Notre société capitaliste a été portée à son paroxysme par les réseaux sociaux

Dans Girlfriend on Mars, le premier roman remarqué de l’auteure canadienne Deborah Willis, Kevin et Amber, deux trentenaires vivent une vie ennuyeuse tout juste rythmée par le commerce de marijuana jusqu’au jour où la jeune femme gagne un voyage sur Mars et devient célèbre. Un livre entre satire et roman social sur nos sociétés influencées par les réseaux sociaux et sur la fluctuation des valeurs. A l’occasion de sa venue au festival America de Vincennes, Hebdoscope l’a rencontré.


Deborah Willis et Emily St John Mandel
© Laurent Pfaadt

Comment est né ce livre ?

Le point de départ a été une émission de télé-réalité promettant aux gagnants un voyage sur Mars. J’ai trouvé cela fascinant que les gens veulent quitter la terre, leur famille, leurs amis. C’est à la fois courageux et triste. Et puis la voix de Kevin s’est imposée à moi et l’idée d’écrire ce roman ne m’a plus quitté.

Pourquoi veulent-ils quitter la terre ? Pour fuir leur anonymat ?

Oui. Certaines personnes veulent ainsi devenir célèbres. D’autres sont également muées par un désir colonialiste. Il y a également un côté sacrifice très intéressant pour permettre à l’humanité d’avancer, d’évoluer. Mais tout ceci n’est en réalité qu’une illusion.

Vos héros et notamment Amber semblent également prisonniers d’une identité construite par les réseaux sociaux

Amber est avant tout guidée par cet individualisme fabriqué par notre société capitaliste dans laquelle elle vit et qui a été portée à son paroxysme par les réseaux sociaux. Mais en réalité cette identité n’est que virtuelle.

Vous dénoncez également l’effacement de la frontière entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas

J’ai écrit ce livre lorsque Trump était président. Lorsqu’il disait quelque chose, des millions de gens pensaient que c’était la réalité. Il est aisé de se perdre dans tout cela comme d’ailleurs dans les théories du complot. Et de plus en plus de gens sont réceptifs à ce genre de discours. Des gens pensent réellement que la terre est plate. Cela me brise le cœur de penser à ces gens qui croient à de tels arguments.

Comme Kevin et Amber, des gens simples et pas très futés….

(Rires) Oui ! Beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi ils étaient si peu sympathiques. En fait, j’ai pris des parties de moi en les exagérant, des attitudes psychologiques comme la phobie de Kevin qui refuse de sortir de chez lui en les caricaturant. Je voulais aussi construire des personnages qui approchent leurs limites et sont poussés à les dépasser : Kevin qui voit son monde s’effondrer et doit réagir et Amber qui décide d’entreprendre ce voyage sur Mars.

Pour réparer quelque chose ? Parce qu’elle se sent coupable de ce qui se passe sur terre ?

Bien évidemment car elle est traversée par un sentiment de culpabilité et de honte.

On rit aussi beaucoup dans votre livre

Merci. Je tenais à introduire cette dimension humoristique dans le livre même si cela n’est pas naturel pour moi. Durant l’écriture du livre, j’étais traversé par des sentiments de colère et de tristesse et j’ai voulu mettre un peu d’humour pour atténuer cette descente dans le deuil car il s’agit surtout et avant tout d’un deuil.

Interview par Laurent Pfaadt

Deborah Willis, Girlfriend on Mars, traduit de l’anglais par Clément Baude
Aux éditions Rivages, 496 p.