Musique en Alsace

Il est des concerts où, dès les premières notes, on se dit qu’une grande soirée musicale commence. Cette impression première s’est trouvée plus que confirmée lors du dernier concert de l’OPS avec la jeune violoniste Liya Petrova et le chef invité Michael Sanderling.


Photo : Gregory Massat

Quelle beauté de jeu, quel lyrisme à la fois retenu et fervent, quelle pureté d’inspiration dans le concerto pour violon de Mendelssohn, rarement bien joué ! Dès l’entrée du violon exposant le thème principal, Liya Petrova trouve le ton juste là où tant d’autres s’égarent dans une sentimentalité un peu niaise, ou bien s’en préservent en campant sur une rigueur hors de propos. Avec la première réplique de l’orchestre, on se réjouit aussi de l’élégance de jeu qu’en obtient Michael Sanderling, avec notamment des cordes douces et sensuelles dans un équilibre instrumental d’une clarté exemplaire. Tant du côté de la soliste que de l’orchestre, cette qualité du dialogue ne faiblira à aucun moment. L’andante central fut un sommet de poésie, rapprochant le violon de Mendelssohn du piano de Schumann, celui de la rêverie des Scènes d’enfants. Virtuose comme il se doit, l’allegro molto vivace final ne se départit à aucun moment de cette grande ligne poétique et musicale. Et quel soutien orchestral !

Liya Petrova joue souvent avec d’autres amis musiciens, comme les talentueux pianistes Adam Laloum, Alexandre Kantorow ou Eric Le Sage. C’est avec deux des musiciens de l’orchestre – le violoncelle solo Alexander Somov et Charlotte Juillard, le violon super-soliste – qu’elle a donné, en bis, deux petites pièces virtuoses de Bela Bartok.

Michael Sanderling est le cadet des fils de Kurt Sanderling, grand chef d’orchestre allemand du 20è siècle qui fut, entre autres, associé au légendaire Philharmonique de Leningrad et à son directeur Evgeny Mravinski. Ses frères aînés, Thomas et Stefan Sanderling, sont eux-mêmes chefs d’orchestre. Michael aura d’abord fait une carrière de violoncelliste, notamment comme violoncelle solo au Gewandhaus de Leipzig, avant d’opter pour la direction d’orchestre. Il a été, dix ans durant, chef de la Philharmonie de Dresde. Depuis quelques années, il est directeur musical de l’Orchestre symphonique de Lucerne, le plus vieil orchestre suisse fort d’une bonne centaine de musiciens et doté d’une des meilleures salles qui soient, où se déroule chaque année le Festival international de musique. Des enregistrements, semble-t-il peu distribués en France – intégrales Beethoven, Brahms et Shostakovitch – ont été effectués à Dresde et à Lucerne.

Se souvient-il que cette quatrième symphonie de Bruckner qu’il dirige ce soir du 6 février 2025 — dans l’édition Novak, la plus austère –, son père aussi l’avait donnée dans cette même salle, il y a une bonne trentaine d’années ? Quoi qu’il en soit, s’il était encore là, celui-ci n’aurait pas à rougir de la performance de son fils car elle se situe au plus haut niveau de ce que l’on a entendu à Strasbourg. Conduit de cette manière, avec tant de précision et d’ardeur, l’OPS soutient toutes les comparaisons et peut tourner avec ce concert dans les plus grandes salles d’Europe. Abordant cette musique de Bruckner de façon très architecturale, Michael Sanderling retient tout ce qu’elle peut receler d’anecdotique et de figuratif. Moyennant un équilibre sonore des plus expressionnistes, il y installe une ambiance à la fois dramatique et abstraite, à la manière de certains grands chefs du passé comme Otto Klemperer et Evgeny Mravinski, qu’il a sûrement du connaître dans sa jeunesse auprès de son père. La concentration qui règne alors sur scène diffuse dans la salle, d’un silence et d’une attention remarqués, en dépit de tous les maux de gorge saisonniers. Michael Sanderling, un chef que l’on espère retrouver lors de prochaines saisons.

Non loin de Strasbourg, le village viticole de Wolxheim a été ces dernières semaines le lieu de deux belles soirées musicales données au Domaine Lissner tenu par Bruno et Théo Schloegel, vignerons hors normes élaborant des vins à l’avenant. Début décembre, un premier concert était donné par le Trio Zénon formé de Charlotte Juillard et de ses amis, la violoncelliste Lydia Shelley et le pianiste Emmanuel Christien, jouant avec ferveur et justesse de style les premiers trios de Beethoven et de Mendelssohn. Quelque temps plus tard, le 26 janvier, ce fut le tour du pianiste Adam Laloum venu de Paris « roder » un concert prévu prochainement au Théâtre des Champs-Elysées. Nous eûmes ainsi le plaisir d’entendre les « petites » sonates de Schubert D566 et D557, son interprétation à la fois vigoureuse et éloquente de la troisième sonate de Brahms (qu’il a enregistré il y a quelques années) et des Kreisleriana de Schumann excellant à concilier énergie rythmique et fluidité du chant, notamment dans un début des plus beaux qu’il m’ait été donné d’entendre. Des soirées musicales et vineuses de cet acabit, on en redemande.

Michel Le Gris