Première biographie française d’Ernst Kaltenbrunner, successeur de Reinhard Heydrich à la tête des services de sécurité du Troisième Reich
A l’inverse d’un Herman Göring ou d’un Wilhelm Keitel, Ernst Kaltenbrunner fut certainement l’un des condamnés les moins connus du procès de Nuremberg. Seul demeure dans la mémoire collective son visage grêlé et impénétrable. Cet homme que le comte Bernadotte, lors d’une rencontre à Berlin le 17 février 1945, décrivit ainsi : « iil n’avait pas seulement le caractère nécessaire – mais aussi son apparence parlait pour lui. Il ressemblait exactement à l’idée qu’on se fait d’un chef de la Gestapo (…) Pendant notre rencontre, il se montra maître de lui, glacial et extrêmement curieux ». Alors qui fut réellement Ernst Kaltenbrunner ? C’est à cette question que répond Marie-Bénédicte Vincent, universitaire spécialiste de l’Allemagne au XXe siècle dans ce livre, il faut bien le dire, passionnant.

Né en 1904 en Haute-Autriche et ayant fréquenté le même lycée de Linz que le Führer, Ernst Kaltenbrunner fut un nazi de la première heure. Il appartient à ces milliers de jeunes hommes séduits par le nazisme et jusqu’en 1934 et le coup d’Etat raté en Autriche qui se solda par l’assassinat du chancelier Engelbert Dollfuss, il demeura un anonyme. Puis, lentement, il devint l’un des maillons essentiels de la prise de contrôle du pays par les nazis qui allait conduire à l’Anschluss en 1938. Devenu chef de la SS autrichienne puis secrétaire d’Etat à la sécurité publique du gouvernement nazi d’Arthur Seyss-Inquart, Ernst Kaltenbrunner suscita peu à peu l’intérêt de Heinrich Himmler. Les pages sur l’Autriche nazie sont absolument fascinantes et battent en brèche la théorie longtemps avancée d’un Etat victime du nazisme en expliquant le contexte autoritaire qui prévalait alors et servit de terreau au nazisme. Dans sa démonstration fort convaincante, Marie-Bénédicte Vincent insère astucieusement à la fois la répression qui s’abattit sur les juifs et la trajectoire de cet homme.
Qualifié d’« insignifiant » en 1934, Kaltenbrunner aurait dû rester un personnage secondaire du régime, un bourreau jugé dans l’anonymat des multiples procès d’après-guerre. Mais l’assassinat de Reinhard Heydrich à Prague, le 4 juin 1942, changea son destin en le propulsant sur le devant de la scène. A la grande surprise des hauts cadres de la SS, il fut choisi par Himmler pour succéder à Heydrich. Avec Kaltenbrunner, le Reichsführer SS fit le choix de la fidélité absolue mais également comme le rappelle l’auteure, celui de la « proximité allant au-delà de stricts liens hiérarchiques ». Sa nomination traduisit également la suite logique de l’évolution politique du régime. Numéro deux de la SS, il n’eut cependant jamais l’importance et le pouvoir de son prédécesseur. Pour autant et même s’il s’en défendit à Nuremberg, il poursuivit et accentua la politique d’extermination des juifs, notamment ceux venus de Hollande et de Hongrie en 1944 ainsi que la traque de tout forme de résistance notamment en France. Avec Kaltenbrunner, Marie-Bénédicte Vincent décrit parfaitement cette ascension sociale fulgurante quasiment sans égale dans ce système totalitaire que fut le nazisme. Pour autant, le chef de l’espionnage et des services de police ne vit pas venir l’attentat du 20 juillet 1944. Et à l’image de son chef, il tenta à la fin de la guerre, de jouer un double jeu qui ne dupa personne.
Arrêté dans les Alpes autrichiennes, il dut affronter ses juges à Nuremberg avant de faire face, grâce à ce livre brillant et extrêmement plaisant à lire, au jugement durable de l’histoire.
Par Laurent Pfaadt
Marie-Bénédicte Vincent, Kaltenbrunner, le successeur d’Heydrich,
Chez Perrin, 400 p.