Deux magnifiques coffrets célèbrent Pierre Boulez en tant que compositeur et chef d’orchestre
J’ai eu la chance de pouvoir assister à un concert dirigé par Pierre Boulez. De voir l’histoire de la musique en train de s’écrire. De voir ces mains qui dirigeaient sans baguette, s’élevant dans l’air lorsqu’elles n’écrivaient pas sur une partition des œuvres qui ont, dès son vivant, rejointes le répertoire aux côtés de Mozart, de Beethoven, de Mahler et d’autres. C’était en 2005, il y a près de vingt ans, au Festspielhaus de Baden-Baden. Je me souviens, à l’instar de ma rencontre avec Pierre Soulages, avoir eu la tentation de monter dans sa loge pour le saluer mais le poids écrasant de Boulez dans la culture non seulement française mais également internationale – tout comme Soulages – écrasa toute velléité du jeune journaliste que j’étais alors.

Le Festspielhaus de Baden-Baden, cette ville où il résidait, entre France et Allemagne, et où il dirigea les plus grands orchestres notamment le Wiener Philharmoniker avec qui il interpréta ce soir-là la septième symphonie de Bruckner et la Nuit transfigurée d’un Arnold Schönberg qu’il vénérait plus que tout, est désormais devenu son tombeau pour l’éternité. Certes les deux formidables coffrets regroupant ses enregistrements en tant que chef d’orchestre et compositeur chez Deutsche Grammophon et Decca sortis ces jours-ci à l’occasion du centenaire de sa naissance ne contiennent pas ces deux œuvres mais la huitième de Bruckner et Pelleas et Melisande de ce même Schönberg. Deux coffrets qui résument malgré tout à merveille l’œuvre d’un musicien entré de son vivant dans la légende de son art.
Immense chef d’orchestre dirigeant « au tranchant de la main » et, à l’instar d’un Bernard Haitink, véritable métronome qui influença toute une génération de chefs à commencer par Sir Simon Rattle, Pierre Boulez laisse apparaître dans ce coffret ses compositeurs de prédilection : Maurice Ravel bien entendu avec qui il partagea cette philosophie de musique absolue qu’il transcenda notamment avec Pierre-Laurent Aimard, l’un de ses pianistes fétiches dans cet enregistrement DG avec l’orchestre de Cleveland, cet orchestre qui, avec celui de Chicago, fut l’un de ses plus fidèles compagnons de route. Bela Bartók ensuite bien évidemment qui ouvre ce coffret et que Boulez considérait comme l’un des cinq plus grands compositeurs du 20e siècle. Il est là avec son Concerto pour orchestre ou un très beau Mandarin merveilleux. Comme de nombreux chefs d’orchestre qui furent également compositeur – notamment Bernstein – Pierre Boulez transcenda le répertoire wagnérien – son Ring du centenaire mis en scène par Patrice Chéreau est présent en CD et en Blu-Ray après sa captation en 1980 pour notre plus grand plaisir, complété d’un incroyable Parsifal – et mahlérien avec une intégrale des symphonies qui rendent, avec leur dimension solaire, parfaitement justice au compositeur viennois, rapprochant son interprétation d’un Celibidache. Avec les plus grands solistes qui furent de véritables fidèles comme Mitsuko Uchida, impériale dans le très beau Concerto pour piano orchestre de Schönberg et Christian Tetzlaff, le coffret prend des airs de Champs-Élysées où les héros de la musique du siècle passé viennent ainsi se recueillir devant le temple de cet autre Apollon musagète d’un Stravinsky qu’il rencontra pour la première fois en 1952 puis régulièrement pendant quinze ans et dont il interpréta la musique dans un formidable coffret DG restitué en partie ici, en particulier cet Oiseau de feu de 1992 qu’affectionnait particulièrement Boulez. Bien évidemment, le coffret n’oublie pas cette création contemporaine qu’il favorisa à la fois comme chef et comme compositeur et les merveilleuses interprétations des œuvres d’Harrison Birtwistle sont là pour le rappeler. Les passionnés découvriront également quelques petites pépites comme ces Sept Haïkaï d’Olivier Messiaen en compagnie de la pianiste Joela Jones et le Cleveland Orchestra ou ses interviews sur Debussy, Mahler et Webern.
En tant que compositeur, Pierre Boulez révolutionna la musique, c’est peu dire. Fondateur de l’ensemble intercontemporain de Paris, il laisse quelques œuvres jouées dès son vivant par les plus grands orchestres et qui appartiennent aujourd’hui au répertoire : Repons, Le Marteau sans maître qu’aimait particulièrement Igor Stravinsky et bien évidemment ses fameuses Notations ou moins connu son Dialogue de l’ombre double. Une histoire musicale ainsi racontée merveilleusement par ces deux coffrets renfermant des disques devenus depuis longtemps des classiques et dont les pochettes nous sont si familières.
Une cathédrale sonore avec sa nef et sa petite chapelle renfermant bien plus que de la musique.
Par Laurent Pfaadt
Boulez, The Conductor – Complete Recordings on Deutsche Grammophon and Decca, coffret 84 CD et 4 Blu-Ray vidéo
Boulez, The Composer, coffret 13 CD (tirage Limité), Deutsche Grammophon