Joyce Carol Oates, De la boxe, chez Tristram, 256 p.
Avant d’entrer dans cette série estivale, il nous fallait commencer par la grande romancière Joyce Carol Oates et son prodigieux De la boxe paru en 1987 puis régulièrement actualisé. Passionnée par ce sport qui est, de l’avis même de l’auteure, plus qu’un sport et qu’elle découvrit avec son père, De la boxe est à la fois un traité sociologique et philosophique, un récit historique et une chronique sportive. A l’image de son travail de romancière – comment ne pas voir des parallèles avec ses romans lorsqu’elle évoque les questions raciales et la violence dans la société américaine – Joyce Carol Oates entre en véritable anthropologue dans la psyché non seulement des hommes sur le ring mais également dans celle de tous ceux qui gravitent autour de ce dernier, des promoteurs à l’arbitre « notre conscience morale extraite de nous » en passant par les spectateurs, les commentateurs ou les femmes que l’expérience d’un homme se battant contre un autre homme exclue « aussi totalement que l’expérience féminine de la naissance exclut les hommes ».

De la boxe constitue également une magnifique galerie de portraits, de Jack Dempsey à Marvin Hagler en passant par Joe Frazier, Benny Paret, Rocky Marciano et tous ces boxeurs anonymes qui comptèrent plus de KO que de victoires même si sa focalisation sur les années 70-80 donne, à raison d’ailleurs, le sentiment d’un âge d’or de la boxe ou en tout cas, de ce moment où elle est devenue autre chose. Ses longs portraits de Mike Tyson, plus intelligent qu’on a bien voulu le dire ou d’un Mohamed Ali à l’influence majeure sur la société américaine, sont absolument prodigieux. Convoquant Aristote, Nietzsche, Spinoza, Rocky Balboa ou Shakespeare, Oates évoque le rapport au temps, à la souffrance, la condition de l’homme noir en boxeur bien évidemment ou l’influence hypnotique que la boxe exerce sur les écrivains car « aller de la douleur au triomphe – ou au semblant de triomphe – voilà l’espoir de l’écrivain, tout comme celui du boxeur ». On pense bien évidemment à Norman Mailer dont il sera question dans cette série.
Ce livre ravira autant les passionnés de boxe que les amoureux de littérature et les admirateurs de Oates qui traite avec la même intensité d’un Trevor Berbick défait par Mike Tyson en 1986 que de Marilyn Monroe. C’est de la grande littérature, celle qui fait trembler les fondations d’un pays, celle qui s’insinue dans le cerveau de ces hommes uniques qui doivent apprendre à « inhiber son propre instinct de survie ».
Par Laurent Pfaadt
Pour aller plus loin, Hebdoscope vous conseille également le très beau livre de Jean-Philippe Lustyk, Le grand livre de la boxe (Marabout, 2019).