Archives de catégorie : Ecoute

The Berliner Philharmoniker and Herbert von Karajan

Karajan à la tête du Berliner Philharmoniker, on croyait avoir tout entendu tant le chef d’orchestre a fait rayonner son orchestre dans le monde entier et sur les platines vinyles et CD de millions de foyers. Et voilà que nous parviennent ces enregistrements tirés des archives de l’orchestre et publiés par le label de ce dernier. 


Enregistrés en live entre 1953 et 1969 alors que Karajan s’apprête à être nommé chef à vie de l’orchestre, ces petits bijoux tirés des bandes originales de la Radio du Secteur Américain (RIAS) et de la Station Libre de Berlin (SFB) ont été numérisées en haute résolution. Ils offrent ainsi, pour la première fois, la vision de ce chef appelé à faire corps avec son orchestre et permettent de comparer son travail de Karajan avec ses enregistrements légendaires chez Deutsche Grammophon.

Ces vingt-trois concerts abordent bien entendu les grandes pages orchestrales qui ont fait la légende du chef et de sa phalange avec un Beethoven en majesté – la version de la 9e avec la grande Christa Ludwig, le 1er janvier 1968 s’écoute sans fin – mais également les Quatrième et Huitième symphonies de Bruckner, cœur de son répertoire ou celles de Brahms, de Sibelius, sans oublier la cinquième de Tchaïkovski.

Quelques rencontres au sommet viennent ponctuer ce coffret d’anthologie comme celle avec Glenn Gould le 25 mai 1957 dans le troisième concerto de Beethoven ou le Don Quixote de Richard Strauss avec un Pierre Fournier bouleversant. Si le Magnificat de Bach mérite de s’y attarder, il est en revanche impossible de passer à côté des passages d’un Tristan et Isolde enregistré en février 1955, cet opéra qui, en 1938, lui valut le surnom de « Miracle Karajan ».

Ces enregistrements accompagnés d’un magnifique livret retraçant cette période historique de l’après-guerre raviront à coup sûr les fans du chef qu’ils retrouveront au piano avec Christoph Eschenbach et Jörg Demus pour un concerto pour trois pianos de Mozart assez succulent mais également tout mélomane soucieux d’écouter ce qui se rapprocha indéniablement de la perfection.

Par Laurent Pfaadt

The Berliner Philharmoniker and Herbert von Karajan : 1953-1969 live in Berlin
Berliner Philharmoniker recordings, Hybrid 24 CD/SACD

Une légende parmi les légendes

Deux magnifiques coffrets célèbrent Pierre Boulez en tant que compositeur et chef d’orchestre

J’ai eu la chance de pouvoir assister à un concert dirigé par Pierre Boulez. De voir l’histoire de la musique en train de s’écrire. De voir ces mains qui dirigeaient sans baguette, s’élevant dans l’air lorsqu’elles n’écrivaient pas sur une partition des œuvres qui ont, dès son vivant, rejointes le répertoire aux côtés de Mozart, de Beethoven, de Mahler et d’autres. C’était en 2005, il y a près de vingt ans, au Festspielhaus de Baden-Baden. Je me souviens, à l’instar de ma rencontre avec Pierre Soulages, avoir eu la tentation de monter dans sa loge pour le saluer mais le poids écrasant de Boulez dans la culture non seulement française mais également internationale – tout comme Soulages – écrasa toute velléité du jeune journaliste que j’étais alors.


Le Festspielhaus de Baden-Baden, cette ville où il résidait, entre France et Allemagne, et où il dirigea les plus grands orchestres notamment le Wiener Philharmoniker avec qui il interpréta ce soir-là la septième symphonie de Bruckner et la Nuit transfigurée d’un Arnold Schönberg qu’il vénérait plus que tout, est désormais devenu son tombeau pour l’éternité. Certes les deux formidables coffrets regroupant ses enregistrements en tant que chef d’orchestre et compositeur chez Deutsche Grammophon et Decca sortis ces jours-ci à l’occasion du centenaire de sa naissance ne contiennent pas ces deux œuvres mais la huitième de Bruckner et Pelleas et Melisande de ce même Schönberg. Deux coffrets qui résument malgré tout à merveille l’œuvre d’un musicien entré de son vivant dans la légende de son art.

Immense chef d’orchestre dirigeant « au tranchant de la main » et, à l’instar d’un Bernard Haitink, véritable métronome qui influença toute une génération de chefs à commencer par Sir Simon Rattle, Pierre Boulez laisse apparaître dans ce coffret ses compositeurs de prédilection : Maurice Ravel bien entendu avec qui il partagea cette philosophie de musique absolue qu’il transcenda notamment avec Pierre-Laurent Aimard, l’un de ses pianistes fétiches dans cet enregistrement DG avec l’orchestre de Cleveland, cet orchestre qui, avec celui de Chicago, fut l’un de ses plus fidèles compagnons de route. Bela Bartók ensuite bien évidemment qui ouvre ce coffret et que Boulez considérait comme l’un des cinq plus grands compositeurs du 20e siècle. Il est là avec son Concerto pour orchestre ou un très beau Mandarin merveilleux. Comme de nombreux chefs d’orchestre qui furent également compositeur – notamment Bernstein – Pierre Boulez transcenda le répertoire wagnérien – son Ring du centenaire mis en scène par Patrice Chéreau est présent en CD et en Blu-Ray après sa captation en 1980 pour notre plus grand plaisir, complété d’un incroyable Parsifal – et mahlérien avec une intégrale des symphonies qui rendent, avec leur dimension solaire, parfaitement justice au compositeur viennois, rapprochant son interprétation d’un Celibidache. Avec les plus grands solistes qui furent de véritables fidèles comme Mitsuko Uchida, impériale dans le très beau Concerto pour piano orchestre de Schönberg et Christian Tetzlaff, le coffret prend des airs de Champs-Élysées où les héros de la musique du siècle passé viennent ainsi se recueillir devant le temple de cet autre Apollon musagète d’un Stravinsky qu’il rencontra pour la première fois en 1952 puis régulièrement pendant quinze ans et dont il interpréta la musique dans un formidable coffret DG restitué en partie ici, en particulier cet Oiseau de feu de 1992 qu’affectionnait particulièrement Boulez. Bien évidemment, le coffret n’oublie pas cette création contemporaine qu’il favorisa à la fois comme chef et comme compositeur et les merveilleuses interprétations des œuvres d’Harrison Birtwistle sont là pour le rappeler. Les passionnés découvriront également quelques petites pépites comme ces Sept Haïkaï d’Olivier Messiaen en compagnie de la pianiste Joela Jones et le Cleveland Orchestra ou ses interviews sur Debussy, Mahler et Webern.

En tant que compositeur, Pierre Boulez révolutionna la musique, c’est peu dire. Fondateur de l’ensemble intercontemporain de Paris, il laisse quelques œuvres jouées dès son vivant par les plus grands orchestres et qui appartiennent aujourd’hui au répertoire : Repons, Le Marteau sans maître qu’aimait particulièrement Igor Stravinsky et bien évidemment ses fameuses Notations ou moins connu son Dialogue de l’ombre double. Une histoire musicale ainsi racontée merveilleusement par ces deux coffrets renfermant des disques devenus depuis longtemps des classiques et dont les pochettes nous sont si familières.

Une cathédrale sonore avec sa nef et sa petite chapelle renfermant bien plus que de la musique.

Par Laurent Pfaadt

Boulez, The Conductor – Complete Recordings on Deutsche Grammophon and Decca, coffret 84 CD et 4 Blu-Ray vidéo

Boulez, The Composer, coffret 13 CD (tirage Limité), Deutsche Grammophon

Miracles à Berlin

Seiji Ozawa dirigeant le Berliner Philharmoniker. De la beauté à l’état pur

Disparu le 6 février dernier, le chef d’orchestre japonais Seiji Ozawa eut avec le Berliner Philharmoniker une relation privilégiée. Une histoire d’amour commencée au début des années 1960 lorsque le jeune Ozawa devint le disciple d’Herbert von Karajan. Un photo inédite glissée dans ce magnifique coffret témoigne ainsi de cette relation spéciale. Le chef, fidèle à la tradition japonaise de révérence de l’élève au maître, est à genoux devant Karajan dans une relation à la fois de soumission et de complicité. « Quand j’ai dirigé les Berliner Phiharmoniker, on m’a souvent reproché d’en tirer un son étriqué. Au début le maestro Karajan me le disait aussi, et il s’est souvent moqué de moi à ce sujet. La première fois que j’ai interprété la Première Symphonie de Mahler, il a a assisté au concert. J’indiquais les attaques à tous les pupitres », ce qui énerva passablement Karajan. « Au concert suivant, j’étais terrifié. Je pensais que le maestro ne reviendrait pas, mais je tremblais comme une feuille à me demander ce que je devais faire, s’il revenait malgré tout. Et bien entendu, il ne s’est plus jamais montré » écrivit ainsi Ozawa dans son livre de conversations avec l’écrivain Haruki Murakami.

Seiji Ozawa
Copyright Berliner Philharmoniker ; coffret Ozawa

D’emblée ce coffret frappe par sa beauté, en rouge et blanc comme un linceul japonais pour honorer cet empereur de la musique classique. Et puis on l’ouvre délicatement comme on procéderait à la cérémonie du thé pour y découvrir toutes ses saveurs, française bien évidemment avec ce Ravel dont il fut, en compagnie de Martha Argerich le plus grand interprète, mais également ce Berlioz dont il demeurera certainement avec Charles Munch et John Eliot Gardiner, l’un de ceux qui domestiqua le mieux le feu du compositeur français. La Première Symphonie de Mahler est aussi là, interprétée le 3 février 1980.

D’autres saveurs se dégagent de ce coffret : le classicisme germanique avec un Haydn parfait et une Leonore magnifique. Sa conduite, parfaitement ciselée avec ce qu’il faut de passion, accompagne tantôt le violon étincelant d’un Pierre Amoyal dans le concerto de Bruch, tantôt se révèle mystérieux en compagnie de l’alto d’un Wolfram Christ chez Bartók. Chaque fois, le ton est juste avec ce qu’il faut de grandeur, maniant la baguette comme d’un sabre et faisant sien le dicton kurde voulant que « si Dieu est ton ami, peu importe que ton sabre soit de bois. »

Les différentes composantes du Berliner Philharmoniker s’avèrent être de parfaits compagnons dan ces voyages que nous proposent Ozawa. Les cuivres se dressent ainsi tels de magnifiques sommets dans la première symphonie de Tchaïkovski que le chef chef gravit avec grandeur. Parvenu au sommet, il y déploie une musique qui tient de l’épopée où l’auditeur contemple cet horizon musical dominé par les sommets de l’Alpensymphonie de Strauss,la Symphonie n°7 de Bruckner et la Symphonia Serena de Paul Hindemith, transcendés il est vrai par des enregistrements d’une incroyable qualité.

En mai 2009, Ozawa dirige l’Elijah de Mendelssohn avec une merveilleuse distribution : Matthias Goerne dans le rôle titre accompagné d’Annette Dasch, Anthony Dean et Nathalie Stutzmann. Un oratorio présent sur le Blu-ray accompagnant ce coffret où l’on peut apprécier la conduite du chef japonais.

Après une longue absence de près de sept ans, Ozawa revient en avril 2016 pour diriger la phalange berlinoise. Il est fait à cette occasion membre honoraire de l’orchestre  « ….. » raconte ainsi Haruki Murakami dans un essai inédit présent dans le coffret. Ozawa enregistre l’ouverture Egmont ainsi que la Fantaisie pour piano de Beethoven en compagnie de Peter Serkin, fils du grand Rudolf. Un Beethoven avec qui il converse aujourd’hui dans le temple des dieux de la musique. Reste à nous autres auditeurs, le privilège, avec ce coffret, d’en apprécier une chapelle.

Par Laurent Pfaadt

Berliner Philharmoniker & Seiji Ozawa, coffret 6 CDs and Blu-ray disc
Berliner Philharmoniker recordings

A lire également :

Haruki Murakami & Seiji Ozawa, De la musique, Conversations, traduit de l’anglais par Renaud Temperini, Belfond, 2018

Les jeunes filles et la vie

Magnifique intégrale des sonates pour violon et piano de Franz Schubert par les sœurs Milstein

On connaissait les sœurs Labeque. Il va falloir s’habituer désormais aux sœurs Milstein. Maria et Nathalia ne sont pourtant pas à leurs premiers coups d’éclat au disque après avoir dévoilé leur passion commune pour Prokofiev dans ses concertos pour violon et dans la si mélancolique sonate n°4 pour piano. Les deux sœurs Milstein nous invitent cette fois-ci à la découverte de l’intégrale de l’œuvre pour violon et piano de Franz Schubert.

Leurs sonates sont pleines de vie avec ce qu’il faut de romantisme sans tomber dans cette mélancolie à outrance dans laquelle on a trop souvent enfermé Schubert. Il y a de réels moments de joie dans ce jeu musical entre ce chat pianistique et ce rossignol à cordes. Tantôt bondissant comme jouant avec cette pelote musicale dans l’Allegro vivace de la Sonate en la majeur, tantôt ronchon devant un rossignol vantard dans le Rondo en si mineur, notre duo se déploie à merveille et s’amuse pour notre plus grand plaisir.

Ne reste plus qu’à conclure avec cette Fantaisie un ut majeur en forme de berceau où résonne une sonorité imprégnée d’une merveilleuse sororité. Une belle complicité pleine d’émerveillement.

Par Laurent Pfaadt

Marie et Nathalia Milstein, Schubert, intégrale de l’œuvre pour violon et piano, Mirare, 2CDs

Rencontres au sommet

A la tête de l’orchestre de la radio bavaroise, Leonard Bernstein fait revivre le répertoire romantique

Les 13 et 14 juin 1987, le chef américain Leonard Bernstein donnait l’un de ses derniers concerts à Munich. Il lui restait un peu plus de trois ans à vivre. Barré par Karajan à Berlin, il fit de la capitale bavaroise, le temple musical de sa vision du répertoire romantique allemand. A l’image de ce qu’il élabora avec Mahler à Vienne mais avec un orchestre moins massif, moins titanesque dirons-nous,  Bernstein use ici, dans cet enregistrement de la « Grande » de Schubert, de la même approche, à la fois solaire avec des tempos très lents tout en conservant ce lyrisme qu’il lui était propre. Cela donne une symphonie assez exceptionnelle, sorte d’océan musical avec ses grandes vagues furieuses, immenses contenant cette fouge qu’il lui est propre. Un océan où se déploient de magnifiques chevaux marins comme sortis des profondeurs et dont le galop est comme emprunt d’un rythme presque « jazzy ».


Car de l’aveu même du chef d’orchestre , il y a un jazz Schubert. C’est ce qu’il dévoile dans le CD qui accompagne cette interprétation. Petite pépite tirée des archives de la radio bavaroise, les répétitions du chef avec l’orchestre durant ces deux jours se dégustent. De son appréciation du motif d’ouverture au cor du premier mouvement par Johannes Ritzkowsky à ses conseils aux membres de l’orchestre, cet enregistrement traduit une complicité captivante entre le chef et son orchestre.

Autre figure du romantisme allemand, Schumann appartient quant à lui pleinement au répertoire de Leonard Bernstein, un répertoire qu’il a interprété et gravé sur le disque à de maintes reprises en particulier avec son orchestre du New York Philharmonic dans cet enregistrement désormais culte de 1960 (Sony). Celui que le Symphonieorchester des Bayrischen Rundfunks nous propose de la seconde symphonie dite du Printemps date quant à lui de novembre 1983. Une fois de plus, générosité et lyrisme y sont manifestes. Générosité avec cette dimension pastorale que Bernstein déploie d’une manière post-romantique. Lyrisme ensuite avec sa vision tellurique qui donne l’impression d’être parfois dans la cinquième symphonie de Gustav Mahler. Le jazz vient naturellement clore ces enregistrements avec son propre Divertimento plein de couleurs éclatantes comme pour nous rappeler qu’il fut également un compositeur capable de transcender ses interprétations.

Par Laurent Pfaadt

Leonard Bernstein, Schubert Symphonie N°8 C-Dur, The Great, Symphonieorchester des Bayrischen Rundfunks, « Conductors in rehearsal », 2 CD
BR Klassik

Leonard Bernstein, Schumann Symphonie N°2 Symphonieorchester des Bayrischen Rundfunks
BR Klassik

Le voyage imaginaire de Mozart au Japon

Imaginez Mozart recevant une lettre de l’empereur Kokaku et l’invitant à se rendre dans l’archipel. Le célèbre compositeur embarque alors à Marseille sur un navire français et après bien des péripéties, finit par arriver à la cour impériale de Kyoto. « Nos tournées en carrosse sur les routes pavées de toute l’Europe que mon très cher père – que Dieu ait son âme auprès de lui en toute éternité – nous imposait et contre lesquelles je rouscaillais, me paraissent confortables comparées à cet enfer ! » écrit-il à sa chère Constance.Nous sommes en mars 1788. Léopold Mozart est mort moins d’une année plus tôt et fin octobre 1787, Mozart a créé à Prague son Don Giovanni dont il a emmené avec lui sa Sérénade. A la cour, après avoir revêtu un kimono et aidé de son traducteur Papa Geino qui allait lui inspirer le personnage de La Flûte enchantée, il rencontre un fameux joueur de koto, cet instrument à cordes pincées typique du Japon, sorte de harpe japonaise ayant la forme d’un dragon, un certain Mieko Miyazaki. Le génie est ensuite invité devant l’empereur à interpréter en compagnie de musiciens locaux ses deux quatuors pour piano et cordes composés en 1785 et 1786.

Mozart n’est évidemment jamais allé au Japon mais avec ce formidable CD allié à un livret savoureux, l’illusion est parfaite. La combinaison des œuvres de Mozart interprétées par le trio George Sand avec plusieurs créations contemporaines japonaises notamment le Suikinkutsu de Misato Mochizuki pour quatuor avec piano et koto et Nui, un trio avec piano de Daï Fujikura, procure un sentiment de plénitude traversée par une mélodie comme tirée d’un temple bouddhiste avant que les deux musiques finissent par se rejoindre et parler d’une même voix.

Ici l’aventure n’est pas que musicale mais également littéraire grâce au travail de Richard Collasse, grand spécialiste du Japon à qui l’on doit notamment le Dictionnaire amoureux du Japon chez Plon et qui signe quelques lettres imaginaires adressées par Mozart durant ses trois mois de séjour à Constance, Nannerl ou à « Son très cher Papa ». Un Joseph Haydn à qui Mozart relate ses aventures musicales, sa découverte du théâtre Nô mais également ses facéties sexuelles. Autant dire que ce voyage imaginaire réservera à ses auditeurs bien des surprises…

Par Laurent Pfaadt

Trio George Sand, Violaine Despeyroux et Mieko Miyazaki, lettres de Richard Collasse, Le voyage imaginaire de Mozart au Japon
EnPhases, collection Elstir

Vilde Frang, Elgar, concerto pour violon

Le concerto d’Elgar est certainement le moins connu des grands concertos pour violon mais n’en est pas moins fascinant. Composé entre 1909 et 1910 et dédié au célèbre violoniste Fritz Kreisler, ses versions par le jeune Yehudi Menuhin en 1932 ou Jascha Heifetz avec le LSO en 1949 font encore aujourd’hui référence.

Vilde Frang, soliste norvégienne qui s’est imposée depuis quelques années sur la scène internationale s’est emparée de l’œuvre et il faut bien le dire, avec talent. D’emblée, elle laisse exploser sa virtuosité dans un premier mouvement très réussi avant d’entamer un dialogue musical assez subtil avec un orchestre tenu parfaitement par le chef Robin Ticciati. La fin du second mouvement vient matérialiser cette très belle rencontre qui prend des airs d’osmose.

Reste alors à Vilde Frang de conclure ce concerto dans un final étourdissant en lui instillant une magnifique dimension énigmatique, mystérieuse, rendant par là même un très bel hommage à ce  concerto en mémoire d’un autre ange.

Par Laurent Pfaadt

Vilde Frang, Elgar, concerto pour violon, Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, dir. Robin Ticciati
Chez Warner Classics

L’adieu aux larmes

Le 30 mai 1975, le pianiste Arthur Rubinstein donne son dernier concert en Pologne. Un disque d’une beauté inouïe

Lodz, 30 mai 1975. Dans cette ville, cette Manchester polonaise, naquit en 1887 un gamin qui allait conquérir le monde. Quatre-vingt huit ans plus tard, ce même gamin, cet enfant prodige qui donna ici, à 7 ans, son premier concert et célébra Chopin dans le monde entier, est de retour chez lui. Arthur Rubinstein s’assoit alors devant son piano et de ses doigts, distille pour la dernière fois, devant un public ravi, sa magie musicale.

Ce concert est rythmé par deux concertos. Le deuxième de Chopin, ce cher Chopin dont il fut l’un des plus beaux, l’un de ses plus intenses interprètes au siècle dernier. Magnifique, impérial, grandiose comme d’habitude. Puis vient l’autre empereur, le cinquième concerto de Beethoven, pareil à un chant d’adieu à sa patrie, comme un ami qui s’éloigne doucement et qu’on a aimé plus que tout. Le second mouvement est d’une émotion à vous tirer des larmes. Les deux concertos sont encadrés par une Polonaise, celle qui danse amoureusement avec le génie depuis des décennies. Elle est tantôt blonde comme la lumière de ses interpérations, tantôt noire comme la nuit de ses nocturnes inoubliables qui renferment à jamais l’intimité de nos rencontres. En deux CD, tout Rubinstein est ici réuni : virtuosité, générosité et émotion. Dernière note jouée. Un silence puis des vivats qui montent dans l’air. Le roi de Pologne se lève, salue puis quitte sa terre natale. Il n’y reviendra plus.

Un disque pour l’histoire.

Par Laurent Pfaadt

Arthur Rubinstein, Last Concert in Poland, Frederick Chopin
Institute label, 2 CD

Les Joueurs de Traverse

Et si on partait pour un Grand Tour à la découverte d’une Europe musicale de la Renaissance ? C’est en tout cas ce que nous propose ce très beau CD qui nous emmène tour à tour chez Jakob Van Eyck, Eustache du Caurroy, Giralamo Frescobaldi et John Dowland notamment.


La découverte est de plusieurs ordres : celle de la forme originelle de certaines pièces bien connues et popularisées par d’autres. Celle également d’une interprétation laissée au choix de l’interprète et que les Joueurs de Traverse magnifient parfaitement.

A travers cette succession de concerts dans les différentes cours d’Europe, intervient un autre monarque : Christian Rivet dont le luth et la guitare transcendent véritablement ces interprétations notamment celle de John Dowland en y apportant une sensibilité toute mélancolique. Au final, un voyage musical que l’on n’est pas prêt à oublier.

Par Laurent Pfaadt

Traveling Songs, Marc Mauillon, Christian Rivet, Les Joueurs de Traverse, Incises
Outhere distribution

THE BLACK KEYS

On en présente désormais plus les Black Keys, phénomène musical planétaire aux six Grammy Awards et aux tubes retentissants comme Lonely boy et Wild child. Legroupe de blues rock américain originaire de l’Ohio est de retour avec un douzième album studio coécrit avec Beck et Noël Gallagher, l’ex leader d’Oasis. Et il faut bien dire que la touche rythmique pop britannique est immédiatement perceptible, dès le premier titre, This is nowhere, mais plus encore avec le premier single que le groupe diffusa, Beautiful People ou On the Game.

Cet album s’apparente bel et bien à un voyage musical dans le temps avec des incursions plutôt réussies dans la soul et le rap notamment dans Paper Crown avec le rappeur américain Juicy J. La Memphis des années 60, le Midwest des années 70 et bien entendu la Manchester des années 90 se succèdent avec bonheur sur la platine. Ainsi, I Forgot to Be Your Lover, reprise de William Bell et Booker T. Jones, particulièrement réussie, devrait assurément figurer dans le best of du groupe et dans les set list de leurs concerts. Si l’amateur du blues rock habitué aux guitares flamboyantes de Dan Auerbach patientera avant de retrouver l’atmosphère de Delta Kream (2021) ou d’El Camino (2011) dans Live till I die ou Fever tree, il découvrira avec fascination et plaisir une nouvelle facette de ce groupe si unique.

Par Laurent Pfaadt

The Black Keys, Ohio Players
Nonesuch/Warner Records

Les Black Keys seront en concert les 12 et 13 mai au Zénith de Paris à l’occasion de leur tournée européenne avant de rejoindre l’Amérique du Nord à partir de juillet.