Un ouvrage passionnant revient sur l’espionnage au Moyen-Age
« Au centre de ce nouveau dispositif, Lyon joue à la fois (…) le rôle de plaque tournante de l’information et de « boîte aux lettres » (vivante) du renseignement » écrit l’auteur. On pourrait croire que nous sommes en 1943 en compagnie de l’armée secrète du général Delestraint bientôt infiltrée par la Gestapo et l’Abwehr. Ces mots évoquent en réalité la rencontre en mars 1476 entre Louis XI, son maître-espion Philippe de Commynes et l’ambassadeur du royaume de Milan déguisé en marchand.

Un millénaire avant l’épisode qui allait conduire à l’arrestation de Jean Moulin dont nous fêtons le 80e anniversaire, se mirent en place les fondations de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’espionnage. Grâce au travail impressionnant de synthèse et d’érudition de Valentin Baricault, son livre nous dévoile la lente construction de ce métier qui ne fut codifié, formalisé que sous Louis XI avec notamment l’édit de Luxies (1464) qui entérina la création de la poste royale. Se basant sur un certain nombre de sources, en premier lieu des lettres et correspondances d’acteurs, il montre que le Moyen-Age repris grosso modo l’héritage antique de la collecte de renseignements si bien que seules les cedulae inclusae, ces feuilles accrochées aux lettres officielles contenant des informations capitales et pouvant être facilement arrachées et détruites, tenaient lieu de rapports. Ainsi, par exemple, celles de Strasbourg pendant les guerres de Bourgogne (1468-1477) qui se sont révélées fort utiles en prévenant l’action militaire du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire.
Les choses évoluent à la fin du Moyen-Age avec la lente construction de l’Etat moderne entre royaumes et cités-Etats. Désormais, nous dit Valentin Baricault, en temps de paix comme en temps de guerre, le renseignement pour prévenir ou gagner la guerre devient essentiel. Et il n’est pas dévolu aux mêmes acteurs : l’ambassadeur et les agents officieux dans le premier cas ; les éclaireurs et les messagers dans le second. La perception des contemporains à l’égard de ces différents personnages constitue certainement l’une des parties les plus intéressantes de l’ouvrage. L’auteur convoque d’ailleurs à cet effet une galerie de personnages restés dans l’ombre et qui donnent parfaitement corps à son propos tels le flamand Jean de Woume, agent au service du roi d’Angleterre.
Le roi Louis XI, surnommé « l’Universelle Aragne » et né il y a 800 ans, fit véritablement entrer l’espionnage dans une nouvelle ère en jetant les bases ce qu’il convient d’appeler l’espionnage moderne français. Rétributions d’informateurs, poste royale, il structura, dans sa lutte contre les Valois de Bourgogne, un vaste système de circulation de l’information sous l’égide d’un Philippe de Commynes devenu, à l’instar d’un Francis Walsingham, la maître-espion d’Elizabeth Ier un siècle plus tard, le double du souverain. « Le mimétisme entre les deux personnages est tel que les réseaux de Commynes croisent ceux de Louis XI » écrit ainsi Valentin Baricault.
Et qui dit information dit également désinformation et intoxication par la propagande qu’allait maîtriser à merveille Louis XI notamment dans sa lutte contre le Téméraire. Une désinformation appelée, à Lyon en 1943 comme de nos jours, à un brillant avenir.
Par Laurent Pfaadt
Valentin Baricault, L’espionnage au Moyen-Age
Passés composés, 224 p.