Il y a cinq ans disparaissait George Theophilus Walker (1922-2018), premier compositeur afro-américain à avoir remporté le prix Pulizer de la musique (1996) pour son œuvre Lilacs tirée du poème de Walt Whitman, When Lilacs Last in the Dooryard Bloom’d. Il succédait notamment à Aaron Copland, Elliott Carter et Charles Ives.
Assez
peu connu de ce côté-ci de l’Atlantique et rarement au programme de concerts
malgré une production qui avoisina les 90 œuvres avec de nombreuses pièces de
musique de chambre, ce disque regroupant les cinq symphonies de Walker devrait
remédier à cet oubli. Enregistrées à l’occasion du centenaire de la naissance
du compositeur en janvier 2022 puis en mai et juin 2023, elles sont ainsi
regroupées pour la première fois dans cet intégrale complétée d’ailleurs par un
merveilleux livret de photographies retraçant les quatorze dernières années du
maestro.
Diverses influences (jazz, musique classique, musique religieuse, musique populaire) colorent ces œuvres avec des passages tantôt épiques tantôt bucoliques obtenus grâce à l’utilisation à bon escient de cuivres ou de bois. Si sa troisième symphonie se veut plus sombre en raison de percussions imposantes, la quatrième en revanche, affiche une dimension cinématographique et angoissante qui n’aurait certainement pas déplu à Bernard Hermann. Délaissant un temps le London Symphony Orchestra ainsi que son intégrale des symphonies de Chostakovitch, le chef italien Gianandrea Noseda reconnaît d’ailleurs volontiers que « les sinfonias de George Walker ont été pour moi une découverte musicale extraordinaire ». Le directeur musical du National Symphony Orchestraa ainsi puisé dans le compositeur soviétique quelque inspiration pour ces interprétations très réussies qui rendent un très bel hommage à un compositeur méritant assurément d’être connu et joué de ce côté-ci du monde.
Par Laurent Pfaadt
Georges Walker, Five Sinfonias dir. Gianandrea Noseda National Symphony Orchestra, The Kennedy Center
Le concert du vendredi 24 novembre dernier,
donné dans la salle Érasme et associant les noms de Beethoven et Bartok, restera dans la mémoire pour la
qualité des interprétations, tant du côté de l’orchestre dirigé par le chef
russe Stanislaw Kochanovsky que de celui de la partie soliste tenue par le
premier violon, Charlotte Juillard.
Commencé
en 1936 et créé en 1938, le deuxième concerto pour violon de Bela Bartok
reflète parfaitement, avec ses accents tantôt d’une grande gravité, tantôt
violemment inquiétants, l’atmosphère de l’Europe à l’époque où il fut composé.
Le compositeur lui-même s’apprêtait à émigrer aux Etats-Unis. Longue d’une
quarantaine de minutes, l’oeuvre se compose de trois mouvements, un allegro
initial construit sur l’opposition classique entre deux thèmes, un mouvement
lent et un rondo final optant, l’un et l’autre, pour le principe de la
variation. La modernité de l’œuvre réside surtout dans l’écriture thématique, à
la fois lyrique et abstraite, et dans l’orchestration, typiquement bartokienne
avec ses cuivres et ses percussions.
Les
qualités musicales d’un concertiste et celles du violon solo d’un orchestre ne
sont pas nécessairement les mêmes, et le répertoire qu’ils pratiquent diffère
quelque peu. Par ailleurs, les difficultés techniques de ce concerto sont très
grandes. Il faut se réjouir que Charlotte Juillard les ait brillamment
surmontées et lui ait permis de proposer une interprétation mettant
particulièrement en avant le côté lyrique de l’œuvre. A sa manière propre, elle
aura intuitivement retrouvé une tradition inaugurée dans ce concerto par des violonistes comme Yehudi Menuhin ou
Henryk Szeryng. Pour cet opus majeur qui est, à la musique, un peu ce que Le
Château de Kafka est à la littérature, Charlotte Juillard a opté pour des
cordes en boyaux qui lui ont permis d’obtenir de son violon une atmosphère particulièrement grave et énigmatique dans
les premiers et seconds mouvements, avant de laisser place à la sauvagerie du
finale . Elle aura, par ailleurs, bénéficié d’un soutien orchestral de la plus
haute qualité. Longuement et chaleureusement ovationnée à l’issue de sa
performance, la super-soliste de l’OPS a offert en bis une courte pièce de
Georges Énescù, Le ménestrier premier.
Depuis
deux siècles qu’on les joue, depuis un siècle qu’on les enregistre, les
symphonies de Beethoven ont fait l’objet d’une multitude de grandes
interprétations. D’Arthur Nikisch dans les années 1900 à Nikolaus Harnoncourt
de nos jours, en passant par Felix Weingartner, Arturo Toscanini, Wilhelm
Fürtwaengler, Bruno Walter, Fritz Reiner, Herbert von Karajan, Carl Schuricht
et bien d’autres, le potentiel de ces
partitions beethovéniennes a été plus qu’exploré. Même si la musique vivante en
salle de concert conserve un avantage émotionnel sur l’écoute chez soi, il n’en
demeure pas moins rarissime d’être aujourd’hui saisi lors de l’audition d’une
symphonie de Beethoven, après que tous les grands noms de la direction
d’orchestre y ont imprimé leurs marques. Cela est pourtant arrivé : ainsi, en 2007, lors de l’intégrale
Beethoven donnée en la salle Érasme par Paavo Järvi et ses musiciens de Brême ; cela le fut
aussi, ce vendredi 24 novembre, avec l’extraordinaire interprétation de la
symphonie héroïque par Stanislaw Kochanovsky et les musiciens de l’OPS. Elle ne
mérite que des éloges : beauté du chant, intelligence du phrasé,
effervescence rythmique, richesse des timbres, vitalité conquérante et
éloquence prenante de la première à la dernière note. Si le chef s’inspire des
équilibres sonores du courant historiquement informé, avec notamment une petite
harmonie très en avant, l’effectif orchestral conserve, en revanche, une
dimension symphonique assez traditionnelle,
d’environ soixante-cinq musiciens. Pour le reste, Kochanovsky ne craint
pas d’introduire de subtils ralentis ou de romantiques accélérations, tels
qu’on les faisait souvent au siècle dernier et tels qu’ils ont à peu près
disparu depuis. Avec le concours d’un orchestre de toute évidence conquis, nous
entendîmes ainsi une Éroïca d’une flamme et d’une profondeur mirobolantes. Un
chef que l’on souhaite vivement revoir.
Quelques versions recommandables du 2ème concerto pour violon et orchestre de Bela Bartok :
Henryk Szeryng, avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dir. Bernard Haïtink (Decca)
André Gertler, avec l’Orchestre Philharmonique tchèque, dir. Karel Ancerl (Supraphon)
Ces
deux violonistes privilégient la dimension lyrique de l’oeuvre.
Gil Shaham et l’Orchestre Symphonique de Chicago, dir. Pierre Boulez (DG) mettent en avant la dimension abstraite et moderniste du concerto.
Les
samedi soir 25 et dimanche après-midi 26 novembre, la Chorale Strasbourgeoise
donnait son concert annuel, principalement consacré cette année à des œuvres de
Joseph Haydn. Il faut d’abord saluer la qualité du programme qui aura permis
d’entendre des œuvres que l’on joue rarement et qui, si elles ne sont pas les
plus grandes du compositeur, méritent largement l’écoute.
Purement
orchestral dans sa première partie, le concert débutait par la petite ouverture
de Xerxès de Haendel, suivi du plus ambitieux divertimento en sol
majeur de Haydn. Pour ce faire, Gaspard Gaget, le jeune directeur de la
Chorale Strasbourgeoise, avait obtenu le concours du Kammerensemble
Kehl-Strasbourg, très attentif et réactif à sa direction durant tout le
concert. En seconde partie, les quatre motets Responsaria de venerabili
Sacramento, rarement joués, révèlent de grandes beautés vocales. D’une durée
d’un peu moins trente minutes, la Missa Sancti Nicolai, elle aussi en
sol majeur, est également une intéressante partition vocale, offrant des
moments polyphoniques, un bel épisode fugué et un dona nobis pacem final
assez émouvant.
Outre
la vingtaine de musiciens et la soixantaine de choristes, Gaspard Gaget avait
réuni un quatuor vocal de qualité dont la soprano et le ténor furent
particulièrement mis en valeur durant la
Missa Sancti Nicolai. Les quelques imperfections audibles durant
le premier concert au Palais des Fêtes de Strasbourg avaient complètement
disparu le lendemain après-midi, dans l’église Santa Maria de Kehl. Un ensemble
orchestral et choral judicieusement disposé dans l’acoustique plutôt mate de
l’église a permis au jeune chef talentueux d’accélérer quelque peu le tempo,
obtenant de ses musiciens une verve et une cohésion d’un niveau peu banal pour
un concert d’amateur.
Bruckner, Symphonie NR. 8, Te Deum, Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, dir. Bernard Haitink, BR Klassik
Qu’il est agréable d’écouter un
nouvel enregistrement de Bernard Haitink au ton si juste et à l’interprétation
millimétrée. Et celui de la 8e symphonie de Bruckner, ce compositeur
dont il fut l’un des grands interprètes, ne fait pas exception. Enregistrée en
1993, son interprétation témoigne à nouveau d’une beauté à couper le souffle. A
l’allegro initial tout en solennité succède un scherzo d’une émotion
remarquable annonçant déjà celui de la 9e avant qu’un final Feierlich,
puissant mais sans emphase inutile, ne vienne parachever un enregistrement à
ranger parmi les disques de référence.
Bien évidemment, le chef a trouvé
dans l’orchestre de la radio bavaroise, cette phalange
« brucknérisée » comme un bronze poli avec ses équilibres sonores
parfaits, son double idéal. L’orchestre ne surjoue jamais mais au contraire
manifeste une assurance tant dans la maîtrise de la partition que dans
l’émotion qu’il distille avec parcimonie et succès.
Un équilibre qui trouve son point d’orgue dans le Te Deum du même Bruckner qui complète astucieusement ce disque et offre avec les magnifiques voix de Krassimira Stoyanova et Yvonne Naef un parfait miroir aux cuivres triomphants de cette symphonie des symphonies.
Le label The Lost Recordings retrouve
et édite des enregistrements inédits
Amsterdam, sous-sol d’un bâtiment
ultra-moderne ressemblant à une banque. Mais ici les diamants qu’elle contient
sont d’une autre nature. Soudain, une musique retentit. Non pas celle de
l’alarme mais d’un violoncelle. Les deux hommes venus de France se regardent,
interloqués. « Incroyable » dit l’un tandis que l’autre, la
gorge nouée, ne peut répliquer. Le fils du violoncelliste André Navarra
accompagné du pianiste Frédéric d’Oria-Nicolas viennent d’écouter des
enregistrements inédits du père de ce dernier. Ils ne le savent pas encore mais
ils sont sur le point de s’engager dans une aventure musicale hors du commun qui
va les conduire à l’autre bout du monde.
The Lost Recordings est né. Après cette
expérience, les deux hommes se muent en véritables archéologues de la musique, engageant
une course contre la montre afin de retrouver des enregistrements avant leur
destruction par le temps. De Londres à Paris en passant par Berlin ou Prague, The
Lost Recordings impulse ainsi, à partir de bribes d’informations, un immense
travail de référencement. « Notre mission est de sécuriser un
patrimoine musical avant qu’il ne tombe dans l’oubli et qui se désagrège »
Et Frédéric d’Oria-Nicolas de plaider pour une initiative européenne en ce
sens.
Leurs expéditions ont ainsi
permis de ressusciter des concerts méconnus de Sarah Vaughan, Duke Ellington,
Thelonius Monk, Dexter Gordon, Johanna Martzy et d’autres. De retrouver les
bandes originales et de restaurer des œuvres connues comme ce Lucia Di
Lammermoor de 1955 avec Maria Callas et Karajan que les amoureux de l’opéra ne
connaissaient qu’à travers une copie pirate d’un obscur label italien et dont
la version de The Lost Recordings a tiré des larmes aux meilleures sopranos. Parfois,
nos aventuriers s’engagent sur une fausse piste mais leurs échecs les conduisent
à de futures découvertes. Partis à Berlin sur les traces d’inédits d’Emile
Gilels, le célèbre pianiste soviétique, suivant en cela les conseils du
petit-fils de ce dernier, ils obtiennent des indices qui les ramènent à
Amsterdam et une discussion avec leur compère des débuts, Piet Tullenar, sorte
de Sallah Faisel el-Kahir du célèbre aventurier de Spielberg, et les voilà avec
entre les mains l’un des plus grands enregistrements du génie du piano lors
d’une tournée dans la capitale néerlandaise en 1976, devenu depuis l’un des
plus grands succès du label.
Désormais identifié par près de
13 000 clients majoritairement à l’étranger, le label voit affluer du
monde entier des informations sur des enregistrements oubliés avec parfois de
petites histoires comme tirées d’un film d’aventures comme cette lettre d’un
passionné qui arrive un jour dans leur studio en provenance de…Buenos Aires. Ce
qui ne devait être qu’un morceau de papier va se transformer en miracle car
suit alors un autre courrier avec des photos de bandes enregistrés au Teatro
Colon et dans un club de jazz. Le début d’une nouvelle aventure que les
passionnés découvriront très bientôt non pas sur grand écran mais sur leur
platine.
Et comme une évidence, c’est dans
l’un des temples du jazz, à Marciac, lieu du plus grand festival français que
The Lost Recordings a trouvé l’écrin de ses diamants sonores. « En
Europe, personne ne fait des vinyles comme lui » lance sans hésitation
Fréderic d’Oria-Nicolas. Lui c’est Simon Garcia, petit artisan du vinyle qui a
monté son usine de production, Garcia & Co, après avoir sillonné le monde,
convaincu l’un des grands patrons de l’industrie musicale, résisté aux mécènes
qui voulaient dénaturer son idée et terrassé machines-outils allemandes. Et le
qualificatif de diamants sonores pour ces disques de Sarah Vaughan, Chet Baker
ou Erroll Garner n’est pas galvaudé puisque comme le rappelle Simon Garcia, « le
pressage, c’est de la véritable horlogerie ».
Avec la passion qui bouillonne en lui tel un feu sacré, Simon Garcia et la société qu’il a créé en 2021 mettent un point d’honneur à réaliser des vinyles quasi parfaits et au son unique. Ainsi les mille vinyles qu’il sort chaque jour possèdent un temps de pressage de 33 secondes quand la majorité des disques sont réalisés en 18 secondes. « J’écoute les silences. Si le silence est bon, la musique est bonne » avoue Simone Garcia à propos de ses disques, « les Aston Martin du vinyle » selon Frederic d’Oria-Nicolas. Même si Simon Garcia reconnaît qu’il lui faut sortir de son modèle artisanal, son travail paie. Près de 80% de sa production part à l’étranger, essentiellement aux Etats-Unis pour le jazz et en Asie pour la musique classique. Et grâce à lui et à The Lost Recordings, ces diamants sont désormais éternels.
Par Laurent Pfaadt
Pour consulter le formidable
catalogue de The Lost Recordings :
On ne saura trop vous conseiller
en vinyle et Cds les enregistrements suivants :
SARAH VAUGHAN – LIVE AT THE BERLIN PHILHARMONIE
1969
DONALD BYRD & DEXTER GORDON – THE BERLIN
STUDIO SESSION 1963
ERROLL GARNER – THE UNRELEASED BERLIN STUDIO RECORDING
1967
Frédéric d’Oria-Nicolas,
co-fondateur et directeur général de The Lost Recordings nous raconte
l’extraordinaire aventure de ce label spécialisé dans l’édition de concerts
oubliés.
Comment l’aventure The Lost Recordings a-t-elle
débuté ?
J’ai été pianiste pendant vingt
ans. J’ai joué sur les scènes de quarante-deux pays et j’ai toujours été
passionné par les techniques de captation du son notamment sur des vinyles.
Travaillant avec l’entreprise Devialet sur la restauration d’enregistrements
mythiques, je fais un jour la connaissance de Michel Navarra, le fils d’André
Navarra, le célèbre violoncelliste français. Je lui demande s’il veut bien
m’aider à retrouver les bandes de son père. Il accepte et on retrouve ces
dernières à Prague, à Londres, à Berlin, à Amsterdam. Là-bas, au Media Park,
sorte d’INA néerlandais, la personne entendant la qualité de notre musique
restaurée, vient vers nous et nous dit : « vous savez qu’ici on a des
centaines d’inédits ! » On se regarde avec André Navarra, c’était
impensable. On lui dit « mais comment ça des inédits ? » Le type
voyant notre scepticisme remonte alors sur un charriot des dizaines de bandes
avec des enregistrements d’Ella Fitzgerald, d’Oscar Peterson, de Sarah Vaughan,
etc. On installe les bandes, on les écoute et on est complétement abasourdi. On
se dit mais ce n’est pas possible, il ne s’agit pas d’inédits. On vérifie et
effectivement ces enregistrements n’avaient jamais été publiés.
Que ressent-on à cet instant précis ?
Une des plus grandes émotions de
ma vie. Je me souviens du premier titre que j’ai écouté, Everything must
change de Sarah Vaughan. On était complètement transcendé. Et à chaque fois
qu’on me donne des bandes, j’ai l’impression qu’on me remet des toiles de
maîtres que personne n’a jamais vu. Encore aujourd’hui je ne comprends pas
comment cela est possible. Comment ces trésors ont pu dormir sur des étagères
pendant des décennies sans que personne ne fasse rien.
Après ces découvertes, vous allez alors de
surprise en surprise…
Oui parce qu’on pense d’abord qu’il
s’agit d’un phénomène isolé. Pas du tout, il y en a partout ! On se dit
qu’on a entre les mains de véritables pépites. Un patrimoine musical oublié. Et
qu’il faut absolument faire quelque chose. Après Navarra, on sort alors
plusieurs albums dont ceux découverts à Amsterdam et le succès est immédiat.
Pourtant, il faut dire qu’il est
très difficile d’identifier ces albums. Il n’y a pas de base de données
commune, qu’il y a des erreurs dans les classements, les noms d’artistes, les
dates. Les archivistes ne sont pas remplacés et ceux qui restent doivent être
convaincus. Car au début, ils voulaient nous donner des copies. Enfin cela
coûte très cher.
Pourquoi ?
Parce qu’on se déplace avec tout
notre matériel, en voiture ou en camionnette la plupart du temps pour
transporter nos magnétophones qui pèsent plusieurs dizaines de kilos, mais
également les enceintes, les câbles. Et puis on ne peut pas sortir les bandes.
Donc, il faut être sur place, dans l’enceinte du lieu de conservation.
Et puis, il faut trouver un
équilibre économique. Après notre découverte, je suis allé voir les majors pour
leur parler de mon projet. Beaucoup m’ont répondu : « c’est super
mais ça ne marchera jamais ». Elles se sont complètement trompées car on
est totalement indépendant. On cherche, on restaure, on fabrique. On a nos
clients, notre réseau de distribution, notre propre site internet. On ne dépend
de personne.
Aujourd’hui vous continuez à sillonner l’Europe
à la recherche de nouveaux enregistrements ?
Oui. On travaille avec la BBC, la
RBD à Berlin, à Amsterdam. On reçoit des lettres de fans, de mélomanes du monde
entier pour nous donner des contacts où trouver des enregistrements. A Buenos
Aires ou ailleurs. J’ai l’impression d’être Indiana Jones. C’est passionnant.
Des archéologues de la musique en
quelque sorte
Oui, cela s’apparente effectivement
à de l’archéologie car vous n’avez aucune garantie. Vous creusez mais vous ne
savez pas ce que vous allez trouver. Et puis, il y a beaucoup de déchets. Les
gens s’imaginent qu’on trouve des pépites tous les quatre matins ce qui n’est
pas le cas. Sur des centaines et des centaines de pages de données, on
sélectionne peut-être 5% et dans ce pourcentage, il y a une pépite sur dix. On
écoute des centaines d’heures de musique. Lors de notre dernier déplacement à
Berlin, on est resté douze jours et on a sorti plus de soixante
enregistrements. Et sur ces soixante, on en a sélectionné peut-être cinq dont
un Callas, un Erroll Garner et un Dexter Gordon.
Pour autant, il y a des trésors partout. J’adorerai trouver des bandes à Moscou notamment en classique. Mais avec leur administration et maintenant la guerre, c’est devenu impossible. Notre quête est sans fin, on en a pour des années à tout chercher. Donc nos aventures ne sont pas près de s’arrêter !
Leos Janacek (1854 – 1928) Messe Glagolitique JW 3/9, version septembre 1927 Sinfonietta JW 6/18 Malin Byström, soprano Jennifer Johnston, mezzo Ladislav Elgr, ténor Adam Plachetka, baryton-basse Johann Vexa, orgue Chœur philharmonique tchèque de Brno, direction : Petr Fiala Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Marko Letonja Warner classics
Enregistrée fin août 2021 dans une salle Érasme sans public, la Messe glagolitique de Leos Janacek dirigée par Marko Letonja offre bien des qualités, à commencer par celle de faire entendre la version originale de l’œuvre, celle de septembre 1927, rarement jouée ; bizarrement, on lui préfère le plus souvent celle éditée deux ans plus tard, après la mort du compositeur : simplifiant le jeu des musiciens et amoindrissant quelque peu le dramatisme de l’œuvre, elle comporte en outre des changements effectués sans le consentement explicite de Janacek.
De cet oratorio agnostique écrit en vieux-slave (glagolitique désigne son alphabet), l’ancien directeur musical de l’OPS nous laisse une interprétation des plus attachantes, jouant d’un bel équilibre entre la dimension sombre et le côté explosif et vitaliste d’une partition écrite dans la fébrilité par un homme de 73 ans, éperdument amoureux d’une jeune femme de quarante ans sa cadette à qui il dédiera d’ailleurs son dernier quatuor à cordes, Lettres intimes. Le début du disque pourra cependant surprendre car cette version originelle ne s’ouvre pas sur l’habituelle introduction cuivrée mais par cette courte intrada d’une gestique effrénée et convulsive, qui généralement conclut l’œuvre mais du coup l’ouvre également : le caractère insolite de cette étrange messe s’en trouve encore accentué. Dans l’Introduction, ainsi placée en second mouvement, Marko Letonja obtient des vents du philar de belles couleurs patinées, évoquant l’aspect d’un vieux vitrail, bien plus prenantes et envoutantes que le brillant voire le clinquant que l’on y met parfois. A la gravité du Kyrie, succède la verve du Gloria, un hymne à la vie particulièrement bien rendu dans cet enregistrement. Mouvement le plus long de l’œuvre, le Credo est également restitué dans la diversité de ses atmosphères changeantes. Quant aux incantations vocales et cuivrées du Sanctus, elles sont des plus enthousiasmantes, avant que l’Agnus dei ne réinstalle une atmosphère plus grave.
Un bon quatuor vocal (où l’on remarque notamment le ténor Ladislav Elgr), le Chœur philharmonique tchèque de Brno (où professa Janacek) et les musiciens de l’OPS participent intensément à la réussite de cette entreprise. La réalisation technique par l’équipe Warner est également de première ordre : écoutée dans de bonnes conditions domestiques, l’acoustique de la salle Érasme est parfaitement reconnaissable. La célèbre Sinfonietta qui complète le disque montre le chef et ses musiciens de l’OPS décidément très en phase avec la musique de Janacek. Avec des moyens bien personnels, jouant du détail et de la grande ligne, de la puissance et des timbres mais sans exagération, l’ancien directeur de l’orchestre retrouve la poésie des grandes interprétations tchèques, celles anciennes de Karel Ancerl et de Vaclav Neumann et nous fait regretter de ne pas nous avoir fait plus entendre cette musique en concert. A l’écoute de cet enregistrement, on en vient à se demander si d’autres orchestres français sont à ce point capables de restituer ces couleurs d’Europe centrale.
Hector Berlioz (1803 – 1869) Les Nuits d’été op.7 version de 1856 Harold en Italie op.18 Michael Spyres, ténor Timothy Ridout, alto Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : John Nelson Erato
Quelques semaines plus tard, dans la même salle mais en public cette fois, l’orchestre retrouvait le chef américain John Nelson pour deux concerts enregistrés dans le cadre d’une intégrale Berlioz si brillamment relancée à Strasbourg il y a cinq ans, avec Les Troyens et La Damnation de Faust. Fort apprécié tant dans le rôle d’Énée que dans celui de Faust, le baryténor Michael Spyres est ici le protagoniste du cycle Les Nuits d’été, composé par Berlioz sur des poèmes de Théophile Gauthier d’abord au piano, puis orchestré quinze ans plus tard, en 1856. Si les premier, quatrième, cinquième et sixième chants sont écrits dans une tonalité relativement aigue, les deuxième et troisième ressortissent à un registre plus grave. L’œuvre est alors donnée tantôt avec le concours d’une mezzo et d’un baryton, tantôt par une soprano au spectre suffisamment large et modifiant les tonalités le cas échéant. Dans cet enregistrement strasbourgeois, Michael Spyres a choisi de chanter seul tout le cycle sans opérer le moindre changement. Si on admire la beauté vocale et l’étendue de son spectre sonore d’autant mieux que la prise de son s’avère des plus respectueuses, on n’en reste pas moins sur les mêmes impressions que lors du concert, celle d’une belle performance vocale manquant quelque peu d’engagement et de contraste dans les changements d’atmosphère émaillant le cycle.
Donnée avec le concours du jeune altiste Timothy Ridout, Harold en Italie, pièce symphonique en quatre mouvements pour alto et grand orchestre fut enregistré lors de ces mêmes soirées. Avec une fidélité sonore vraiment louable, le disque réveille les impressions ressenties au concert : d’abord, un jeu d’alto d’une éloquence exceptionnelle, un orchestre d’une vitalité et d’une musicalité hors du commun dans les trois premières parties de l’œuvre (Harold aux montagnes, Marche des pèlerins, Sérénade d’un montagnard) ; en revanche, dès le début de la quatrième partie, des accents un peu raides et quelques manques d’élan font vite comprendre que John Nelson n’est pas très à son aise dans l’Orgie des brigands, qui sied bien mieux à des chefs comme Charles Münch, Léonard Bernstein, Alain Lombard (enregistré lui aussi à Strasbourg en 1974) voire, plus près de nous, John Eliott Gardiner.
Hector Berlioz (1803 – 1869) Roméo et Juliette, Symphonie dramatique Joyce DiDonato, mezzo-soprano Cyrille Dubois, ténor Christopher Maltman, baryton Cléopâtre, Scène lyrique Joyce DiDonato, mezzo-soprano Coro Gulbenkian, direction : Jorge Matta Choeur de l’Opéra national du Rhin, direction : Alessandro Zuppardo Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : John Nelson Double album Erato
Clôturant la saison musicale, la symphonie dramatique Roméo et Juliette fut donnée en juin 2022 et enregistrée à cette occasion. Le souvenir de cette soirée enthousiasmante se retrouve dans une publication qui ne suscite guère de réserves, sinon celle d’une légère faiblesse vocale du côté du Père Laurence (tenu par Christopher Maltman), heureusement compensée par une excellente diction et une incarnation théâtrale du personnage. Pour le reste, à défaut de vivre une relation pérenne, Roméo et Juliette ont trouvé, en les personnes de Cyrille Dubois et de Joyce DiDonato, une union musicale enviable. Le Coro Gulbenkian (déjà apprécié dans la Damnation) et le Chœur de l’Opéra du Rhin sont d’une vaillance parfaite, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg soutient toutes les comparaisons. La direction de John Nelson déploie un équilibre supérieur entre la beauté lyrique de l’œuvre et les moments de très grande agitation. Par leur qualité orchestrale et leur ambiance shakespearienne, certains moments sont d’une qualité superlative, notamment toute la partie introductive, du tumulte initial jusqu’à la tristesse de Roméo. Dans la lignée des Troyens et de la Damnation, cette version strasbourgeoise de Romeo et Juliette s’inscrit, elle aussi, au plus haut niveau de la discographie, aux côtés de celles de John Eliott Gardiner et de Colin Davis, la vieille version bostonienne de l’alsacien Charles Münch demeurant, sinon inégalable, sans doute inégalée. Celle de Nelson bénéficie d’une prise de son supérieure à toutes les autres. Enregistrée hors concert, le présent double album se voit en outre complétée d’une fort belle version de la pièce lyrique Cléopâtre, assortie de la voix toujours si prenante de la cantatrice américaine mais parfaitement francophone, Joyce DiDonato.
Les soirées consacrées à Roméo et Juliette furent les dernières apparitions de John Nelson à Strasbourg, où il se montrait dans une forme excellente. Sa venue était programmée pour une version de concert et l’enregistrement d’une Carmen de Bizet (toujours avec Joyce DiDonato) en avril de cette année. Il devait ensuite poursuivre la mise en disque de son projet Berlioz à Copenhague, avec la Symphonie fantastique suivie de Lélio. La nouvelle d’un sérieux accident de santé est tombée entretemps, l’obligeant à annuler ces deux projets. Souhaitons-lui de s’en remettre et de pouvoir les reprendre.Commencée au tournant du siècle, son intégrale Berlioz se compose d’ores et déjà de Benvenuto Cellini (avec l’Orchestre National de France), du Te Deum (avec l’Orchestre de Paris), du Requiem (récemment à Londres, avec le Philharmonia), des Troyens, de La Damnation de Faust, des Nuits d’Été, de Cléopâtre, de Harold en Italie et de Roméo et Juliette (ces dernières années à Strasbourg). Rappelons aussi qu’à ses débuts discographiques, l’OPS avait enregistré sous la direction de son chef, Alain Lombard, des opus berlioziens remarqués par la critique d’alors (la Fantastique, Harold, Roméo, plusieurs ouvertures), encore trouvables sous forme de vinyles, dans des boutiques d’occasion. Peut-être Warner, qui a récupéré le fonds Erato, les republiera-t-il un jour ?
C’est l’album d’un retour aux sources. Celui d’une musique acoustique qui a fait sa renommée, il y a bientôt trente ans, une musique devenue presque minimaliste débarrassée de ses oripeaux superflus. Mais également celui d’un concentré d’émotions tiré de cette voix folk chevrotante à nulle autre pareille et chantant si bien l’amour.
Le 18e album du chanteur californien, sorte d’album de photos collectées durant toutes ces années, avance ainsi sur les routes de l’amour, de sa déception à sa gloire en passant par son attraction dans un songwriting assumé et brillant. Yard sale (« vide-greniers »), premier single dévoilé et interprété avec son ami Jack Johnson, donne ainsi la mesure de cette atmosphère. Pareil à un vide-greniers, il y a dans l’amour des choses dont on voudrait se débarrasser, des choses que l’on oublie, des vieilleries à jeter mais également des merveilles cachées qui ne demandent qu’à être révélées. Sa guitare, inimitable, résonne magnifiquement dans ce Giving Ghosts enregistré en live et brille comme une lumière bienveillante dans cette douce nuit musicale. Dans Thank You Pat Brayer, c’est un au revoir instrumental et non un adieu que Ben Harper nous délivre.
Son duo avec Shelby Lynne dans 8 minutes constitue certainement l’un des plus beaux moments de l’album. Même si Ben Harper prévient dans un Trying Not To Fall In Love With You aux accents presque bréliens : « and the nights seems so long, and the days, how they linger in, on and on » (« et les nuits semblent si longues, et les jours, comme ils s’attardent, encore et encore »), il sera difficile de résister à ce nouveau disque. Alors, ne résistons pas.
Par Laurent Pfaadt
Ben Harper présentera son nouvel album au festival Jazz in Marciac, le 28 juillet 2023 pour un concert qui s’annonce une fois de plus extraordinaire.
Quelle magnifique découverte que celle de la musique croate. Agé d’une quarantaine d’années, Dejan Lazic est un pianiste et un compositeur croate reconnu. Comme pianiste, il a joué avec de nombreux orchestres prestigieux comme ceux de Budapest, de Birmingham ou de Bamberg sous les baguettes d’Ivan Fischer, de Vladimir Ashkenazy et de Kirill Petrenko. En compagnie de ce dernier et du London Philharmonic Orchestra, il a ainsi signé une interprétation remarquée du deuxième concerto de Rachmaninov chez Channel Classics en 2009.
On sait moins qu’il est également
un compositeur de talent. Et ce concerto pour piano et orchestre dans le style
istrien créé en 2014 au festival d’Aspen puis révisé en 2021 vient ainsi
confirmer toute l’étendue de ce talent. Dans cette œuvre, il rend un très bel
hommage à la fois à cette gamme pentatonique istrienne composée de rythmes asymétriques
mais également au sopila, ce hautbois croate typique de la musique de son pays.
Cela donne une œuvre pleine de caractère libérant une multitude de couleurs
mélodiques.
Placées sous le signe de l’Istrie, du nom de cette province à cheval entre l’Italie et la Croatie, les autres œuvres présentes sur ce disque rendent également un magnifique hommage à cette musique classique croate méconnue et pourtant extrêmement mélodique et belle. Avec L’Istrian suite de Natko Devčić (1914-1997) et l’hymne populaire d’Ivan Matetić Ronjgov (1880-1960), l’auditeur se voit offrir un magnifique voyage musical dans cette Europe orientale que les compositeurs croates, hongrois ou polonais magnifièrent en œuvres universelles. Une belle découverte donc.
Par Laurent Pfaadt
Istrian Rhapsody, Dejan Lazic, Ivan Matetic Ronjgov, Natko Devcic, Münchner Rundfunkorchester, dir. Ivan Repusic, BR Klassik
Metallica est de retour ! Le onzième album studio du groupe de heavy metal le plus célèbre du monde baptisé 72 saisons renvoie aux 18 premières années (72 saisons) de notre vie qui font ce que nous sommes et auxquelles nous revenons toute notre vie d’adulte. Elles « façonnent notre vrai ou faux moi » selon James Hetfield, guitariste et chanteur du groupe. Les titres de ces nouveaux morceaux traduisent d’ailleurs cette idée majeure, celle d’atteindre, de franchir, de transgresser ces limites que nous fixent la société, nos parents, notre inconscient. « Too far gone ? », « Chasing light » ou « You must burn ! » rappellent cette forme d’asservissement à l’enfance. « Room of Mirrors » renvoie également à cet inconscient que chaque adolescent se construit dans le regard des autres avant de devenir un homme.
Sept ans près Hardwired… to
Self-Destruct sorti en 2016, Metallica remet ainsi le couvert avec des
morceaux pleins de rythme et de fureur. Plus de quarante ans ont passé depuis
la formation de ce quatuor de légende, les chevelures ont grisé mais la fougue
et le plaisir de jouer sont demeurés intacts. Musicalement, les 12 titres de ce
nouvel album sont une nouvelle fois, une pure merveille. Quelques fois,
notamment dans le titre éponyme, avec cette mesure qui bat, on a l’impression
d’effectuer un voyage dans le temps, palpant ce cœur qui se déchaîna depuis Kill
em All. D’autres morceaux, plus lents comme Crown of Barbed Wire ou Inamorata
rappellent ces marches funèbres qui sont désormais la signature du groupe.
Metallica sera en France, dans ce pays qui l’a aimé dès ses débuts, pour deux concerts exceptionnels au stade de France, les 17 et 19 mai. Préparez-vous ainsi à pénétrer cette Lux aeterna, la lumière noire éternelle de cet immense groupe de musique dont l’aura a définitivement dépassé le cadre du heavy metal. L’occasion d’entendre Master of Puppets popularisé par la série Stranger Things, For Whom the Bell tolls, Enter Sandman et bien entendu les titres de 72 seasons. Un concert et un album que vous n’oublierez pas de sitôt et qui ravira autant les fans de toujours que les nouvelles générations !
Par Laurent Pfaadt
Metallica, 72 seasons Blackened Recordings/Universal Music
Le madrigal fut un genre musical polyphonique très à la mode aux 16e et 17e siècles. Essentiellement vocal, il associait des voix qui pouvaient cependant être remplacées par des instruments tels que le lirobe, ancêtre du violoncelle, ou la basse de viole dont les musicalités rappellent la voix humaine. Les plus avertis connaissent ainsi ceux de Giovanni Pierluigi da Palestrina qui en composa plus de 130 ou ceux de Claudio Monteverdi. C’est d’ailleurs dans cette Italie baroque, celle d’un autre compositeur romain, Ercole Bernabei (1622-1687) que nous plonge ce très beau disque.
Protégé du cardinal Flavio Orsini
de la puissante famille des Orsoni qui donna papes et condottiere et à qui il
dédie ces madrigaux, Ercole Bernabei est quelque peu oublié aujourd’hui. Avec
ce disque, il est ressuscité de la plus belle des manières. Ces madrigaux,
enregistrés pour la première fois, manifestent une incroyable beauté musicale.
Il y a indubitablement quelque chose de céleste dans les voix de cristal de
Myriam Arbouz et Marine Fribourg. Associées à la douceur de leurs homologues
masculins, leur complémentarité est stupéfiante. L’ensemble Faenza est en
appui, modulant son accompagnement avec intelligence. Le clavecin distille avec
passion ses incursions et brille dans les toccata de Simonelli et passacaille
de Pasquini tandis que théorbe et guitare, tels des oiseaux posés sur les
branches de ce jardin musical, sont là pour nous rappeler la douceur du sud de
l’Europe et de la vie artistique romaine.
Ces interprétations restituent ainsi à merveille l’atmosphère de ces palais romains où se retrouvaient prélats et puissants et où le théorbe de Bernabei devenait, à l’instar du pinceau d’un Pierre de Cortone, mort l’année de l’impression de ces quinze pièces, l’instrument d’un soft power qui ne disait alors pas encore son nom. Sans savoir que quelques 350 années plus tard, l’humanité finirait par se souvenir du compositeur et non du commanditaire grâce à ce disque merveilleux.
Par Laurent Pfaadt
Ercole Bernabei (1622-1687), Concerto madrigalesco, Faenza dir Marco Horvat, EnPhases