En 1968, Stanley Kubrick, réalisateur mondialement célèbre après Les Sentiers de la gloire et 2001, l’Odyssée de l’espace, se lance dans un projet démesuré : raconter son Napoléon. Son film rejoignit pourtant ces projets titanesques, tel le Leningrad de Sergio Leone, qui ne virent jamais le jour. Le réalisateur américain se rabat alors sur l’adaptation cinématographique d’un livre de William Makepeace Thackeray (1811-1863), The Memoirs of Barry Lyndon. Il en fera un film « sur l’échec, l’impuissance à fracturer un monde travaillé par les passions tristes » comme le rappelle Sébastien Allard, directeur du département des peintures du musée du Louvre dans la préface du livre. Un film grandiose devenu très vite culte.

Près d’un demi-siècle après sa sortie au cinéma, Barry Lyndon a quelque peu disparu du patrimoine cinématographique. Et pourtant, plus qu’aucun autre, ce film est un patrimoine à lui seul, à la fois matériel et immatériel. Il devenait donc nécessaire de se replonger dans cet univers à nul autre pareil parfaitement restitué par ce livre nourri d’archives jusqu’alors inédites conçu sous la supervision de Jan Harlan, beau-frère de Kubrick et producteur des cinq derniers films du cinéaste.
Les auteurs de ce livre fantastique, parfois au sens premier du terme comme dans ces scènes d’intérieur où se côtoient personnages mystérieux et redoutables, nous emmènent littéralement à l’intérieur du film en compagnie des acteurs – Ryan O’Neal, le héros de Love Story dont le choix surprit plus d’un et l’envoûtante Marisa Berenson qui tint là le rôle de sa vie – des techniciens et bien évidemment du génie que fut Stanley Kubrick. Leurs témoignages éclairent ainsi les coulisses du chef d’œuvre et se doublent d’images d’une beauté stupéfiante comme celles de Lady Lyndon avec sa beauté fardée ensorcelante. Analysant ainsi le film comme un alchimiste reprenant les ingrédients qui lui firent transformer le plomb du pistolet de Barry Lyndon lors de ses duels en or dispensé par cet éclairage à la bougie, le lecteur reste stupéfait. Stupéfait car il se promène dans une sorte d’exposition filmée et littéraire, croisant tantôt les tableaux d’Hogarth ou de Chardin, tantôt les story-boards, œuvres d’art à part entière, tantôt enfin avec ces costumes signés Milena Canonero et Ulla-Britt Söderlund et qui valurent à ces dernières l’un des quatre oscars du film en 1976.
Et puis bien évidemment la Sarabande d’Haendel adaptée par Leonard Rosenman, une œuvre intemporelle gravée dans nos mémoires comme le tocsin d’un destin. Un destin, celui de Barry Lyndon qui résonne de son message sans savoir s’il faut y voir dans cet anti-héros un opportuniste sans foi ni loi ou bien un « personnage né dans la pauvreté qui est détruit par un système de classe impitoyable » selon Michel Ciment, critique de cinéma et l’un des contributeurs du livre. Un film qui n’a donc rien perdu de sa modernité tant dans son esthétique que dans le miroir qu’il nous renvoie.
En cette période de fêtes à venir, ce livre magnifique devrait assurément comblé les amoureux non seulement de Stanley Kubrick et les passionnés du cinéma. Un livre à ranger entre Michel-Ange et Haendel.
Par Laurent Pfaadt
Jan Harlan, François Betz, Barry Lyndon : Stanley Kubrick
Aux éditions Simeio, 172 p.