Alexandre Thiltges et Jean-Luc Bertini publient le deuxième opus de leur voyage littéraire à travers les Etats-Unis. Toujours aussi fascinant
Il ne s’agit pas d’un livre mais d’un voyage. A travers les Etats-Unis et sa littérature. Publié sous la direction de Francis Geffard, le directeur de la collection Terres d’Amérique chez Albin Michel et fondateur du festival America de Vincennes, Des écrivains en majesté se déploie tel un immense aigle littéraire survolant de la côte Ouest à la côte Est, les plages de Californie, les montagnes des Appalaches, les rues de New York et de la Nouvelle Orléans et les cataractes tumultueuses du Mississippi. Un voyage où l’on croise Colson Whitehead, le colosse de New York City, double prix Pulitzer pour Underground Railroad et Nickelboys (Albin Michel, 2017, 2020), Taylor Brown, Ron Rash, seigneur des Appalaches, Matthew Neill Null ou Colum Mc Mann, inoubliable auteur des Saisons de la nuit (Belfond, 1998) et d’Apeirogon (Belfond, 2020) sur le conflit israélo-palestinien que certains seraient bien inspirés de lire par les temps qui courent.

Après des Ecrivains en liberté (Albin Michel), Alexandre Thiltges et Jean-Luc Bertini ont ainsi repris leur route littéraire commencé dix ans plus tôt à bord de leur pick-up Ford pour nous offrir ce livre inoubliable. Car il s’agit bel et bien d’un cadeau, celui de rencontrer toutes ces plûmes, ces intellectuels qui traduisent l’Amérique d’aujourd’hui et de demain, celle qui s’apprête à voter le 5 novembre prochain pour décider du sort du monde. Placé sous la figure tutélaire du regretté Russell Banks dont les deux rencontres, réalisées à dix ans d’intervalle, encadrent l’ouvrage, les écrivains se confient sur leur travail, leurs influences, leur succès, attendu ou non. Il y a Daniel Mendelsohn, auteur des inoubliables Disparus (Flammarion, 2007), ce livre « qui a changé ma vie » confie celui qui s’est retrouvé à cours d’argent tant ce livre lui a coûté. Jesmyn Ward, double National Book Award (2011 et 2017), dont l’abnégation à se faire publier après l’échec de son premier roman, fut récompensé avec Bois sauvage (Belfond, 2012) puis Le chant des revenants (Belfond, 2019).
La violence, les fractures économiques, sociales, culturelles et leurs impacts sur leur environnement deviennent, de l’aveu même des écrivains rencontrés, les matrices créatrices de leurs romans ancrés dans les lieux et les territoires où ils vivent. « Il (le lieu) est aussi important pour moi que les personnages ou l’intrigue. L’endroit d’où l’on vient façonne ce que nous sommes et détermine notre manière de concevoir le monde » résume, à juste titre, sur les bords du Mississippi, Tom Franklin, auteur notamment du Retour de Silas Jones (Albin Michel, 2011). Une remarque que des écrivains tels que Ron Rash, David Joy ou Taylor Brown ne renieraient pas tant que la face sombre et écrasante des Appalaches s’impose comme un personnage à part entière dans leurs romans.
Des écrivains qui personnifient les différentes consciences de l’Amérique et questionnent en permanence le rêve américain devenu cauchemar chez Matthew Neill Null et Julie Otsuka. Parfois le livre se fend de quelque anecdote savoureuse tel ce groupe de rock réunissant Stephen King, Barbara Kingslover et Matthew Groening, le créateur des Simpson.
Dernière étape de ce voyage époustouflant : le New Jersey à la rencontre de la grande dame des lettres américaines, la femme d’une centaine de livres, de nouvelles, de pièces de théâtre auscultant la société américaine : Joyce Carol Oates. Celle « qui écrira jusqu’à son dernier souffle » selon nos auteurs personnifie à elle seule le voyage entrepris dans ce livre avec ces écrivains qui parlent des questions de genre, de race, de violence ou de déclassement. Grand prêtresse en quelque sorte de ces mythologies américaines qui traversent les œuvres de ces auteurs et s’affichent sur les merveilleuses photos de Jean-Luc Bertini, elle referme Des Ecrivains en majesté par une ode au livre : « Quand vous entrez dans une bibliothèque et que vous voyez tous ces livres, cela paraît normal que vous ayez envie d’écrire ». Nul doute que le livre d’Alexandre Thiltges et Jean-Luc Bertini trouvera une place de choix dans la nôtre.
Par Laurent Pfaadt
Alexandre Thiltges et Jean-Luc Bertini, Amérique – vol.2 Des écrivains en majesté
Chez Albin Michel, 336 p.