La saison de l’OPS s’est achevée les 22 et 23 mai par une exécution de haute volée de la seconde symphonie de Mahler. Un duo vocal de qualité, un double chœur et une masse orchestrale des plus imposantes, tous sous la direction d’Aziz Shokhakimov, auront, lors des deux soirées, suscité une écoute à la hauteur de l’évènement et une ovation interminable.

Photo Gregory Massat
Alain Lombard l’avait introduite dans le répertoire de l’orchestre en 1972 à l’occasion d’un concert mémorable à la cathédrale ; trente ans plus tard, Marc Albrecht la défendit avec le talent qui est le sien de même que Michael Gielen venu la jouer dans la salle Erasme avec son orchestre du Südwestfunk. Il n’empêche : la prestation du jeune directeur de l’OPS dans cette seconde symphonie de Gustav Mahler aura atteint un niveau soutenant les plus flatteuses comparaisons.
S’il est un compositeur que l’industrie du disque, dans sa grande époque des années 1960, aura entrepris de documenter bien avant qu’il ne devienne une tête d’affiche des grandes salles de concert, c’est bien Gustav Mahler. En une soixantaine d’années, il s’est ainsi accumulé une pléthore d’enregistrements, d’intérêt nécessairement inégal. Des grandes publications de cette symphonie dite ‘’Résurrection’’, il se dégage trois types d’approche dont la première vaut par son atmosphère hyper-romantique, ses contrastes exacerbés et une certaine exhibition sonore : les meilleurs dans le genre sont sûrement Zubin Mehta et Léonard Bernstein. A l’opposé, d’autres chefs ont surtout mis en avant le modernisme, sinon de l’écriture, au moins de l’orchestration et recherché une grande rigueur d’atmosphère : Otto Klemperer d’abord, Pierre Boulez ensuite ont talentueusement défendu cette optique. Mais une troisième approche s’est également fait entendre, autant capable de restituer le modernisme sonore que de faire entendre l’univers romantique dans lequel baigne l’oeuvre : l’initiateur en ce sens ne fut rien moins que Bruno Walter, le disciple du compositeur, son jeune assistant d’abord à Hambourg (1894) puis durant huit ans à Vienne quand Mahler dirigea le Staatsoper ; avant de devenir le grand défenseur de sa musique, il fut aussi, en 1911, son exécuteur testamentaire, héritant de la création post mortem de chefs d’oeuvre comme le Chant de la Terre et la neuvième symphonie. Deux autres chefs se sont inscrits dans le sillage de Bruno Walter, le tchèque Vaclav Neumann et le hongrois Georg Solti.

C’est dans ce sillage des plus idiomatiques que se situe la prestation de Shokhakimov et de ses musiciens. Dès l’immense marche funèbre qui constitue tout le premier mouvement, le jeune chef excelle à unir la constante lourdeur du climat psychologique avec l’indispensable allant du discours musical. La détente heureuse du second mouvement est magnifiquement restituée par des cordes au lyrisme parfait, avant l’ambiance sarcastique d’un scherzo aux plans sonores d’une lisibilité qui ne nuit en rien à l’atmosphère. La voix dense de la mezzo Anna Kissjudit nous vaut un Urlicht dramatique et puissant avant l’impressionnante explosion ouvrant le très long final. Cette alternance de dialogues instrumentaux en coulisses, de dorures sonores boisées et cuivrées et de tutti orchestraux démesurés est magistralement restituée par des musiciens au meilleur d’eux-mêmes. Excellemment préparé par Hendrik Haas, le chœur (ceux du Philharmonique et de l’Opéra) fait enfin son entrée, intégrant les interventions de la délicate soprano Valentina Farcas et de la profonde mezzo Anna Kissjudit, avant la résurrection finale. Le seul regret sera que cette magnifique soirée ne se soit vue pérennisée par aucune caméra ni aucun micro.
Cette seconde symphonie marque quasiment le terme du projet Mahler entrepris en 2018 et suspendu pendant la crise sanitaire. Ne manque plus que la huitième symphonie, qui pose des problèmes logistiques considérables. Une version sonorisée dans une acoustique déplorable entreprise par Jan Latham-Koenig il y a vingt ans aura surtout montré ce qu’il ne faut pas faire. La cathédrale reste sans doute le moins mauvais des pis-aller. On peut par ailleurs se demander si le projet ne gagnerait pas à être enrichi d’une exécution de la dixième symphonie, notamment dans l’édition achevée du musicologue Clinton A. Carpenter qui semble de grande valeur. Compte tenu des grands talents mahlériens du directeur de l’orchestre (déjà très remarqués dans les troisième et cinquième symphonies) et compte tenu de la médiocrité, au cours de cette intégrale, des interprétations des première, septième et surtout sixième symphonies, on peut aussi se demander si ces dernières ne mériteraient pas d’être redonnées au cours des saisons prochaines.
Michel Le Gris