Rentrée littéraire

Malgré-nous, Malgré quoi ? pouvait-on encore entendre dans la bouche de certains confrères il y a quelques années à propos de l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans la Wehrmacht et la Waffen SS durant la seconde guerre mondiale. La faute à un tabou de l’histoire française jamais purgé, passé sous silence y compris par des victimes soucieuses de retrouver cette même histoire nationale dont ils furent privés.


Des traumatismes que les victimes ont avec leurs silences emportés dans la tombe tout en les transmettant aux générations suivantes désireuses pourtant d’en savoir plus, de connaître leurs passés pour mieux se construire. C’était sans compter intellectuels et hommes de lettres bien décidés à briser ces silences afin d’offrir à la fois aux mânes de leurs morts, à l’histoire de France et à eux-mêmes quelque repos salvateur.

De féroces soldats, le nouveau roman de Joël Egloff, prix Inter 2005 pour L’Etourdissement est une de ces offrandes. Dans ce récit personnel intimiste et bouleversant, il raconte à hauteur d’adolescent, l’histoire de son père, écrasé par la grande roue de l’Histoire, en même temps que celle de sa chère Moselle devenue territoire du Reich. Une roue qui déferla en 1940 lorsque la France, vaincue, vit ses enfants partir vers le Nord puis revenir dans une province dévastée qui bientôt, envoya ses enfants servir un uniforme qui n’était pas le leur. A travers sa famille, l’auteur montre magnifiquement ce pays battu et pourtant solidaire et surtout ces êtres privés de tout qui développèrent une résilience incroyable et manifestèrent un courage exemplaire en trouvant refuge notamment dans cette citadelle identitaire qu’est leur langue, le platt. Il expose également cette angoisse qui grandit avant de devenir cauchemar lorsque l’incorporation de force fut décidée en 1942 et devient une réalité pour lui, le 5 octobre 1943.

« Même si le mot t’est encore inconnu, à dater de ce jour et pour le restant de ta vie, comme cent trente mille autres, désormais tu es un « Malgré-nous » » écrit Joël Egloff dont le père est alors incorporé dans une SS – malédiction de l’âge – expédiée dans les Ardennes et en Hongrie pour servir de chair à canon à un régime à l’agonie. Dix-huit ans pour découvrir une guerre et déjà une vie derrière soi sans savoir si elle va se poursuivre. Il y a là, dans le miroir de l’Histoire, un adolescent au contact de la guerre et un autre écoutant les souvenirs d’un père. Et dans leurs reflets, l’expérience du feu par ce même père face aux cendres du souvenir d’un fils qui souhaite, tel un phénix, ressusciter et traverser ce même miroir pour être là, avec lui.

Ces féroces soldats sont bien plus qu’un simple roman, qu’un simple témoignage familial. C’est une  pierre de plus dans le jardin de la reconnaissance de cette injustice qui, de l’Alsace à la Pologne en passant par la Belgique, le Luxembourg et bien entendu la Moselle, continue à planer au-dessus des mémoires de ces hommes et de ces femmes obligés de servir un régime qu’ils n’ont pas choisi. Le père de Joël Egloff survécut. D’autres n’eurent pas cette chance. Grâce au destin, il nous laisse ce livre précieux.

Par Laurent Pfaadt

Joël Egloff, Ces féroces soldats
Aux éditions Buchet Chastel, 240 p.