Un film de Thibault Emin
Il y a huit jours nous évoquions une autre pépite (Les Maudites de Pedro Martin-Calero) vue dans le cadre de la compétition de la 32ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. A l’occasion de sa sortie nationale nous voilà de retour avec une autre trouvaille de ce bon vieux festival, toujours aussi généreux.

Et ici, il s’agit de Fantastique à la française, à savoir un mélange expérimental poétique qui embarque le spectateur dans une fin du monde jamais vue auparavant. Une science-fiction organique. Else est un premier long-métrage protéiforme (rares sont les films auxquels l’adjectif est aussi adapté !), dont la vision de l’apocalypse ne pourrait être résumée en quelques lignes. Mais essayons quand même, en reprenant le synopsis du film : Anx vient de rencontrer Cass quand l’épidémie éclate : partout, les gens fusionnent avec les choses. Cloîtré dans son appartement, le couple doit faire face à cette menace monstrueuse. Le spectateur comprend très vite qu’il n’y aura aucune référence à laquelle se raccrocher, aucun point de vue connu dans le Septième Art…..
Sur la grande scène de l’Espace Lac les festivaliers avaient pu assister à une longue présentation du film par son metteur en scène, son comédien principal et le producteur. Thibault Emin était le plus volubile des trois, son enthousiasme était communicatif. Et pour cause, il était face à des amateurs du genre, et savait que s’il y avait bien un public à même d’apprécier son œuvre c’était celui devant lequel il se trouvait. Il nous expliquait la genèse de son film et nous prévenait, il fallait s’attendre à être surpris…

Le générique donne le ton, Else sera organique. On pense vite à David Cronenberg, mais pas que. Anx et Cass se sont rencontrés il y a peu, ils forment un couple aussi hétérogène que possible ; autant Cass est vive, bruyante, expressive, autant Anx est réservé, timide. Dans sa première partie l’appartement de Anx jouera un rôle de premier plan. Une sorte de troisième personnage, avec ses drôles d’objets et ses couleurs criardes. L’épidémie lancée, Cass va traverser les rues confinées de la ville afin de se réfugier chez Anx, espérant échapper à l’épidémie. Tout autour d’eux, les êtres humains se mettent à fusionner avec les objets environnants. De la fenêtre Anx et Cass assistent à la métamorphose d’un SDF, qui se fond peu à peu dans le trottoir sur lequel il avait élu domicile.
Cass va rapidement être touchée par la maladie, Anx fera tout pour essayer de la soigner.

Thibaut Emin réalise avec ce premier film une œuvre surprenante, enthousiasmante. La narration regorge de surprises, et le style visuel offre au spectateur de magnifiques trouvailles, notamment lorsque Anx cherche à s’échapper de l’immeuble. Des images étranges, qui s’appuient sur les éléments physiques de notre monde tout en les déformant, pour parvenir à une vision lyrique de l’environnement. Lorsque Anx s’échappe de son immeuble avec sa voisine japonaise, entrelacés tels un projectile luminescent, on se dit que peu de metteurs en scène auraient été capables d’imaginer de telles images. On pense bien évidemment à David Lynch, à David Cronenberg, mais aucun nom français ne vient spontanément à l’esprit.

Fable sur l’homme et la nature, Else nous invite à un voyage à la fois philosophique et sensoriel. L’épidémie qui y est décrite ne saurait être combattue par un quelconque vaccin. On y voit une Nature qui reprend ses droits et intègre l’Humanité.
Le film se termine sur les images d’un monde nouveau, générées par l’intelligence artificielle. Sur la scène de l’Espace Lac le réalisateur nous confiait alors que cela n’était pas sa première idée, mais que la production l’avait « convaincu » de conclure son récit ainsi, en utilisant les multiples possibilités offertes par l’informatique. Les amateurs d’images de synthèse les trouveront inventives, les autres n’y verront pas un grand intérêt.

Else ne se résume heureusement pas à cette conclusion, mais vaut avant tout pour son idée de départ, sa manière de la matérialiser à l’écran et sa réflexion sur notre monde. Son film traduit à la perfection sa volonté initiale, qui était de convier le spectateur à un mélange de plusieurs genres. Else est à la fois un film d’auteur et un film de genre qui devrait trouver son public lors de sa sortie en salle, après avoir fait la tournée des festivals (SITGES, TIFF, l’Étrange Festival, Gérardmer).
Jérôme Magne