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Else

Un film de Thibault Emin

Il y a huit jours nous évoquions une autre pépite (Les Maudites de Pedro Martin-Calero) vue dans le cadre de la compétition de la 32ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. A l’occasion de sa sortie nationale nous voilà de retour avec une autre trouvaille de ce bon vieux festival, toujours aussi généreux.


Et ici, il s’agit de Fantastique à la française, à savoir un mélange expérimental poétique qui embarque le spectateur dans une fin du monde jamais vue auparavant. Une science-fiction organique. Else est un premier long-métrage protéiforme (rares sont les films auxquels l’adjectif est aussi adapté !), dont la vision de l’apocalypse ne pourrait être résumée en quelques lignes. Mais essayons quand même, en reprenant le synopsis du film : Anx vient de rencontrer Cass quand l’épidémie éclate : partout, les gens fusionnent avec les choses. Cloîtré dans son appartement, le couple doit faire face à cette menace monstrueuse. Le spectateur comprend très vite qu’il n’y aura aucune référence à laquelle se raccrocher, aucun point de vue connu dans le Septième Art…..

Sur la grande scène de l’Espace Lac les festivaliers avaient pu assister à une longue présentation du film par son metteur en scène, son comédien principal et le producteur. Thibault Emin était le plus volubile des trois, son enthousiasme était communicatif. Et pour cause, il était face à des amateurs du genre, et savait que s’il y avait bien un public à même d’apprécier son œuvre c’était celui devant lequel il se trouvait. Il nous expliquait la genèse de son film et nous prévenait, il fallait s’attendre à être surpris…

Le générique donne le ton, Else sera organique. On pense vite à David Cronenberg, mais pas que. Anx et Cass se sont rencontrés il y a peu, ils forment un couple aussi hétérogène que possible ; autant Cass est vive, bruyante, expressive, autant Anx est réservé, timide. Dans sa première partie l’appartement de Anx jouera un rôle de premier plan. Une sorte de troisième personnage, avec ses drôles d’objets et ses couleurs criardes. L’épidémie lancée, Cass va traverser les rues confinées de la ville afin de se réfugier chez Anx, espérant échapper à l’épidémie. Tout autour d’eux, les êtres humains se mettent à fusionner avec les objets environnants. De la fenêtre Anx et Cass assistent à la métamorphose d’un SDF, qui se fond peu à peu dans le trottoir sur lequel il avait élu domicile.

Cass va rapidement être touchée par la maladie, Anx fera tout pour essayer de la soigner.

Thibaut Emin réalise avec ce premier film une œuvre surprenante, enthousiasmante. La narration regorge de surprises, et le style visuel offre au spectateur de magnifiques trouvailles, notamment lorsque Anx cherche à s’échapper de l’immeuble. Des images étranges, qui s’appuient sur les éléments physiques de notre monde tout en les déformant, pour parvenir à une vision lyrique de l’environnement. Lorsque Anx s’échappe de son immeuble avec sa voisine japonaise, entrelacés tels un projectile luminescent, on se dit que peu de metteurs en scène auraient été capables d’imaginer de telles images. On pense bien évidemment à David Lynch, à David Cronenberg, mais aucun nom français ne vient spontanément à l’esprit.

Fable sur l’homme et la nature, Else nous invite à un voyage à la fois philosophique et sensoriel. L’épidémie qui y est décrite ne saurait être combattue par un quelconque vaccin. On y voit une Nature qui reprend ses droits et intègre l’Humanité.

Le film se termine sur les images d’un monde nouveau, générées par l’intelligence artificielle. Sur la scène de l’Espace Lac le réalisateur nous confiait alors que cela n’était pas sa première idée, mais que la production l’avait « convaincu » de conclure son récit ainsi, en utilisant les multiples possibilités offertes par l’informatique. Les amateurs d’images de synthèse les trouveront inventives, les autres n’y verront pas un grand intérêt.

Else ne se résume heureusement pas à cette conclusion, mais vaut avant tout pour son idée de départ, sa manière de la matérialiser à l’écran et sa réflexion sur notre monde. Son film traduit à la perfection sa volonté initiale, qui était de convier le spectateur à un mélange de plusieurs genres. Else est à la fois un film d’auteur et un film de genre qui devrait trouver son public lors de sa sortie en salle, après avoir fait la tournée des festivals (SITGES, TIFF, l’Étrange Festival, Gérardmer).

Jérôme Magne

Les Maudites

Un film de Pedro Martin-Calero

Premier long-métrage de Pedro Martin-Calero, cette co-production (Espagne-Argentine-France) avait été doublement récompensée en janvier dernier lors de la 32ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Il est donc très agréable de voir le film distribué aujourd’hui sur nos écrans.

Présenté sous son titre à l’international (The Wailing, El Llanto en V.O.), le film y avait fait un passage remarqué en empochant à la fois le Prix de la Critique et celui du Jury Jeunes de la Région Grand-Est. A Gérardmer, la 32ème édition de la manifestation avait projeté une variété de films bienvenue, proposant un large spectre de ce que le genre pouvait offrir. En ce début d’année 2025 les amateurs avaient pu y apprécier certaines œuvres, notamment Les Maudites.

Le synopsis du film tente de résumer l’intrigue le plus sobrement possible et y parvient plutôt bien : séparées par des continents et par des époques, trois jeunes femmes sont hantées par les mêmes sensations et entendent le même cri.

Il y a Andrea, étudiante madrilène vivant à notre époque (2022), qui va tenter de découvrir la vérité alors qu’elle est à la recherche de ses parents adoptifs. Viennent ensuite Marie, jeune Française vivant à La Plata en Argentine en 1988 et Camila, étudiante en cinéma qui ne cesse de la suivre alors qu’elle a fait d’elle le sujet principal de son court-métrage d’études. Toutes trois sont hantées par des sensations étranges, dérangeantes, des visions qu’elles seules perçoivent. Pour incarner ces trois personnages féminins forts le réalisateur a fait appel à trois comédiennes confirmées : Ester Exposito, célèbre pour son rôle dans la série Netflix Elite et ébouriffante d’énergie dans le rôle de Lucia dans le génial délire sur-vitaminé Venus (vu il y a deux ans à Gérardmer hors compétition) de Jaume Balaguero, Mathilde Ollivier, comédienne française remarquée dans le Overlord de Julius Avery et enfin Malena Villa, qui s’est fait connaître avec le double rôle des sœurs jumelles du drame policier argentin-espagnol El Angel en 2018.

Pedro Martin-Calero a créé avec Les Maudites une œuvre envoûtante, tentaculaire, dont les ramifications se dévoilent progressivement. La malédiction qui poursuit les trois jeunes femmes à travers les âges et les continents est invisible au reste du monde. Elles seules peuvent la voir, sous la forme menaçante d’un homme âgé les épiant à travers un écran, quel qu’il soit. Selon l’époque, il s’agit d’un écran de télévision, d’ordinateur, de téléphone portable, ou simplement d’une fenêtre. Lorsque le sinistre personnage apparaît il n’est jamais animé de bonnes intentions, semant la mort sur son passage…

L’histoire, aussi mouvante qu’elle soit, ne perd pas de temps à situer les enjeux. Le cinéaste nous présente le quotidien de chacune : en 1988 en Argentine, Marie passe par tous les excès et les paradis artificiels, elle fait la fête sans se soucier du lendemain. Cela donne lieu à des scènes de boites de nuit un peu longuettes, avec force lumière stroboscopique. A Madrid en 2022, Andrea est très vite confrontée au poids de la menace lorsqu’elle assiste, impuissante, au meurtre de son petit ami par écran interposé.

A partir de là le réalisateur nous invite à un captivant voyage dont on ne saisira la signification que dans le dernier tiers du film. Les liens entre les personnages sont développés petit à petit, ce n’est que dans la dernière partie que toutes les pièces du puzzle trouvent leur place.

En filmant le parcours chaotique de ces trois femmes, Pedro Martin-Calero a construit un thriller surnaturel abordant plusieurs thèmes. Le féminicide, la mort en général, les liens de la famille, autant de sujet que le réalisateur a souhaité évoquer à la lumière du fantastique. Cela donne lieu à des scènes envoûtantes qui ne quitteront pas le spectateur de sitôt. En s’associant avec Isabel Pena pour écrire le scénario, le metteur en scène a créé une œuvre multi formes, plaçant ses héroïnes face à la mort, confrontées à une forme de réalité alternative, à un monde que nous ne voyons pas et n’entendons pas, et qu’elles seules ressentent.

Lorsque la lumière revient dans la salle après la scène explicative finale nous restons sur une sensation fugace, celle d’avoir assisté à une démonstration orchestrée au millimètre. Et pourtant un léger doute subsiste, des petites zones d’ombre persistent.

Pedro Martin-Calero conclut son film comme il l’a commencé : en gardant une part de mystère… Le public ne s’y est pas trompé, il a fait un accueil chaleureux au film lors de ses projections à Gérardmer.

Jérôme Magne

Rumours, nuit blanche au sommet

Rumours, nuit blanche au sommet.
Un film de Guy Maddin, Evan et Galen Johnson.

Présenté en compétition lors du 32ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer en janvier dernier, Rumours, nuit blanche au sommet sort aujourd’hui dans les salles obscures. Lors de son passage dans la Perle des Vosges le film n’a pas laissé les spectateurs de marbre. Mise en abyme géniale pour les uns, délire incompréhensible pour les autres, le Jury Longs-Métrages a tranché en lui décernant le Prix du Jury…

…certes ex-aequo avec l’excellent film coréen Exhuma de Jang Jae-hyun, mais signe que le long-métrage n’était pas dénué d’intérêt.
Projeté en fin de matinée le vendredi 31 janvier dans la salle de l’Espace Lac, le film avait d’abord été présenté par David Rault. Nous étions prévenus, le voyage allait être dépaysant. Rumours s’ouvre sur une description du G7, suivie par une musique de générique assourdissante. Les premiers instants confirment les avertissements entendus auparavant. Le sujet du film n’a a priori que peu de rapport avec le Fantastique : les dirigeants du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume Uni) se réunissent dans un château en Allemagne afin de rédiger une déclaration commune sur l’état du monde et les projets à mettre en œuvre pour endiguer les crises en cours. Un point pour le moins original, pour un film dit de genre.

Chaque Président (ou Chef de l’exécutif) est présenté sans faire de l’ombre à ses voisins. Tous auront en effet les honneurs au film du film, les metteurs en scène (l’un d’entre-eux, Evan Johnson, en est le scénariste) ayant fait en sorte de les affubler d’une bonne dose d’originalité. Chacun a droit à ses réparties. Rumours tire en effet une partie de sa force des monologues qui le traversent et des échanges savoureux entre dirigeants inspirés. Les dialogues, souvent décalés, sont en effet la base sur laquelle l’histoire se construit. Ils précèdent une action qui tarde à venir, lorsque les 7 se trouveront isolés du monde au cœur d’une nature devenue hostile, sans aucun moyen de communiquer vers l’extérieur. C’est alors que des cadavres enfouis datant de l’âge de pierre sortiront de terre pour se mettre à parcourir la nature environnante.

Les metteurs en scène canadiens démontrent un certain sens de la scénographie (voir la scène du bouquet, filmée de manière très théâtrale), et leur travail sur la lumière et les couleurs est intéressant. Ils suivent la progression du groupe au cœur de la nuit, et on ne sait si dehors c’est la fin du monde. Peut-être, ou pas. Peu importe, là n’est pas le sens du film. Rumours vaut essentiellement pour une ambiance indescriptible et ses dialogues souvent étranges.
Certaines scènes pourront paraître prévisibles, mais on aura alors une impression bizarre, comme si cela était fait à dessein. Une forme de second degré plane sur l’ensemble du film. Dans les scènes mises en avant l’exagération est soulignée par la musique, qui accentue leur côté incongru voire grotesque. Le discours politique est censé porter le film, mais il reste vague, de même que les réponses proposées par les membres du G7 à la crise mondiale. Le film est en quelque sorte un examen de conscience auquel est soumis chaque éminence : chacune est confrontée à ses regrets, ses failles et ses contradictions.

Lors des projections du film à Gérardmer Rumours a beaucoup fait parler. Film fantastique ou film politique, fable ou comédie ? Il faut bien reconnaître que l’aspect fantastique est présent sans l’être réellement : les cadavres immémoriaux sortis de terre et l’entité en forme de cerveau géant (qui a de quoi surprendre, baignée d’une lumière irréelle au détour d’un chemin) ne peuvent effectivement être expliqués de manière rationnelle, mais ils ne présentent pas de réelle menace et semble évoluer en parallèle de la réalité.

Le postulat de base du film a de quoi étonner, mais les têtes d’affiche sont de nature à convaincre les curieux. Aux côtés de Cate Blanchett, Charles Dance, Denis Ménochet et Alicia Vikander apportent un brin de fantaisie à un film qui n’en manque pas.

Rumours joue avec les nerfs de ses spectateurs, tiraillés entre pure consternation et francs éclats de rire. Au Festival de Gérardmer 2025 le mélange a su séduire.

Jérôme Magne

The Insider

The Insider

Un film de Steven Soderbergh

A peine plus d’un mois après nous avoir proposé une intéressante relecture du film de fantômes (Presence, présenté en avant-première hors compétition du 32ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer), Steven Soderbergh nous revient avec, là encore, une relecture originale du film d’espions.

Et comme on pouvait l’imaginer, son adaptation n’a rien à voir avec le côté spectaculaire et glamour de l’univers de Ian Fleming avec son célèbre agent 007. Pas d’explosions, de courses pousuites en tout genre, et encore moins de gadgets tous plus sophistiqués les uns que les autres. Le héros du film ne s’appelle pas James Bond (même si un célèbre 007 est présent à l’écran en la personne de Pierce Brosnan) mais George Woodhouse, et il ne collectionne pas les conquêtes amoureuses au gré de ses nombreux déplacements. Il forme au contraire un couple soudé, aimant, avec son élégante épouse Kathryn, elle aussi officier du renseignement britannique. De par leur profession, George et Kathryn ne peuvent parler de leurs missions entre-eux, le secret étant la base de leur existence. Aussi quand le supérieur de George lui demande de démasquer un traitre parmi cinq de ses collègues (sa femme en fait partie), il se met à douter de sa loyauté. Sera-t-il prêt à la démasquer, jusqu’où ira son amour en cas de trahison. Vers qui justement sa loyauté s’orientera-t-elle ?

Dans la peau de George, le comédien Michael Fassbender (vu dans Hunger, Inglorious Basterds, quatre épisodes de la saga X-Men où il interprète Magnéto, deux de la saga Alien, où il est l’androide David, ou encore le Steve Jobs de Danny Boyle…) est parfait. Clinique, froid et calculateur, il donne vie à un être insondable, en apparence dénué de tout sentiment. Dévoué à sa patrie et à son travail, sa vie est une contradiction de chaque instant : il évolue dans un monde de mensonge, alors qu’il abhorre le mensonge. Aussi quand on lui apprend que sa chère et tendre fait partie des cinq agents suspectés de trahison ses certitudes vacillent. Il mettra tout en œuvre pour éclaircir le complot, quitte à trahir ou sa patrie ou son épouse…

Face à lui, la toujours parfaite Cate Blanchett (la glaciale Galadriel du Seigneur des Anneaux, Monuments Men, Ocean’s 8, Babel, Elizabeth : l’Âge d’or) incarne une compagne dévouée, manipulatrice, prête à tout pour sauver son couple, dont on ne sait si elle est la taupe. Parmi les cinq suspects elle est la première qui vient à l’esprit, c’est donc sur elle que George va d’abord se concentrer. Mais au fur et à mesure les choses changeront, d’autres pistes se dévoileront, qui pointeront vers d’autres suspects (pour nous ballader ?).

L’ouverture du film donne le ton. A la nuit tombée, George pénètre dans une boite londonienne. Il y rencontre un contact (son supérieur), qui l’informe de l’existence d’une taupe dans le service, associée au vol d’un mystérieux logiciel. Le patron ironise sur son domaine de compétence, lui-même n’étant pas parvenu à dissimuler ses infidélités à sa compagne, alors que le mensonge est son fonds de commerce… George va bien tenter de lui donner quelques conseils, il n’aura pas l’occasion de les appliquer.

George convie alors les quatre agents à un dîner chez lui, afin de les tester aux côtés de sa femme. Kathryn fait partie des suspects mais ne le sait pas. Au cours du repas des tensions apparaissent, des secrets sont dévoilés, mais rien qui n’indique un coupable en particulier.

Steven Soderbergh est méticuleux. Il prend d’abord un soin particulier à dresser le décors, habille les scènes d’une musique feutrée, jazzy, avant de présenter ses protagonistes. Ceux-ci s’affrontent au gré de dialogues courts mais toujours évasifs, chacun prenant soin de ne jamais dévoiler ses réelles intentions. Dans le rôle principal, le comédien irlando-allemand Michael Fassbender excelle. Très discret, peu expressif, il renvoie l’image d’un patriote opiniâtre, qui ne s’arrêtera que lorsqu’il aura démasqué la taupe. Son apparence, costumes sans relief, lunettes à grosse monture et regard vide renforce l’impression d’un fonctionnaire sans imagination à la loyauté indéfectible. Placé au coeur d’un complot dont les pions sont mouvants, il doit laisser ses sentiments de côté, et envisager la trahison de son épouse. Dans le rôle de Kathryn, Cate Blanchett incarne un autre agent expérimenté, un peu plus plus expressive que son époux. Rapidement alertée de la chasse à la taupe, elle va jouer sa partition avec maîtrise, multipliant les signaux contradictoires menant l’investigation sur des fausses pistes.

Avec The Insider, Steven Soderbergh invite le spectateur à un jeu du chat et de la souris qui ne s’embarasse pas de fioritures et va à l’essentiel. Film d’espionnage à l’ancienne, les confrontations y sont essentiellement orales, la tension naît de phrases interrompues, de regards hésitants et de rendez-vous clandestins. En à peine plus d’une heure trente le réalisateur nous invite à partager le quotidien d’un couple dont on ne découvre le réel lien qu’à la toute fin. Les dernières secondes affichent plus de légèreté : elles nous montrent George esquisser un sourire, alors qu’il avait traversé le film tel un robot, ne manifestant aucune expression quelle que soit la situation. Une excellente manière de conclure…

Jérôme Magne

32ème festival International du Film Fantastique de Gérardmer

Au siècle dernier, en 1994, se tenait le premier Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, alors sobrement appelé Fantastica. Reprenant le flambeau du Festival International du Film Fantastique d’Avoriaz, l’événement allait s’étoffer au fil des éditions en dépassant le cadre du cinéma et en s’ouvrant sur de nouveaux horizons. Aujourd’hui communément évoqué sous la sobre appellation « Festival de Gérardmer » la manifestation a acquis une notoriété qui dépasse les frontières de la région et de l’Hexagone.


Pendant les cinq jours que dure le festival, la ville se transforme en une sympathique fourmilière, les cinéphiles arpentant sans relâche les salles obscures de la ville. Les rues de la Perle des Vosges sont alors le théâtre de petits mouvements de foule incessants, les amateurs de sensations fortes se déplaçant d’une salle de projection à l’autre, au gré de processions toujours enthousiastes.

Ce millésime n’a pas fait exception, et a comme chaque année dépassé le cadre des salles obscures en proposant masterclass
(Ti West était à l’honneur cette année, un hommage lui a été rendu à l’occasion d’un discours vibrant et très inspiré d’Aude Hesbert, la nouvelle Directrice Générale de Hopscoth Cinéma, l’ex-Public Système Cinéma organisant le festival de Gérardmer et celui de Deauville notamment), conférence sur les fantômes au féminin à travers les âges (et révélateurs de notre rapport à la féminité), table ronde sur l’art des effets spéciaux au cœur du fantastique, participation de grands noms de la littérature fantastique au salon du Grimoire, sans oublier le retour de la zombie walk, cette année sous des cieux cléments.

Les Jurys Longs-Métrages et Courts-Métrages étaient eux aussi sous le signe de la féminité, Vimala Pons présidant le premier, tandis qu’Emma Benestan était à la tête du second. Aux côtés de Vimala Pons, Vladimir Cauchemar, Jérémy Clapin, Clotilde Hesme, William Lebghil, Caroline Poggi et Jonathan Vinel, tandis qu’Emma Benestan (dont le récent Animale nous avait charmé) était assistée d’Olivier Afonso, Emma Chevalier, Théo Cholbi et Tiphaine Daviot.

Pendant les cinq jours du festival chaque équipe allait décortiquer son lot de productions (9 longs-métrages et 8 courts-métrages), qui, on peut l’affirmer d’entrée, étaient de très bonne qualité pour la grande majorité.

Rumours : la folle équipe au complet.

Présenté en compétition, Rumours des Canadiens Guy Maddin, Evan Johnson et Galen Johnson nous faisait partager la réunion des chefs politiques du G7. Le film est basé sur une idée originale, celle d’éminents dirigeants politiques se retrouvant dans un endroit isolé en Allemagne pour échanger et rédiger une déclaration sur la crise mondiale. Et qui vont vite se retrouver entourés de créatures d’un autre âge. Le film est plutôt contemplatif et tire surtout son intérêt d’une interprétation efficace :Cate Blanchett, Denis Ménochet, et Charles Dance pour ne citer que les plus connus. Les comédiens endossent tous une défroque inédite, et lui donnent un éclairage original. En Président de la République Française, Denis Ménochet hérite d’une partition savoureuse et tout en nuance. Il nous fait partager des moments hors du temps lors de ses monologues hallucinés, tandis qu’en cheffe de la représentation et chancelière allemande Cate Blanchett a fort à faire pour maintenir la cohésion du groupe.

Au terme du festival, Rumours a décroché le Prix du Jury.

Azrael, ou la résilience faite femme.

En compétition également, Azrael de l’Américain E.L. Katz, invitait les spectateurs à un voyage au cœur d’un monde où les êtres humains auraient perdu la parole. Aucune explication donnée à ce postulat. Pourchassée par un groupe voulant la sacrifier en l’honneur d’un mal ancestral, Azrael va tout faire pour échapper à ses poursuivants. Dans cet univers sans aucune voix, Azrael va être capturée et se libérer à plusieurs reprises, démontrant une résilience hors du commun et une farouche volonté de se faire justice. Azrael étant sans dialogues, les images, les décors et surtout l’expressivité des comédiens étaient très importants. Le récit n’a eu aucun mal à captiver son public, le film aurait mérité un prix. Mais cette année la concurrence était rude.

The Wailing. Andrea n’est pas seule.

Également en lice de cette 32ème édition, The Wailing (Les Maudites) de l’espagnol Pedro Martin-Calero nous faisait partager l’histoire de trois jeunes femmes, Andrea, Camila et Marie, à travers les continents et à travers les âges. Sur la grande scène de l’Espace Lac, le jeune metteur en scène avait évoqué son admiration pour le regretté David Lynch (et en particulier son génial Lost Highway). Mais les premières minutes du film nous ont plutôt fait penser au Grand Prix et Prix de la Critique de l’édition 2015 du festival, It Follows de David Robert Mitchell. Andrea se sent observée par une présence invisible, qu’elle ne peut distinguer par elle-même. Seul indice, une ombre étrange à l’arrière-plan, lorsqu’elle visionne des vidéos d’elle-même que son petit ami lui transmet lors d’appels en visio. Une ombre inquiétante au début, puis une menace tangible lorsque celle-ci s’en prendra à son copain en direct. La structure narrative du film est originale, elle alterne les points de vue, puisque la malédiction (c’est bien de cela qu’il s’agit) est évoquée à travers des personnes, lieux et époques différentes. The Wailing est un film intéressant qui met les femmes au premier plan. Persécutées, elles s’efforcent d’aller de l’avant malgré un sort qui ne cesse de s’acharner sur elles.

Le film a été récompensé par deux Prix, celui de la Critique et celui du Jury Jeunes de la Région Grand-Est.

Oddity. Darcy mène l’enquête.

On continue ce panorama de la compétition avec Oddity, du réalisateur irlandais Damian McCarthy. Oddity a séduit l’ensemble des festivaliers. Son film a en effet été récompensé par le Prix du Public, pour certains la distinction la plus prestigieuse de la manifestation. Avec des éléments empruntant à la fois au film de genre et au thriller, Oddity captive son audience qui suit le quotidien d’un gentil petit couple en pleine installation dans une belle maison perdue au milieu de nulle part. Ted et Dani ont acheté ensemble une immense masure. Pendant que Ted travaille à l’institut psychiatrique de la région, Dani effectue la touche finale avant leur installation. Un soir où elle est seule à l’intérieur, un inconnu frappe à la porte et la met en garde : un inconnu se serait glissé à l’intérieur alors qu’elle cherchait des affaires dans sa voiture garée juste devant. Elle ne sera pas convaincue. Plus tard, nous suivons la quête de Darcy, la sœur jumelle de Dani, qui veut démasquer le meurtrier de sa sœur. Aveugle, Darcy possède un don, celui de communiquer avec les défunts au contact d’un objet leur ayant appartenu. Elle va proposer à Ted de trouver l’assassin de son épouse. Avec son histoire, ses décors, ses dialogues et son interprétation (mention spéciale à Carolyn Bracken, qui incarne les deux sœurs jumelles), Oddity entraîne le spectateur dans un parcours tortueux où les apparences sont trompeuses. La dernière scène, aussi convenue soit-elle, est savoureuse. Étonnante jusqu’à la fin, cette Darcy…

In a Violent Nature. Faut pas tourner le dos à Johnny.

Également en compétition et digne représentant du sous-genre du slasher, In a Violent Nature du canadien Steve Nash proposait une relecture originale du croquemitaine implacable. Ici le terrifiant épouvantail (dont on apprendra plus tard qu’il s’appelle Johnny), increvable et muet comme le veut la tradition, a été « réveillé » par d’authentiques gentils crétins (la tradition est toujours respectée), qui ont pris par mégarde le pendentif posé au-dessus de sa sépulture. Johnny s’en va surgir de terre, puis entreprendre calmement de massacrer tous les membres de la joyeuse bande. Au cœur de la magnifique forêt d’Ontario le spectateur suit la tranquille croisade de Johnny d’un air plutôt intéressé au début. Les meurtres sont très graphiques, plutôt originaux et ne laissent aucune place à l’imagination. Mais au fil de la ballade du boogeyman on se surprend à trouver le temps long. Et à avoir envie d’enfiler ses chaussures de randonnée, tant la nature est ici mise en valeur. Ce n’est pas la faute à une durée trop conséquente (In a Violent Nature dure à peine plus d’1H30), mais plutôt dû au fait qu’à partir du troisième meurtre l’effet de surprise a disparu. Reste que le film colle à son personnage principal, l’histoire étant presque intégralement vue à travers son regard.

À l’étonnement général du public, le film a remporté le Grand Prix. Le Jury Longs-Métrages s’en est justifié en évoquant l’originalité de la démarche, qui met son monstre aux commandes et place le spectateur dans une position particulière, devenant le témoin consentant, voire le complice des scènes de boucherie qui se suivent.

Grafted. Wei change de peau.

Sélectionné dans la compétition, Grafted de la néo-zélandaise Sasha Rainbow nous faisait suivre l’installation d’une jeune chinoise, Wei, partie étudier dans une prestigieuse université de Nouvelle-Zélande. Affligée d’une maladie de peau (une grande tache sur la joue, qu’elle tente de masquer avec sa chevelure), elle se spécialise dans la recherche médicale avec l’espoir de changer son apparence. Elle continue les recherches de son père, qui se sont autrefois soldées par un échec. Brillante, Wei ne parvient pas vraiment à s’intégrer à son groupe, mais va tout faire pour s’attirer les bonnes grâces de la meneuse. Tout en devenant la petite protégée de son maître de recherches, un personnage ambitieux qui rêve de sortir de son anonymat grâce au talent de la nouvelle arrivée. Avec son excellente musique et des scènes gore bien amenées Grafted entraîne le spectateur dans un manège qui donne le tournis. Le film dresse le portrait émouvant d’une jeune fille en mal d’amour que la nature n’a pas épargnée, et qui sombre dans la folie…

Else. Ne faire qu’un avec la nature.

Septième film en compétition, Else du français Thibault Emin. Monté sur la scène de l’Espace Lac, le réalisateur nous a présenté longuement son œuvre en en faisant la genèse. Volubile et enthousiaste, il a convaincu l’audience de sa sincérité et sa générosité. Pour parfaire cette sympathique introduction le comédien principal et le producteur étaient également présents, et ont appuyé ses propos, en confirmant que le film était d’un genre particulier. De l’organique, une vision extrêmement originale, un concept et un style à part. Dans un monde en crise, Anx et Cass viennent de se rencontrer. Autour d’eux une terrible épidémie se répand, les gens fusionnent avec les objets. Cloîtrés dans l’appartement d’Anx, le couple essaye d’éviter la contamination. Else fait partie de ces films captivants auxquels on pense encore longtemps après les avoir vus. On n’est pas certain d’avoir tout compris, mais ce n’est pas là le plus important. Ce qu’il faut en retenir : un voyage inédit au cœur d’un monde en mutation, dans lequel deux êtres que le destin a rapproché s’allient pour faire face à l’inéluctable. Une très belle fable, qui n’a malheureusement pas remporté de Prix à Gérardmer, mais a pu séduire une large audience.

La Fièvre de l’Argent. L’ancienne vie de Laura.

Huitième et avant-dernier film de la compétition, La Fièvre de l’Argent (Rich Flu en anglais) était le troisième long-métrage de l’Espagnol Galder Aztelu-Urrutia, qui s’est fait connaître avec les films de science-fiction La Plateforme en 2019 et sa suite l’année dernière. Là encore, il s’agit d’une épidémie qui s’abat d’abord sur les personnes les plus riches et influentes de la planète. Celles-ci meurent sans explication les unes après les autres, puis la « maladie » touche les individus dont la richesse est inférieure, et ainsi de suite. Cette épidémie fait sombrer le monde dans le chaos, les puissants cherchant alors le moyen le plus rapide de se séparer de toute leur richesse. Avant l’explosion de la catastrophe, Laura, jeune cadre travaillant dans le cinéma au cœur des paillettes d’Hollywood, passe son temps à essayer de damer le pion à ses concurrentes. Ambitieuse, elle est en conflit avec son ex-mari à propos de la garde de sa fille. Rapidement ses petits problèmes vont lui paraître bien mesquins, lorsqu’elle va réaliser que c’est la possession qui amène la mort. Or son milliardaire de patron vient de lui transmettre une jolie partie de son patrimoine…

Dans le rôle de Laura, la comédienne Mary Elizabeth Winstead (Boulevard de la mort, Die Hard 4, Scott Pilgrim, 10 Cloverfield Lane pour ne citer que les plus connus) excelle, parvenant à traduire l’évolution de son personnage. La dernière scène, où elle affiche un fascinant sourire, à la fois charmeur et féroce, est un intéressant rebondissement en soi: elle remet en cause tout ce que l’humanité a pu apprendre au cours des récents événements. Le monde a changé, mais pas les hommes…

EXHUMA. Les Quatre contre le Démon.

Dernier film de la compétition, EXHUMA du réalisateur coréen Jang Jae-hyun nous invite à suivre le combat de deux chamans (associés à un géomancien et un croque-mort) contre une entité maléfique s’acharnant sur une riche famille. L’occasion pour les amateurs de retrouver le célèbre comédien Choi Min sik (Old Boy, Lady Vengeance, J’ai rencontré le Diable), qui incarne ici un géomancien spécialisé dans la recherche de lieux de sépulture « adéquats ». Sa mission sera de trouver une nouvelle sépulture à un ancêtre belliqueux revenu d’entre-les-morts, afin qu’il cesse d’accabler sa descendance lointaine. Comme souvent, la mise en scène coréenne n’a pas son pareil pour tisser un fascinant climat et faire apparaître petit à petit le surnaturel. Le spectateur s’identifie assez vite à ces « ghostbusters » asiatiques, il en vient à craindre pour leur vie. Le monde de l’au-delà est présent ici ou là, il cohabite de la plus naturelle des façons avec le monde réel ; c’est là toute la réussite d’EXHUMA, qui a été récompensé par le Prix du Jury, ex-aequo avec Rumours.

Mais le Festival de Gérardmer ce n’est pas qu’une ribambelle de films présentés en compétitions. Une sélection Hors Compétition est projetée chaque année, et elle propose souvent des péloches hautement recommandables. Nous allons évoquer ici celles qui nous ont particulièrement marqué.

In Vitro. On ne clone pas n’importe qui.

In Vitro des Australiens Will Howarth et Tom McKeith nous invitait à suivre le quotidien harassant d’un couple, Jack et Layla, exploitant un élevage bovin en Australie dans un proche futur. L’exploitation étant au bord de la faillite, Jack s’est tourné vers les biotechnologies dans l’espoir de sauver son entreprise. La science lui permet de cloner ses bêtes, mais la réussite n’est pas toujours là. Certains événements vont amener Layla à douter de la sincérité de son époux, et à le soupçonner de s’être lancé dans des expériences interdites. Le film est bien construit, ne fait pas appel à de gros effets spéciaux et pourtant, un climat anxiogène s’installe très naturellement. La quête de vérité de Layla nous entraîne avec elle, on s’attache au personnage tout en étant fasciné par l’apparente sincérité de Jack. In Vitro était une bonne surprise, de celles qu’on aimerait bien voir arriver dans nos salles obscures au courant de l’année.

Last Stop : Rocafort Station. Le métro barcelonais comme vous ne l’avez jamais vu.

LastStop : Rocafort Station de l’Espagnol Luis Prieto nous fait partager la vie de Laura, alors que celle-ci vient de décrocher un travail pour le Métro barcelonais. Affectée à la vieille station Rocafort, Laura se plaît dans cette nouvelle vie. Mais bien vite elle va être amenée à s’interroger sur certains événements, la station Rocafort ayant été le théâtre d’événements sanglants bien des années auparavant. Laura (l’actrice Natalia Azahara rappelle étonnamment Jessica Alba) est sujette à des visions dans son nouveau cadre. Elle va s’associer à un ancien flic présent sur le lieu du drame ayant coûté la vie à une famille 25 années auparavant. Le métro et la ville de Barcelone offrent un cadre idéal pour cette enquête étouffante, qui pourra faire penser à la quête d’Harry Angel dans l’excellent Angel Heart d’Alan Parker. Avec son climat étouffant et l’énergie de ses protagonistes (notamment Javier Gutierrez), Last Stop : Rocafort Station propose un intéressant voyage au cœur d’une ville palpitante, tour à tour étouffante et pleine de vie.

Presence. Une maison habitée.

Presence de Steven Soderbergh (oui, oui, cette année un film du célèbre metteur en scène était projeté au festival) met la figure du poltergeist à l’honneur. La famille Payne emménage dans une vaste maison de banlieue. Les parents, Rebecca (Lucy Liu) et Chris, et les enfants, Tyler et Chloe, cherchent à prendre un nouveau départ. Le couple est en crise, et Chloe est encore marquée par le décès récent de sa meilleure amie Nadia. Steven Soderbergh filme la maison comme un être vivant, et pour cause. Un poltergeist y réside, c’est donc à travers ses « yeux » que nous assisterons à la vie quotidienne de la famille à l’intérieur des murs. La maîtrise du metteur en scène n’est plus à démontrer, il s’acquitte de sa tâche avec la virtuosité qu’on lui connaît. En suggérant le fantôme qui hante les pièces il fait de la maison un personnage à part. Celle-ci devient une entité vivante dotée d’une volonté propre et capable d’actions concrètes sur les choses et les êtres vivants. Aux côtés de la famille Payne le spectateur se surprend à sursauter, à se dresser dans son fauteuil alors que le poltergeist s’exprime par divers moyens. L’art du cadrage et du montage du réalisateur est toujours aussi efficace, il parvient à contrebalancer un suspens assez ronronnant. Et n’oublions pas les rapports entre les membres de la famille, qui sont bien développés, malgré la courte durée du film (moins d’1H25). Au final Presence s’avère un thriller surnaturel assez efficace qui avait tout à fait sa place dans cette 32ème édition du Festival, mettant les fantômes à l’honneur.

The Moogai. Faites gaffe au bébé.

Pour finir ce tour d’horizon, un autre film australien, The Moogai, premier long-métrage de Jon Bell. Scénariste de nombreuses séries télévisées, Jon Bell adapte ici son court-métrage du même nom de 2020 : un jeune couple aborigène accueille la naissance de son second enfant. Très vite, Sarah, la maman va faire face à des hallucinations de plus en plus envahissantes. The Moogai est l’occasion pour Jon Bell de rappeler les anciennes politiques australiennes, qui organisaient le vol des enfants aborigènes à leur famille au titre de « l’assimilation ». Un terme leur a même été consacré, « générations volées », et en 2008 le gouvernement fédéral australien a présenté ses excuses aux familles impactées. Jon Bell se sert de ce postulat pour le transposer au genre, faisant intervenir un croquemitaine symbolisant le gouvernement. Si sa créature est terrifiante, c’est aussi parce qu’elle s’attaque à des proies particulièrement vulnérables. Devant sa caméra l’Australie devient le théâtre d’événements surnaturels, jusqu’à un final plus léger, porteur d’espoir.

Cette année le festival de Gérardmer a réalisé un quasi-sans-fautes. La programmation était excellente, et les animations autour de l’événement comme toujours irréprochables. Certains esprits chagrins sont allés jusqu’à déplorer la présence en compétition de longs-métrages disponibles sur les plateformes (cf. Oddity, In a Violent Nature, Azrael), mais c’est oublier que la production cinématographique s’est métamorphosée les dix dernières années, et que si les longs-métrages ont bien évidemment vocation à être diffusés en salles, le mode de consommation s’est profondément modifié. Encore plus particulièrement dans la catégorie des films de genre. Alors ne boudons pas notre plaisir et contentons-nous de savourer ce qui fut une excellente édition.

Dernière nouvelle importante, la nouvelle Présidente de l’association du festival Anne Villemin a annoncé une grande nouveauté pour l’édition 2026 : celle-ci se déroulera sur 6 jours l’année prochaine, et débutera le mardi (du 27 janvier au 1er février 2026).
À vos agendas…

Jérôme Magne

The Substance

Un film de Coralie Fargeat

Sept années ont pratiquement passé, et pourtant de nombreuses scènes chocs du premier long-métrage de Coralie Fargeat, le bien nommé Revenge, nous reviennent en mémoire, comme un avertissement. Fallait-il se méfier ?

L’ouverture, alimentaire (organique ?), nous fait penser à David Cronenberg, et nous y reviendrons. Elle est magnifique et mérite qu’on s’y attarde. Une petite ballade sur Hollywood Boulevard et son Walk of Fame plus tard, et nous faisons la connaissance d’une nouvelle étoile au firmament du show-biz. Elisabeth Sparkle est une comédienne à l’apogée de sa carrière, elle a gravi tous les échelons pour briller parmi ses pairs et finalement mériter que son nom figure là, parmi toutes ces légendes du show business. Puis le temps passe, la foule se fait plus rare autour de son étoile sur la chaussée, les curieux sont moins nombreux à se photographier avec son nom à côté de leur portrait. Le temps est assassin…

Des années plus tard, on retrouve Elisabeth en vedette de la télévision, animant une célèbre émission de fitness. Moulée dans un collant et un justaucorps ne laissant que peu de place à l’imagination, la comédienne Demi Moore renvoie l’image d’une quinquagénaire dans la force de l’âge, pleine d’énergie et de sex-appeal (mais a-t-on encore le droit d’utiliser ce terme aujourd’hui…?). Sa reconversion lui a permis de ne pas être mise au rebut. Mais malgré sa forme et son apparence physique, les années ont passé, et les diktats de l’audimat sont cruels. Le producteur de l’émission, Harvey (génial Dennis Quaid, qui en fait des tonnes, mais cela fonctionne), estime qu’Élisabeth a fait son temps, et que quelles que soient les promesses qui aient pu être faites à l’ancienne star il y a des années, elles ne s’appliquent plus. Élisabeth doit dégager, et être remplacée par une jeune fille entre 18 et 30 ans maximum. La jeunesse doit se lire sur son corps et, plus encore, sur son visage. Pour Harvey, c’est l’audimat qui règne, et les spectateurs veulent de la jeunesse.

Dans les premières minutes du film, Coralie Fargeat offre de belles scènes à Dennis Quaid : son entrée fracassante dans les toilettes de la chaîne TV, alors qu’il vocifère au téléphone, et le repas qu’il partage avec Élisabeth, où il engouffre les crevettes mayonnaise avec fébrilité tout en lui expliquant pourquoi il doit la remplacer maintenant, après tant d’années de bons et loyaux services.
Élisabeth fera ses cartons et sera victime d’un accident de la circulation sur le chemin du retour chez elle, déconcentrée par une affiche publicitaire annonçant le recrutement de sa successeuse. Sortie miraculeusement indemne, elle sera approchée par un jeune homme étrange à l’occasion de l’examen médical l’autorisant à rentrer chez elle. Il lui remettra un petit papier mystérieux avec un nom, « The Substance », et un numéro de téléphone. Après avoir digéré sa mise à l’écart, Élisabeth contacte le numéro, et se voit proposer un étonnant marché : donner vie à son double, beaucoup plus jeune, en s’injectant un produit, pour ensuite partager son temps de vie avec ce double, une semaine sur deux. Une seule règle : à aucun moment les deux Élisabeth ne doivent exister dans le même espace. Pendant que l’une vit sa semaine, l’autre restera endormie, sous perfusion, attendant que la première prenne ensuite sa place et ainsi de suite. Un principe original, auquel l’ancienne star ne cédera pas immédiatement. Mais elle finira par succomber aux sirènes d’une vie meilleure après quelques heures de réflexion.

Coralie Fargeat se sert beaucoup de la musique pour accentuer les moments-clés du récit. Et comme ces derniers sont nombreux, la bande son est omniprésente. Passé le premier moment de stupeur lors de la « naissance » du double jeune d’Élisabeth (là encore, comment ne pas penser à Cronenberg et son attirance pour l’organique…), le film entame une nouvelle dynamique. Celle de de l’envie, de l’ambition, et surtout celle de la revanche. Harvey l’a jetée comme un tee shirt trop porté, alors Élisabeth reprendra la place qu’elle estime être la sienne, mais sous une nouvelle apparence.
Les premières semaines d’alternance se dérouleront bien, chacune respectant à la lettre le seul impératif du contrat. Élisabeth se retrouvera à la place qui était la sienne avant d’être débarquée de l’émission, et on lui proposera même d’animer en direct le plus gros événement de la chaîne, le réveillon de fin d’année. Mais pour çà, il lui faudra du temps…

Outre le thème de l’apparence et la jeunesse éternelle, The Substance aborde celui de la solitude et de l’importance du regard des autres pour certains. Élisabeth ne comprendra que trop tard que toutes ces années passées son existence s’est avérée creuse, qu’elle n’a vécu qu’à travers le regard que le public lui accordait. Avec son film Coralie Fargeat fait la critique du patriarcat dans le star system, en particulier via la place que celui-ci attribue aux femmes. Elle filme ses interprètes sans aucune pudeur, Demi Moore et Margaret Qualley (remarquée dans l’excellente publicité Kenzo World de Spike Jonze en 2016 et Once Upon a Time … in Hollywood de Tarantino en 2019) sont filmées dans le plus simple appareil chaque fois que l’histoire le requiert. Cette exposition peut paraître un brin excessive (les scènes d’aérobic semblent un peu répétitives à la longue), mais le thème principal du récit l’imposait.

Dans les dernières scènes la réalisatrice laisse éclater sa rage, comme elle avait pu le faire à la fin de Revenge. Elle exprime alors son goût réel pour l’hémoglobine, la métamorphose à outrance et les images excessives, et emporte le spectateur dans une balade d’une violence inouïe. On appréciera ou pas, mais la sincérité de la cinéaste est totale. Le genre n’a pas fini d’entendre parler d’elle…

Jérôme Magne

Mother Land

Un film d’Alexandre Aja

Pour son dixième long-métrage en 25 années de carrière, Alexandre Aja a pris pour décors une grande et vieille bicoque perdue au fin fond d’une immense forêt. A l’intérieur, une mère, June, et ses deux jumeaux, Nolan et Samuel.


Dès sa première réalisation, Furia, Alexandre Aja a exprimé son attirance pour le Fantastique. Ses longs-métrages suivants ne feront que confirmer cette inclination, avec entre-autres Haute-Tension, La colline a des yeux, Piranha 3D, Horns ou encore Crawl. Mother Land lui donne l’opportunité de développer une histoire qui, au début, ressemble à un conte pour enfant raconté au coin du feu, se développe, pour finalement se conclure sur une révélation qui ne contredit pas tout ce qui a précédé.

Après une courte introduction, le film se dévoile en quelques scènes. June et ses deux garçons vivent reclus au fond des bois depuis la fin du monde. C’est du moins ce que la mère (excellente Halle Berry) à expliqué à ses enfants, qu’avant leur naissance le Mal a envahi le monde et poussé tous les hommes à s’entre-tuer. Il ne reste aujourd’hui plus rien de l’Humanité, ils sont seuls sur Terre. Afin de se protéger du Mal, June est venue se cacher là, au coeur de cette forêt gigantesque. Le Mal pouvant les toucher et les corrompre à tout instant, la mère insiste pour que chacun s’attache à la maison par une longue corde lors de leurs sorties à l’extérieur, après avoir récité une prière censée les protéger. Ainsi, aucun risque de se retrouver séparés et d’être infectés par le Mal. Les deux jeunes garçons ont grandi dans cette croyance, terrifiés par les récits et l’attitude hallucinée de leur mère. Mais peu à peu, Nolan se met à douter. Sont-ils réellement entourés de démons, qui prennent l’apparence d’êtres chers ou de parfaits inconnus afin de les contaminer, et les pousser à s’entre-tuer ?

Samuel, lui, ne remet rien en question, pas la moindre histoire ou décision de sa mère. Son esprit critique n’existe pas, il ne vit qu’à travers les yeux de sa mère, aucune autre pensée ne le traverse. Depuis leur naissance, elle les a élevés, nourris, protégés, et Samuel ne peut imaginer une existence autre que celle qu’elle leur propose. Nolan s’est lui laissé peu à peu convaincre par le doute, lors de leurs sorties pour aller chercher de la nourriture, au cours desquelles des démons se révèlent à leur mère. Car June est la seule qui voit ces monstres rôdant autour de leur maison. La seule qui doit les affronter et les faire reculer lorsqu’ils menacent de toucher ses enfants pour les transformer.

Avec comme terrain de jeu ce lieu confiné et ses trois personnages, Alexandre Aja a créé une atmosphère pesante, dans laquelle la tristesse le dispute au désespoir, dans des décors de fin du monde. Il propose une illustration intéressante de la cellule familiale. La famine guettant la petite famille, celle-ci devra s’éloigner chaque jour un peu plus pour tenter de se ravitailler. Un jour, Samuel et Nolan se retrouveront momentanément séparés de leur mère. Au cours d’une dispute Samuel fera une chute et se détachera de la corde. Il ne devra son salut qu’à l’arrivée de sa mère, juste avant d’être touché par un démon ayant pris l’apparence de la propre mère de June.

Alexandre Aja développe son histoire dans le respect du genre. Il sait susciter la peur quand nécessaire, et mettre en place des moments plus calme au coeur de ce refuge rassurant qu’est la maison. Il accompagne le spectateur mais ne le guide pas vers une explication plutôt qu’une autre, le laissant choisir selon sa sensibilité. Il y a bien sûr les moments de flippe propres à l’horreur. Mais c’est surtout le point de vue ouvert du metteur en scène qui, associé à la photographie parfaite de Maxime Alexandre (Mother Land signe sa septième collaboration avec Alexandre Aja) et la musique composée par Rob (lui aussi familier de l’univers du réalisateur, pour leur quatrième association) font du film une réussite. Sans oublier l’interprétation hallucinée de Halle Berry, complétée par deux jeunes comédiens prometteurs, Percy Daggs IV (Nolan) et Anthony b. Jenkins (Samuel).

Jérôme Magne

Trap

Un film de M. Night Shyamalan

Quelques semaines à peine après la sortie du premier long-métrage de sa fille Ishana Night Shyamalan (l’intéressant Les Guetteurs), M. Night Shyamalan refait parler de lui, avec ce thriller efficace qui joue avec les codes du genre.


Comparé aux nombreux coups d’éclat de la filmographie du réalisateur -une quinzaine de longs-métrages- Trap prend le risque de faire pâle figure. Il suffit en effet de se rappeler de Sixième Sens, Incassable, Signes, Le Village, The Visit, Split, et plus récemment Old pour réaliser qu’à chacune de ses histoires il a tenu à promener son auditoire au cœur d’un environnement de prime abord familier, ou du moins balisé, avant de le confronter à l’envers du décor dans sa dernière partie. Trap ne fait pas partie de ces films à rebondissements, il n’y a pas de révélation spectaculaire juste avant la conclusion. La narration, linéaire, ne suit pas de faux-semblants, et le piège (trap en anglais) dont il est ici question est mis en place, exécuté et adapté sous nos yeux jusqu’à un final qui, s’il ne révèle pas de grosse surprise, n’en est pas moins sympathique.

Pour le dernier concert de la tournée de la méga pop star Lady Raven, Cooper Abbott (Josh Hartnett) emmène sa fille Riley (Ariel Donoghue), fan inconditionnelle de l’artiste. Le père tient à récompenser sa fille pour ses bonnes notes, et à partager un bon moment de détente avec elle. Sur la route, Cooper et Riley s’en donnent à cœur joie, la gamine chantant à tue-tête les tubes de son idole sous le regard attendri de son père. Arrivé sur place, Cooper réalise qu’un nombre important de membres des forces de l’ordre est déployé dans l’enceinte et aux abords de la salle de concert. Il observe cela machinalement, étonné au départ, puis semblant de plus en concerné. Cela ne l’empêche pas de profiter de la présence de sa fille adorée. Prêt à tout pour que cette journée soit inoubliable, il ne la quitte pas d’une semelle. Tout au moins au début. Au hasard d’une conversation avec un vendeur de tee-shirts, il va apprendre que le concert fait partie d’un dispositif visant à appréhender un célèbre tueur en série, « Le Boucher », le FBI disposant d’une information indiquant que celui-ci serait présent au concert.
Révélation qui n’en est pas une (la bande-annonce ne laissait que peu de doutes), Cooper est « Le Boucher », c’est la raison pour laquelle il prête une grande attention aux mouvements de la police. Au fil du concert, celle-ci interpelle de nombreux suspects, sur la base d’informations fournies par une experte du profilage dépêchée sur place. Comprenant qu’il ne lui reste que peu de temps avant d’être démasqué, Cooper va alors tout tenter pour se sortir de la toile dans laquelle il est piégé, tout en essayant de garder le change auprès de sa fille.

Si Trap ne se présente pas comme les histoires auxquelles M. Night Shyamalan nous a habitués, cela n’empêche pas au film de faire son petit effet. Le ressort de l’intrigue étant rapidement dévoilé, le réalisateur se concentre sur son personnage principal. Un être plein de ressources, très observateur et sociable, qui se fond dans la foule. Pour interpréter ce psychopathe aux grandes capacités d’adaptation le réalisateur a choisi le comédien Josh Hartnett. Connu pour ses rôles dans The Faculty, Pearl Harbour, Sin City, La Chute du Faucon Noir, Le Dahlia Noir, Slevin, ou encore la série Penny Dreadful, le comédien se régale dans le rôle de Cooper Abbott. En bon père de famille à la double personnalité il excelle, tour à tour cool, affectueux, souriant, ou calculateur, froid, brutal. Face à lui dans le rôle de Lady Raven, Saleka Shyamalan s’avère moins convaincante. Plus à l’aise dans la chanson, la jeune artiste a composé l’intégralité des morceaux interprétés dans le film, mais peine à convaincre dans les scènes auxquelles elle participe en seconde partie. Ce qui a d’ailleurs fait dire à certaines mauvaises langues que Trap était en fait une plateforme musicale mondiale déguisée en film réalisé par M. Night Shyamalan, et destiné à promouvoir la carrière musicale de sa fille.

Le réalisateur s’en est défendu, en expliquant avoir voulu créer une œuvre mêlant musique et action, comme peut le faire le cinéma à Bollywood. L’explication tient la route, même si les amateurs du cinéaste ne sont pas forcément habitués à ce genre de mélange et pouvaient s’attendre à un récit moins conventionnel. Trap n’est pas aussi virtuose que certains longs-métrages de M. Night Shyamalan, il offre tout de même un agréable moment passé aux côtés de son inquiétant personnage principal.

Jérôme Magne

Sans un bruit : jour 1

Un film de Michael Sarnoski

Six années après le très bon premier film imaginé et mis en scène par John Krasinski (qui en d’ailleurs a fait une suite tout aussi efficace deux années plus tard), l’histoire est envisagée sous un nouveau jour, celui où les effrayantes créatures ont atterri sur notre belle planète.


John Krasinski est toujours derrière l’histoire, mais c’est aujourd’hui Michael Sarnoski (Pig, son sympathique premier long-métrage, mettait en scène Nicolas Cage à la recherche de son cochon dénicheur de truffes) qui met son scénario en image. Le concept est ici légèrement différent, dans la mesure où nous ne suivons pas des individus ou groupes s’efforçant de survivre à une menace désormais bien connue et installée, mais assistons à l’arrivée (pas vraiment expliquée) des aliens par les airs, le jour où ils s’abattirent sur New York. Les premières images donnent le ton, comme pour faire ressortir le contraste avec la situation ultérieure : New York en début de journée, un bruit incessant, une activité grouillante, une énergie impalpable, un lieu où le silence ne peut exister. Et pourtant, il suffira de quelques traînées de feu dans le ciel et de quelques explosions au sol pour que tout soit profondément changé.

Nous faisons la connaissance de Sam, une jeune femme poète, soignée dans la banlieue dans un centre de soin palliatifs pour patients atteints de cancers. Acerbe et prête à tout pour aller manger une bonne pizza, elle accepte l’offre de Reuben (un infirmier avec lequel elle s’entend bien) de se rendre à New York pour assister à un spectacle à Manhattan, et de passer ensuite récupérer sa pizza avant de retourner au bercail. La sortie sera de courte durée, très vite le petit groupe devra se rassembler pour prendre le chemin du retour suite à des informations inquiétantes. Problème : le centre-ville deviendra un abattoir à ciel ouvert avant qu’il puisse le faire.

Michael Sarnoski filme sa menace comme son prédécesseur : dans un premier temps, on ne distingue pas les créatures, ou très peu (New York étant recouverte d’une épaisse couche de poussière/fumée lié à la chute des météorites et des incendies que celles-ci ont provoqué). Ce n’est qu’après plusieurs scènes qu’elles apparaissent, tout d’abord partiellement, puis dans toute leur laideur. Cohérence scénaristique oblige, leur apparence n’a pas été modifiée. Elles sont toujours autant longilignes, rapides et puissantes, aveugles et dotées d’une ouïe sur-développée. La ville dévastée s’est vidée de ses habitants, les survivants de la première heure se sont terrés dans les bâtiments dans l’attente d’instructions des autorités. Celles-ci ne tarderont pas, les survivants doivent se rendre aux principaux embarcadères de Manhattan, les ponts reliant l’île au reste de la ville ayant été détruits par l’armée américaine afin d’isoler la menace. Là, des bateaux viendront les récupérer pour les mettre en lieu sûr.

Sam va rencontrer Eric, un jeune étudiant anglais et faire un bout de chemin avec lui. Michael Sarnoski filme les scènes que les deux personnages partagent avec beaucoup de sensibilité, malgré la contrainte technique liée à l’absence de bruit. Ce duo réunit par les événements, bien que composé de personnalités aussi dissemblables que possible (Sam est courageuse, Eric beaucoup moins) va traverser les épreuves et réaliser le destin qu’il s’est finalement choisi. Au détour de quelques jolis épisodes (lorsque Sam et Eddie partagent une pizza, avant que le premier surprenne la seconde avec des tours de cartes, au cœur d’un piano bar désert et épargné par les flammes), les deux survivants arrivent à se connaître et s’apprécier. Et feront un bout de chemin ensemble.

Successeur de John Krasinski, Michael Sarnoski adapte l’histoire imaginée par son confrère sous un angle peut-être un peu moins frappant, moins effrayant. Sans un bruit : jour 1 n’en est pas moins un film émouvant, spectaculaire quand il le faut, basé autant sur la menace extra terrestre, saisissante, que sur le lien unissant les rescapés. Pour ceux qui découvrent aujourd’hui l’histoire, Sans un bruit : jour 1 est l’occasion de se plonger dans le concept en regardant Sans un bruit (2018), et sa suite, Sans un bruit 2 (2020).

Avant d’y revenir prochainement, un jour 2 étant prévu en 2025…

Jérôme Magne

Roqya

Un film de Saïd Belktibia

Basé autour de souvenirs d’enfance de son metteur en scène, Roqya est un film qui mêle plusieurs genres. Le thriller y côtoie le fantastique, au cœur d’une chasse à la sorcière éprouvante.


Présenté il y a quatre mois hors compétition au 31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, le film y a reçu un accueil plutôt chaleureux. Dans cette histoire de persécution que subit une jeune maman élevant seule son fils, Saïd Belktibia a mis des souvenirs de son enfance agitée. A l’époque, sa mère le pensait habité par un esprit maléfique (un djinn), et avait justement eu recours à la roqya, cette médecine prophétique se rapprochant de la sorcellerie dans sa manière d’aborder les maladies occultes telles la possession.

L’élément surnaturel justifiait donc la présence du long-métrage dans la prestigieuse manifestation vosgienne, même si les autres facettes (thriller, drame social) étaient tout autant présentes.
Invité sur la grande scène de l’Espace Lac avec deux de ses comédiens, Saïd Belktibia s’était exécuté de bonnes grâces, promettant au public son lot d’émotions fortes. La suite allait lui donner raison, le film ne donnant pas une seconde de répit au spectateur sur sa durée (90 minutes). Après une courte introduction à base d’extraits de films et documentaires tirés de l’Histoire nous expliquant l’évolution de la sorcellerie et sa perception à travers les âges, nous rencontrons l’héroïne, Nour, interprétée par la toujours très juste Golshifteh Farahani.

Nour vit de contrebande d’animaux exotiques. Elle parcourt le monde à leur recherche et les revend autour de chez elle, dans les banlieues de Paris, à des rebouteux pratiquant la roqya. Très populaires, ces guérisseurs supposés ont en effet besoin d’ingrédients, plantes et animaux en tout genre afin de fabriquer leur remèdes miracle. Et ceux-ci ne peuvent pas être achetés au coin de la rue. C’est donc là que Nour intervient. Au moment où nous faisons sa connaissance, sa petite affaire prend de l’envergure.

Embringuée dans une séparation douloureuse, Nour jongle entre son activité prenante, en plein essor (elle est d’ailleurs sur le point de mettre en ligne son site internet, suite au succès de son petit commerce) et la garde de son fils, au cœur d’un conflit avec un père de plus en plus pressant (interprété par Jérémy Ferrari). Le début du film nous présente Nour comme une femme pleine de ressources, très énergique, dont on ne sait si elle est juste une banale arnaqueuse, ou si elle possède réellement un don de guérisseuse.

La démarche du réalisateur est directe et efficace : en quelques scènes il a fait le portrait de cette mère courageuse et de sa vie compliquée. Habitant une barre de banlieue parisienne, Nour n’a pas beaucoup de moyens, bricole beaucoup, se débrouille et est à l’orée de l’expansion de son business. Attachante, elle espère que ce site internet lui permettra de prendre une autre dimension. Nour a du cœur, elle aura l’occasion de le prouver.

Mais suite au décès d’un gamin perturbé qu’elle suivait, elle va se voir pourchassée par toute une meute de la cité où elle habite. Pire, les réseaux sociaux qui jusque là la portaient aux nues et avaient contribué à l’essor de son commerce, font subitement marche arrière, devenant le vecteur de l’ire populaire, en participant en temps réel à une véritable chasse aux sorcières. Après avoir bien pris le temps de caractériser ses personnages (l’héroïne, son ex mari, ses voisins, tous ont droit à une attention particulière), le metteur en scène enchaîne sur une cavale très réaliste. Que ce soit à travers les couloirs ou les caves de ces grands immeubles de banlieue ou dans les rues à la nuit tombée, Saïd Belktibia nous fait partager la fuite de son héroïne, qui a enfin compris le côté dangereux de son petit commerce. Mais peut-être une peu tard…

Dans sa dernière partie, Roqya embrasse pleinement l’aspecte fantastique de son histoire. Nour décide de mettre en pratique ce qu’elle a étudié de la roqya pour se défaire de ses poursuivants en quête d’un bon lynchage. Elle utilisera au passage des méthodes radicales que les amateurs d’hémoglobine apprécieront (cf. son utilisation de la pompe à vide). Roqya est un film intéressant à bien des égards. Abordant la religion, la situation des banlieues et le surnaturel, il nous bringuebale aux côtés de son attachante héroïne dans une frénésie d’action qui ne se calme qu’aux toutes dernières images, nous montrant Nour et Amin sur un bateau, prêts à démarrer une nouvelle vie…

Jérôme Magne