Des visages pour l’éternité

Un livre bouleversant raconte l’histoire de Wilhelm Brasse, le photographe d’Auschwitz

Il ne devait subsister d’eux aucune trace. Les effacer de la mémoire de l’humanité jusqu’à l’oubli. Tel était l’objectif des nazis concernant les juifs. Mais grâce à lui ces derniers ont aujourd’hui un visage et un nom.


Luca Crippa et Maurizio Onnis, auteurs de La Petite fille de Kiev (Alisio Histoire, 2023) retrace ainsi la vie de Wilhelm Brasse dans un livre qui se lit d’un trait. Né à 1917 en Pologne, Wilhelm Brasse arrive à Auschwitz à la fin août 1940. Il parle allemand et très vite sa formation de photographe, apprise à Katowice, lui vaut d’être contraint de servir les SS du camp. Obligé de photographier les nouveaux arrivants mais également les SS sous peine de mort, il réalise entre 40 000 et 50 000 clichés qu’il va, au péril de sa vie, conserver en partie. Les deux auteurs montrent ainsi avec effroi la banalité du travail de Wilhelm Brasse qui, dans le même temps, immortalise bourreaux et victimes. On se demande en permanence comment le photographe peut à la fois être prévenant avec les SS lorsqu’il réalise leurs portraits destinés à leurs familles et contenir un désespoir devant de futures victimes notamment celles du terrible docteur Josef Mengele. « Je savais qu’elles allaient mourir. Mais elles, elles ne le savaient pas. Elles étaient si belles et pleines de vie » affirmera Wilhelm Brasse en 2005 au quotidien britannique, The Guardian, à propos de ces jeunes femmes qui se succèdent devant son objectif notamment l’inoubliable Czeslawa Kowka qui orne la couverture du livre et dont le visage colorisé par l’artiste brésilienne Marina Amaral en 2018 ne quittera plus jamais votre esprit. La puissance émotionnelle dégagée par cette photo trouve dans ce livre un écho où les destinées du modèle et de son photographe finissent par se mêler pour l’éternité.

Wilhelm Brasse est mort en octobre 2012 à l’âge de 95 ans. Un an plus tard, en Syrie, un autre photographe baptisé « César » faisait défaut et révélait plus de 50 000 clichés représentant 11 000 personnes tuées en détention par la police politique de Bachar El-Assad. Grâce à César, nous mesurons aujourd’hui l’ampleur de la terreur du régime. Mais surtout, il redonna lui aussi un visage et un nom à toutes ces victimes innocentes. Grâce à lui, ces victimes recouvrirent leur humanité. Mais César eut un prédécesseur : Wilhlem Brasse dont le destin doit être, grâce au livre magnifique de Luca Crippa et Maurizio Onnis, connu de tous.

Des visages restés à jamais sur la rétine de Brasse, sur celle de l’histoire et aujourd’hui, sur le papier d’un livre.

Par Laurent Pfaadt

Luca Crippa et Maurizio Onnis, Le photographe d’Auschwitz,
Alisio Histoire, 320 p.

Bruckner

Bruckner, Symphonie NR. 8, Te Deum, Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks,
dir. Bernard Haitink, BR Klassik

Qu’il est agréable d’écouter un nouvel enregistrement de Bernard Haitink au ton si juste et à l’interprétation millimétrée. Et celui de la 8e symphonie de Bruckner, ce compositeur dont il fut l’un des grands interprètes, ne fait pas exception. Enregistrée en 1993, son interprétation témoigne à nouveau d’une beauté à couper le souffle. A l’allegro initial tout en solennité succède un scherzo d’une émotion remarquable annonçant déjà celui de la 9e avant qu’un final Feierlich, puissant mais sans emphase inutile, ne vienne parachever un enregistrement à ranger parmi les disques de référence.

Bien évidemment, le chef a trouvé dans l’orchestre de la radio bavaroise, cette phalange « brucknérisée » comme un bronze poli avec ses équilibres sonores parfaits, son double idéal. L’orchestre ne surjoue jamais mais au contraire manifeste une assurance tant dans la maîtrise de la partition que dans l’émotion qu’il distille avec parcimonie et succès.

Un équilibre qui trouve son point d’orgue dans le Te Deum du même Bruckner qui complète astucieusement ce disque et offre avec les magnifiques voix de Krassimira Stoyanova et Yvonne Naef un parfait miroir aux cuivres triomphants de cette symphonie des symphonies.

Par Laurent Pfaadt