L’International Congress of Arabic Publishing and Creative Industries et l’Abu Dhabi International Book Fair ont abordé des questions liées aux littératures de l’imaginaire
Super-héros et autres génies s’étaient donnés rendez-vous dans la capitale des Emirats Arabes Unis pour souffler aux oreilles des créateurs et autres financiers qui avaient pris place dans l’immense centre des congrès d’Abu Dhabi à l’occasion de l’International Congress of Arabic Publishing and Creative Industries organisé en prélude à l’Abu Dhabi International Book Fair. Et avec comme maître de cérémonie, rien de moins que le scénariste des Avengers, Brian Michael Bendis. A l’instar d’une Tornade des X-Men (Storm), l’ancien collaborateur de Stan Lee est ainsi venu souffler un vent d’optimisme sur tous ces créateurs en herbe qui, dans cette partie du monde, commencent à émerger. « Dites votre histoire, dites-là du fond du cœur et des millions de personnes ressentiront la même chose » lança-t-il à une assistance convaincue de la force d’un pouvoir de l’imagination capable de miracles y compris fantastiques.

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Mais qui dit pouvoir de l’imagination revient à évoquer son détenteur. Et à l’heure du débat planétaire sur la révolution ChatGPT qui agite aussi bien auteurs, scientifiques, politiques ou journalistes, se pose bien évidemment la question récurrente de l’influence grandissante de l’Intelligence Artificielle sur la création de contenus. Les différents intervenants du congrès ont ainsi manifesté à la fois inquiétude et volonté de s’inscrire dans cette révolution technologique transformée en nouvelle querelle entre anciens et modernes. Car si les uns voient les nouvelles technologies comme une plus-value dans l’intensité dramatique apportée à leurs histoires, les autres craignent cependant qu’elles prennent le pas sur la dimension humaine de l’imaginaire.
D’ailleurs, de l’imagination à l’imaginaire et plus particulièrement à la fantasy, il n’y a qu’un pas que les auteurs présents tant au congrès qu’à la foire ont aisément franchi. Tout le monde connaît Dune de Frank Herbert qui emprunta de nombreux traits à la culture arabe et à la religion musulmane ou Sharakhaï, la saga de fantasy de Bradley F. Beaulieu qui se déroule dans une contrée fortement inspirée du Moyen-Orient. Qu’il s’agisse de science-fiction ou de fantasy, ces genres littéraires gagnent ici, depuis plusieurs années, une certaine audience. « Notre culture regorge d’histoires » estime pour sa part Ibraheem Abbass, auteur de la success story saoudienne HWJN (hawjan) partie avec « zéro dollar de budget » comme il se plaît à le rappeler. Son histoire est ainsi devenue un roman puis un film et bientôt un comic. Et à l’instar de son héros, un génie tombant amoureux d’une mortelle, la culture arabe regorge de légendes fantastiques, de génies, de démons – les fameux djinns – prompts à nourrir l’imaginaire créatif de nombreux créateurs. D’ailleurs, l’une des tables-rondes de la foire d’Abu Dhabi intitulée « Mystery Fiction and Fantasy in Arab Literature : Questions and Models » a permis de mettre en lumière les influences fantastiques et de l’imaginaire dans la littérature arabe et de tracer les lignes d’un genre littéraire encore en devenir.
Alors pourquoi ces thèmes sont si peu représentés dans la littérature arabe ? Parce que celle-ci a essentiellement exploré la piste du roman arabe moderne mené notamment par la figure tutélaire de l’égyptien Naguib Mahfouz, prix Nobel en 1988, que ce genre littéraire a été – comme en Occident d’ailleurs – méprisé pendant très longtemps, que la pop culture n’a pas eu une influence aussi importante dans les pays arabes et enfin que le rapport de ce genre littéraire à l’Islam a pu brider de nombreuses initiatives – Ibraheem Abbass reconnaît d’ailleurs qu’il a dû faire face à des critiques religieuses dans son pays, l’Arabie Saoudite – qui, cependant, tendent à se libérer et à se développer ces dernières années. Mais la mondialisation de la culture anglo-saxonne qui notamment ici, aux Emirats Arabes Unis, a trouvé un écho avec le tournage de nombreux blockbusters américains comme Star Trek Beyond, Fast and Furious 7 ou Star Wars VII et la présence de Warner Bros World Abu Dhabi, un parc à thème autour du cinéma a accéléré cette révolution des mentalités.
Et comme la culture ne connaît pas de frontières, cette évolution est passée à la littérature. Ainsi, la présence dans les finalistes de l’International Prize for Arabic Fiction, le « Goncourt » arabe de The Farthest Horizon, une comédie satirique racontée par Azrael, l’ange de la mort de Fatima Abdulhamid, une auteure saoudienne de surcroît montre, au-delà des clichés, que les choses évoluent y compris sur ce terrain littéraire.
Et si la querelle entre anciens et modernes ne se situait pas entre bonne et mauvaise littérature, ni entre IA et création humaine mais plutôt entre Entertainment et éducation ? Etienne F. Augé, universitaire français enseignant aux Pays-Bas et invité au congrès a rappelé qu’on lit de moins en moins au profit de séries sur les plateformes. Il voit cependant dans la science-fiction l’alliance parfaite entre le divertissement et l’éducation notamment dans le monde digital et pense que la fantasy arabe peut être un vecteur important de promotion de la culture arabe et de ses valeurs. « Le pouvoir de la science-fiction est sans limites. Elle constitue un formidable outil pour préparer les gens au futur tout en les prévenant du pire » estime-t-il. Outil qui s‘est notamment matérialisé, il y a quelques années, dans Yatakhayalon (The League of Arabic SciFiers), une maison d’édition fondée par Ibraheem Abbas et qui souhaite encourager la science-fiction arabe. Autant dire que les super-héros ont encore de beaux jours devant eux dans cette partie du monde, notamment ici à Abu Dhabi et que l’avenir de la littérature réside peut-être dans la fantasy et la science-fiction. D’ailleurs l’un des courants de cette dernière ne se nomme-t-il pas anticipation ?
Par Laurent Pfaadt
Image : Abu Dhabi International Book Fair ©SZBA