La Bibliothèque du Beau et du Mal, petit bijou littéraire venu des bords de la Baltique est assurément l’un des grands romans de ce printemps
Il est des bibliothèques qui renferment des livres et des livres qui contiennent des bibliothèques. Telle est La Bibliothèque du Beau et du Mal d’Undinė Radzevičiūtė, écrivaine lituanienne récompensée par le prix du Livre européen en 2015 et qui sera, à n’en point douter, l’une des invitées d’honneur de la saison de la Lituanie en France qui se tiendra du 12 septembre au 12 décembre prochain.

Une bibliothèque comme un être vivant qui respire. Celle que Walter, excentrique bourgeois valétudinaire, a hérité de son grand-père Egon et s’apprête à léguer à son neveu Axel, l’est à plus d’un titre. Et d’abord parce qu’elle contient des ouvrages réalisés en peau humaine à l’image de ce livre du marquis de Sade dont la couverture est tirée du corps d’une aristocrate guillotinée.
Une bibliothèque comme un animal acculé. Par cet autodafé civilisationnel qui se rapproche inexorablement du savoir pour consumer la laideur et purger le beau comme on nettoie une race de ses impuretés sans se douter que la beauté se niche parfois dans le mal.
Une bibliothèque comme un jeu de tarot en forme de tatouages. Avec ses figures, ses atouts (la vierge byzantine, les fleurs Blossfeldt, le dieu mort) joués par des personnages comme insérés dans un tableau de Cranach avec leurs trognes, leurs vices, leurs beautés. Cela donnent l’Allégorie de la justice, les Trois grâces, la chute de l’homme ou le vieil homme séduit par les courtisanes.
Une bibliothèque comme un sablier brisé. Où le temps semble s’être retiré de ces rayonnages où l’auteur tire ces quelques chefs d’œuvre pour nous embarquer dans son récit magistral : Le Parfum de Patrick Süskind, Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, Le Ruban blanc de Michael Haneke, Sherlock Holmes, Mikhaïl Boulgakov, Fritz Lang. Autant de mouvements d’une sarabande jouée par un violoncelle aux notes macabres et drôles qui raconte ce Crime et châtiment passéd’un livre à la destinée d’un homme.
Et sur le trône de cette bibliothèque, Walter, alchimiste de chair et de papier devenu ce roi vampire qui a vaincu Dieu. Un roi dont la morsure apporte cette immortalité des lettres et des images « reçue comme un héritage ou perçue comme une contrainte. »
Le lecteur, sitôt entrer dans ce livre magnifiquement traduit par Margarita Le Borgne, ne peut jamais en ressortir. Donc prenez votre fil d’Ariane car il est fort à parier que vous ne trouverez jamais la sortie et finirez par être emprisonné dans un livre. Cela tombe bien, on a La Bibliothèque du Beau et du Mal dans la peau.
Par Laurent Pfaadt
Undinė Radzevičiūtė, La Bibliothèque du Beau et du Mal, collection littérature étrangère, traduit du lituanien par Margarita Barakauskaité-Le Borgne
Aux éditions Viviane Hamy, 352 p.