Carnets du Caire

« Peut-être un jour mes souvenirs retrouveront-ils leur puissance,
doublant à nouveau le présent de réminiscences précieuses ». Toute la
puissance littéraire de ce livre tient dans cette phrase. Quelle
expérience fait-on du voyage, comment celui-ci s’arrime-t-il à notre
esprit pour devenir souvenir et partie intégrante de notre être ? Le
lecteur arpente ainsi en compagnie de la narratrice, baptisée pour
l’occasion Warda, les chemin secrets, tortueux, touristiques et
reculés du Caire et de ses environs, comme une carte mentale
devenue construction culturelle et identitaire. A travers le choc
culturel vécu par cette jeune femme suisse, l’écriture sensuelle et
parfois surnaturelle de l’auteure, récompensée par le Prix suisse de
poésie C-F Ramuz, nous transpose bien au-delà de la simple réalité
vécue.

Convoquant Borges, Pierrine Poget le fait entrer dans ces carnets
devenu une sorte de miroir d’Alice au pays des pharaons où le passé
sert à construire le présent, où l’expérience vécue d’un côté du
miroir modifie irrémédiablement la réalité, notre réalité, notre être
de l’autre côté où le temps semble s’être arrêté. Et très vite, le
lecteur prend conscience du pouvoir de l’écriture et du livre pour
figer ces réminiscences et éviter qu’elles ne tombent dans l’oubli. « Il
arrive qu’un éclat de texte s’attache à nous de cette façon, à la première
lecture, et nous accompagne jusqu’à ce que des évènements le
rencontrent et l’épousent tout à fait » écrit ainsi l’auteure.

Pourquoi écrivons-nous ? Pourquoi lisons-nous ? Pourquoi se
sentons-nous obligés d’emporter des livres avec nous lors de nos
voyages ? Pour que l’intensité du voyage ne prenne jamais fin, pour
ressentir, encore et encore, cette alchimie inexpliquée, cet orgasme
intellectuel nous dit Pierrine Poget. Car, au final, nous rappelle
l’auteur, ces réminiscences et les souvenirs qu’elles enfantent nous
permettent de vivre. Tout simplement.

Par Laurent Pfaadt

Pierrine Poget, Warda s’en va, Carnets du Caire
Aux Editions la Baconnière, 180 p.