Rumours, nuit blanche au sommet.
Un film de Guy Maddin, Evan et Galen Johnson.
Présenté en compétition lors du 32ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer en janvier dernier, Rumours, nuit blanche au sommet sort aujourd’hui dans les salles obscures. Lors de son passage dans la Perle des Vosges le film n’a pas laissé les spectateurs de marbre. Mise en abyme géniale pour les uns, délire incompréhensible pour les autres, le Jury Longs-Métrages a tranché en lui décernant le Prix du Jury…
…certes ex-aequo avec l’excellent film coréen Exhuma de Jang Jae-hyun, mais signe que le long-métrage n’était pas dénué d’intérêt.
Projeté en fin de matinée le vendredi 31 janvier dans la salle de l’Espace Lac, le film avait d’abord été présenté par David Rault. Nous étions prévenus, le voyage allait être dépaysant. Rumours s’ouvre sur une description du G7, suivie par une musique de générique assourdissante. Les premiers instants confirment les avertissements entendus auparavant. Le sujet du film n’a a priori que peu de rapport avec le Fantastique : les dirigeants du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume Uni) se réunissent dans un château en Allemagne afin de rédiger une déclaration commune sur l’état du monde et les projets à mettre en œuvre pour endiguer les crises en cours. Un point pour le moins original, pour un film dit de genre.
Chaque Président (ou Chef de l’exécutif) est présenté sans faire de l’ombre à ses voisins. Tous auront en effet les honneurs au film du film, les metteurs en scène (l’un d’entre-eux, Evan Johnson, en est le scénariste) ayant fait en sorte de les affubler d’une bonne dose d’originalité. Chacun a droit à ses réparties. Rumours tire en effet une partie de sa force des monologues qui le traversent et des échanges savoureux entre dirigeants inspirés. Les dialogues, souvent décalés, sont en effet la base sur laquelle l’histoire se construit. Ils précèdent une action qui tarde à venir, lorsque les 7 se trouveront isolés du monde au cœur d’une nature devenue hostile, sans aucun moyen de communiquer vers l’extérieur. C’est alors que des cadavres enfouis datant de l’âge de pierre sortiront de terre pour se mettre à parcourir la nature environnante.
Les metteurs en scène canadiens démontrent un certain sens de la scénographie (voir la scène du bouquet, filmée de manière très théâtrale), et leur travail sur la lumière et les couleurs est intéressant. Ils suivent la progression du groupe au cœur de la nuit, et on ne sait si dehors c’est la fin du monde. Peut-être, ou pas. Peu importe, là n’est pas le sens du film. Rumours vaut essentiellement pour une ambiance indescriptible et ses dialogues souvent étranges.
Certaines scènes pourront paraître prévisibles, mais on aura alors une impression bizarre, comme si cela était fait à dessein. Une forme de second degré plane sur l’ensemble du film. Dans les scènes mises en avant l’exagération est soulignée par la musique, qui accentue leur côté incongru voire grotesque. Le discours politique est censé porter le film, mais il reste vague, de même que les réponses proposées par les membres du G7 à la crise mondiale. Le film est en quelque sorte un examen de conscience auquel est soumis chaque éminence : chacune est confrontée à ses regrets, ses failles et ses contradictions.
Lors des projections du film à Gérardmer Rumours a beaucoup fait parler. Film fantastique ou film politique, fable ou comédie ? Il faut bien reconnaître que l’aspect fantastique est présent sans l’être réellement : les cadavres immémoriaux sortis de terre et l’entité en forme de cerveau géant (qui a de quoi surprendre, baignée d’une lumière irréelle au détour d’un chemin) ne peuvent effectivement être expliqués de manière rationnelle, mais ils ne présentent pas de réelle menace et semble évoluer en parallèle de la réalité.
Le postulat de base du film a de quoi étonner, mais les têtes d’affiche sont de nature à convaincre les curieux. Aux côtés de Cate Blanchett, Charles Dance, Denis Ménochet et Alicia Vikander apportent un brin de fantaisie à un film qui n’en manque pas.
Rumours joue avec les nerfs de ses spectateurs, tiraillés entre pure consternation et francs éclats de rire. Au Festival de Gérardmer 2025 le mélange a su séduire.
Jérôme Magne