Les Maudites

Un film de Pedro Martin-Calero

Premier long-métrage de Pedro Martin-Calero, cette co-production (Espagne-Argentine-France) avait été doublement récompensée en janvier dernier lors de la 32ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Il est donc très agréable de voir le film distribué aujourd’hui sur nos écrans.

Présenté sous son titre à l’international (The Wailing, El Llanto en V.O.), le film y avait fait un passage remarqué en empochant à la fois le Prix de la Critique et celui du Jury Jeunes de la Région Grand-Est. A Gérardmer, la 32ème édition de la manifestation avait projeté une variété de films bienvenue, proposant un large spectre de ce que le genre pouvait offrir. En ce début d’année 2025 les amateurs avaient pu y apprécier certaines œuvres, notamment Les Maudites.

Le synopsis du film tente de résumer l’intrigue le plus sobrement possible et y parvient plutôt bien : séparées par des continents et par des époques, trois jeunes femmes sont hantées par les mêmes sensations et entendent le même cri.

Il y a Andrea, étudiante madrilène vivant à notre époque (2022), qui va tenter de découvrir la vérité alors qu’elle est à la recherche de ses parents adoptifs. Viennent ensuite Marie, jeune Française vivant à La Plata en Argentine en 1988 et Camila, étudiante en cinéma qui ne cesse de la suivre alors qu’elle a fait d’elle le sujet principal de son court-métrage d’études. Toutes trois sont hantées par des sensations étranges, dérangeantes, des visions qu’elles seules perçoivent. Pour incarner ces trois personnages féminins forts le réalisateur a fait appel à trois comédiennes confirmées : Ester Exposito, célèbre pour son rôle dans la série Netflix Elite et ébouriffante d’énergie dans le rôle de Lucia dans le génial délire sur-vitaminé Venus (vu il y a deux ans à Gérardmer hors compétition) de Jaume Balaguero, Mathilde Ollivier, comédienne française remarquée dans le Overlord de Julius Avery et enfin Malena Villa, qui s’est fait connaître avec le double rôle des sœurs jumelles du drame policier argentin-espagnol El Angel en 2018.

Pedro Martin-Calero a créé avec Les Maudites une œuvre envoûtante, tentaculaire, dont les ramifications se dévoilent progressivement. La malédiction qui poursuit les trois jeunes femmes à travers les âges et les continents est invisible au reste du monde. Elles seules peuvent la voir, sous la forme menaçante d’un homme âgé les épiant à travers un écran, quel qu’il soit. Selon l’époque, il s’agit d’un écran de télévision, d’ordinateur, de téléphone portable, ou simplement d’une fenêtre. Lorsque le sinistre personnage apparaît il n’est jamais animé de bonnes intentions, semant la mort sur son passage…

L’histoire, aussi mouvante qu’elle soit, ne perd pas de temps à situer les enjeux. Le cinéaste nous présente le quotidien de chacune : en 1988 en Argentine, Marie passe par tous les excès et les paradis artificiels, elle fait la fête sans se soucier du lendemain. Cela donne lieu à des scènes de boites de nuit un peu longuettes, avec force lumière stroboscopique. A Madrid en 2022, Andrea est très vite confrontée au poids de la menace lorsqu’elle assiste, impuissante, au meurtre de son petit ami par écran interposé.

A partir de là le réalisateur nous invite à un captivant voyage dont on ne saisira la signification que dans le dernier tiers du film. Les liens entre les personnages sont développés petit à petit, ce n’est que dans la dernière partie que toutes les pièces du puzzle trouvent leur place.

En filmant le parcours chaotique de ces trois femmes, Pedro Martin-Calero a construit un thriller surnaturel abordant plusieurs thèmes. Le féminicide, la mort en général, les liens de la famille, autant de sujet que le réalisateur a souhaité évoquer à la lumière du fantastique. Cela donne lieu à des scènes envoûtantes qui ne quitteront pas le spectateur de sitôt. En s’associant avec Isabel Pena pour écrire le scénario, le metteur en scène a créé une œuvre multi formes, plaçant ses héroïnes face à la mort, confrontées à une forme de réalité alternative, à un monde que nous ne voyons pas et n’entendons pas, et qu’elles seules ressentent.

Lorsque la lumière revient dans la salle après la scène explicative finale nous restons sur une sensation fugace, celle d’avoir assisté à une démonstration orchestrée au millimètre. Et pourtant un léger doute subsiste, des petites zones d’ombre persistent.

Pedro Martin-Calero conclut son film comme il l’a commencé : en gardant une part de mystère… Le public ne s’y est pas trompé, il a fait un accueil chaleureux au film lors de ses projections à Gérardmer.

Jérôme Magne