La Finlande face à ses fantômes

Plusieurs romans reviennent sur l’attitude de la Finlande pendant la Seconde guerre mondiale

Après avoir partagé la Pologne avec le Troisième Reich dans le cadre des clauses secrètes du pacte germano-soviétique, Staline décida, en novembre 1939, d’attaquer la Finlande. Mais contre toute attente, les armées finlandaises dirigées par le maréchal Mannerheim offrirent durant cette guerre de l’Hiver, une résistante inouïe, motivée par le fameux Sisu qui tient à la fois du courage et de l’abnégation et qui imprégna la quasi-totalité d’un peuple en armes, ces guerriers de l’hiver pour reprendre le titre de l’excellent roman d’Olivier Norek, prix Jean-Giono 2024. Certains cinéphiles ont ainsi pu découvrir ce sisu dans le film du même nom, Sisu, de l’or et du sang de Jalmari Helander sorti en 2022.

Du sang, il en est évidemment question dans ce fabuleux roman de guerre. Délaissant un temps son capitaine de police fétiche, Olivier Norek nous embarque dans son roman qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière page, sur les traces – même s’il en laisse peu – d’un tireur d’élite finlandais semant la terreur dans les rangs soviétiques. Ces derniers le surnomment d’ailleurs « la Mort blanche » car personne ne le voit. Il est invisible. Il s’agit en réalité d’un certain Simo Häyhä, un jeune homme amoureux de la forêt qui répugne à ôter la vie. L’homme semble pourtant être touché du doigt de Mars, le dieu de la guerre. Il tue sans voir sa cible et survit à des températures extrêmes. Très vite, la mort blanche devient une légende, une malédiction qui terrorise les soldats soviétiques. Camouflés dans l’immensité des forêts finlandaises et devenus de véritables fantômes, les soldats finlandais vont ainsi, galvanisés par la Mort blanche, faire reculer un Staline qui ne conquit finalement que 10 % du territoire finlandais.

Olivier Norek mit près de deux ans à raconter l’histoire de Simo Häyhä. Il fallut pour cela une autre guerre, celle d’Ukraine. Bien évidemment, ce roman contant une résistance héroïque face à une invasion russe, celle qui vit de braves citoyens se muer en féroces combattants fait écho à celle qui dure depuis février 2022. Et on aurait tort d’être surpris de ce pas de côté de l’auteur vers le roman historique car à nouveau, il poursuit sa quête littéraire dans ce no man’s land psychique qui sépare l’humanité de la bestialité.

Désireuse de se venger des Soviétiques et animée d’une haine envers les communistes, une partie de la jeunesse finlandaise va alors, au moment du déclenchement de l’opération Barbarossa, collaborer avec le Troisième Reich avec l’envoi sur le front russe de volontaires qui intégrèrent notamment la division SS Viking composée de soldats scandinaves.

C’est ce que découvre le commissaire Jari Paloviita, chef de la brigade criminelle de Pori dans le troisième tome de la série Delta noir d’Arttu Tuominen,prodige des lettres finlandaises, auteur des romans à succès Le Serment et La Revanche,et qui revient dans ce nouvel opus sur ce passé nazi qui passe mal et qui, tel un poison, infecte la société finlandaise. Un flic qui d’ailleurs aurait trouvé dans Victor Coste, le héros d’Olivier Norek, un parfait collègue tant les deux hommes ont des points communs.

Pour l’heure, le commissaire Jari Paloviita, toujours accompagné de son acolyte Henrik Oksman doit faire face à la tentative d’enlèvement et d’assassinat d’un vieillard de 90 ans en septembre 2019, suivi du meurtre d’un autre nonagénaire. Deux vieillards, deux anciens combattants qui nous ramènent en Ukraine en 1941. L’Ukraine, la Finlande, on commence alors à comprendre où Tuominen veut nous emmener. Les deux histoires, celles de 2019 et de 1941, finissent par se chevaucher, s’entrecroiser dans un incroyable page-turner qu’on ne lâche plus. L’enquête de Paloviita nous conduit ainsi dans ce passé douloureux avec ces quatre amis qui se sont compromis avec le mal. Des amis dont l’un d’eux auraient pu être un émule de Simo Häyhä, blessé à la mâchoire en mars 1940. Comme chez Norek, les scènes de guerre sont admirablement racontées avec un réalisme stupéfiant et permettent de mettre en exergue toute la complexité d’une histoire qui ne fut en Finlande, ni blanche, ni rouge, ni noire mais façonna des fantômes devenus pour notre plus grand plaisir, les personnages incroyables de ces deux livres magnifiques.

Par Laurent Pfaadt

Olivier Norek, Les guerriers de l’hiver
Aux éditions Michel Lafon, 448 p.

Arttu Tuominen Tous les silences, traduit du finnois par Claire Saint-Germain
Aux éditions de la Martinière, 432 p.