Il y a ici une véritable volonté de créer un dialogue entre les peuples, entre les civilisations, entre les religions

Mathieu Tillier est professeur d’histoire islamique médiévale à la Sorbonne et l’auteur de nombreux ouvrages. L’un d’eux, L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam publié aux éditions de la Sorbonne, celles de son université, en 2017 a obtenu cette année le Sheikh Zayed Book Award dans la catégorie ouvrage traduit dans une autre langue. Pour Hebdoscope, il revient sur ce dernier…

H Sheikh Nahyan bin Zayed Al Nahyan et Mathieu Tillier
© SZBA

Racontez-nous l’extraordinaire aventure qui a conduit à ce prix. Comment tout a commencé ?

Je ne sais pas. Lorsque j’ai appris que j’étais shortlisté qui est le moment tout court où j’ai appris que je faisais partie de la compétition, j’ai prévenu les éditions de la Sorbonne qui n’étaient pas au courant. Je savais vaguement que l’on pouvait postuler mais cela ne me serait jamais venu à l’esprit de franchir le pas. La seule chose que je peux supposer c’est que le comité international a recherché les livres susceptibles de retenir leur attention.

Mon livre est un ouvrage écrit en français puisque c’est la langue dans laquelle je raisonne même si l’objectif est de communiquer avec tous les universitaires et spécialistes du monde entier notamment arabophones sur ces questions. Ma satisfaction est d’autant plus grande de voir ce livre couronné car la langue française est en recul dans le monde arabe. Moi-même je communique en anglais depuis longtemps avec des collègues anglo-saxons aux Etats-Unis ou en Angleterre. J’ai eu la chance, il y a une quinzaine d’années, de passer deux ans à Oxford où j’ai notamment appris le syriaque. Cela m’a beaucoup aidé à entrer dans le système mondialisé de cette recherche particulière.

Puis on vous appelle pour vous dire « c’est vous ». Que se dit-on à cet instant, à propos d’un livre écrit il y a six ans ?

Il est certes sorti il y a six ans mais il a été essentiellement écrit entre 2012 et 2016 à partir de recherches que j’ai commencé en 2008. Pour autant c’était totalement inattendu car on s’attend à voir des ouvrages plus récents l’emporter et quand j’ai vu la liste finale avec certains livres comme celui de Béatrice Grundler, une chercheuse bien plus établie que moi, The Rise of the book, je ne me suis fait pas beaucoup d’illusions. Et finalement non.

D’où vous vient cet intérêt pour le monde arabe ?

Il est probablement né lors d’un voyage effectué à l’adolescence avec mes parents en Egypte et qui m’a permis de découvrir qu’il existait un monde arabe, une histoire au-delà des pharaons. Puis à l’âge de quinze ans, la lecture du Désert des déserts de Wilfred Thesiger, un écrivain très connu ici, a été déterminante pour moi. Il s’agit du dernier témoignage sur le golfe arabo-persique avant le pétrole. Enfin, la rencontre avec des enseignants de l’université de Lyon a orienté mes recherches dans le monde musulman médiéval.

Ce prix va-t-il entrainer selon vous un regain d’intérêt du public français pour les pays du Golfe et les Emirats Arabes Unis ? Pour voir qu’il se passe des choses dans cette partie du monde.

Je pense que beaucoup de gens regardent déjà. Les Emirats Arabes Unis sont devenus une plateforme d’enseignement, une plateforme culturelle importante. Il suffit de voir ce qu’il y a et ce qui se développe. Les Français sont souvent critiques. Moi, au contraire, je crois qu’il y a ici une véritable volonté de réunir un certain nombre d’institutions culturelles, d’enseignement, de créer un dialogue entre les peuples, entre les civilisations, entre les religions. Cela fait plusieurs années que je viens ici, pour des missions d’enseignement de l’histoire ou de l’archivistique. Et je vois un public d’Emiriens toujours plus intéressé, un public où figure un nombre croissant d’étudiants et de jeunes.

Avec ce prix, vous devenez en quelque sorte un ambassadeur du Sheikh Zayed Book Award et à travers lui de ce qui se passe ici…

Peut-être mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est de m’inscrire dans une dynamique d’échanges au niveau mondial. Après si les Français s’y intéressent, tant mieux !

Par Laurent Pfaadt

A lire également les livres de Wilfred Thesiger, Le désert des déserts (Pocket, 1999) et La vie que j’ai choisie (Points, 2017).