires opportunistes qui l’arrangent, mentir pour la bonne cause ne lui pose pas de problème et elle s’enferre dans le mensonge refusant de dévoiler la gravité de la situation. Au terme de ce périple, mère et fille se retrouvent à demander au médecin qu’on en finisse avec cette attente épuisante et c’est là que le happy end se produit, comme par miracle, le cœur de la mère se met à battre normalement alors que celui de Valentina s’effondre mais qu’elle, en tant qu’enfant, devenant prioritaire pour la greffe n’en mourra pas.
Cet échange de don de vie confère une dimension christique, religieuse à cette histoire qui échappe à la pure réalité sociologique par ailleurs très présente dans les nombreuses séquences du spectacle et souligne la pertinence d’une scénographie signée Alice Duchange juxtaposant la niche fleurie, véritable icône qui honore une vierge à l’enfant et un cœur vivant avec l’intérieur d’un lieu de vie ordinaire comportant table et chaises et celui d’un simple bureau pour les consultations et les rencontres à l’école.
Ce qui est manifestement séduisant dans ce spectacle c’est la qualité de jeu des comédiens dont deux ne sont pas professionnels, Loredane Iancu qui interprète la mère avec beaucoup de sensibilité et sa fille Angelina Iancu en alternance avec Cara Parvu, des fillettes qui sont remarquables par leur naturel et l’audace dont elles font preuve dans ce rôle complexe, elles sont accompagnées par deux excellents musiciens, violonistes qui tiennent aussi le rôle de personnages, Paul Guta qui fait le père et Marius Stoian, le cuisinier de l’école, traducteur selon les circonstances, et par la comédienne Chloé Catrin qui passe avec aisance du personnage du médecin à celui de directrice d’école, deux personnalités antinomiques. Tous font preuve d’authenticité, de justesse dans leur prestation et réussissent à émouvoir le public qui les a ovationnés.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Représentation du 23 avril au TNS
En salle jusqu’au 3 mai