Pour certains pianistes, il y a des compositeurs qui tombent sous le sens. Pour Clément Lefebvre, il s’agit indiscutablement de Maurice Ravel. Après Rameau et Couperin, l’ancien vainqueur du Concours international de piano James Mottram de Manchester en 2016 nous livre un second enregistrement tout en poésie, magnifiquement porté par la sonorité de son Yamaha.
Son Ravel est plein de charme, d’une sensibilité exquise à l’image de cette magnifique Pavane pour une infante défunte. Nulle démonstration de force mais une fidélité au compositeur portée par une conception toute personnelle qui laisse la place au rêve. Son Tombeau de Couperin est une sorte de Rubens musical avec ses couleurs vives, éclatantes. L’auditeur se laisse ainsi porter par une forme de béatitude fort agréable et ne souhaite qu’une seule chose : que cela ne s’arrête pas.
Clément Lefevre sera présent au festival Piano au Musée Würth à Erstein, le 11 novembre 2021
Une magnifique exposition et deux ouvrages de référence viennent nous rappeler l’œuvre monumentale de Christo
A l’instar de cet arc de triomphe désormais transfiguré, l’œuvre du génial Christo Vladimiroff Javacheff alias Christo (1935-2020) a souvent été réduite à un « simple » emballage. Pourtant, il n’en fut rien, n’en déplaise à ses détracteurs. Et les preuves se trouvent au musée Würth d’Erstein en Alsace. Pourquoi là-bas ? Car l’industriel Reinhold Würth, ami du couple Christo-Jeanne Claude possède ce qui constitue aujourd’hui le fond privé Christo le plus important du monde et dont cette très belle exposition en est le reflet.
Christo demeure d’abord un artiste inscrit dans une époque, celle du Paris de la fin des années 50 avec son bouillonnement culturel où le jeune bulgare subit l’influence d’un certain nombre de courants notamment celui de la peinture matiériste de Jean Dubuffet. Là-bas, Christo commença à collecter des objets qu’il recouvrit, en particulier ces bidons que l’on retrouva quelques quarante ans plus tard dans The Wall. Dans ses dessins absolument stupéfiants, le visiteur y lit en filigrane la pensée de l’artiste. Les croquis sont surmontés d’une sorte de cartouche avec des détails techniques et des échantillons du tissu utilisé. Tout est là pour que rien ne puisse trahir la pensée de l’artiste. Car la clef de la réussite de chaque projet tient à la fidélité des installations par rapport à la vision initiale du maître, quel que soit la complexité de l’opération. Cela donne des réalisations magistrales telles que The Umbrellas, Joint Project for Japan and USA 1984-1991, séries de parapluies, bleus au Japon et jaunes aux Etats-Unis ou Running Fence, cette clôture de 37 kilomètres installée en 1976 en Californie.
Viennent alors les grands projets : celui de The Gates de Central Park avec ses voiles orange, du Pont-neuf à Paris, du Reichstag qui suscita tant de critiques et que la monographie de TASCHEN ainsi que la maquette du musée Würth placent à juste titre comme l’un des points d’orgue de la carrière de Christo ou du fabuleux lac Iseo en Italie (The Floating Piers) où les visiteurs, fascinés par tant de monumentalité et de prouesse artistique, « ont l’impression de marcher sur l’eau – ou peut-être sur le dos d’une baleine » selon l’artiste. Les éléments sont transcendés, les repères bouleversés, l’homme semble alors, le temps d’un instant, pouvoir dépasser sa propre condition.
L’exposition comme les différents livres rappellent que les performances de Christo revêtent également une dimension écologique majeure comme en témoigne l’utilisation de tissus recyclés (25.000 mètres carrés et 3.000 mètres de corde pour l’arc de triomphe par exemple). Le projet Surrounded Islands de Biscayne Bay sur onze îles au large de la Floride servant de décharges, et choisi à cet effet par Christo, contribua ainsi à l’évacuation de près de 40 tonnes de déchets. A la Fondation Beyeler à Bâle, les arbres furent enveloppés avant la floraison du printemps.
Derrière ces chefs d’œuvre se cachent également l’incroyable détermination d’un artiste, capable de patienter soixante ans comme à Paris, avant de voir la conclusion de son projet ou de se lancer dans un nouveau défi après un échec. A Paris où il rencontra Jeanne-Claude en 1958, le couple n’eut malheureusement pas le plaisir de voir aboutir leur projet. Restent pour les visiteurs une image à jamais gravé sur leur rétine et un livre absolument génial qui revient sur les nombreux dessins, travaux préparatoires et négociations qui émaillèrent ces soixante années d’obstination. Les mérites tant de l’exposition que des ouvrages que lui consacre TASCHEN résident également dans ces différents projets qui n’ont jamais vu le jour (Whitney Museum, Au-dessus de la rivière Arkansas, etc…). Ils montrent ainsi que Christo demeura jusqu’au bout un artiste qui dut convaincre.
« Je n’aurais jamais pensé que cela arriverait un jour… mais je veux que vous sachiez que nombre de ces projets peuvent être construits sans moi. Tout est déjà sur le papier » avait un jour dit Christo. Le projet du Mastaba d’Abu Dhabi composé de bidons de pétrole qui referme le livre et l’exposition, a, au regard de ces mots, quelque chose de prémonitoire. Ce vieux projet, débuté en 1976 mais abandonné au moment de la guerre Iran-Irak (1980-1988), devrait ainsi boucler cette démarche entamée quelques soixante-cinq ans plus tôt : celle d’une œuvre permanente qui se veut à la fois la quête artistique d’une vie, le manifeste d’un homme de son temps et un jalon civilisationnel comme le fut celui des pyramides d’Egypte. On est donc bien loin du paquet cadeau…
A voir : Christo et Jeanne-Claude Collection Würth, musée Würth France, Erstein, jusqu’au 20 octobre 2021 A lire : Christo and Jeanne-Claude. L’Arc de Triomphe, Wrapped, Paris, 1961-2021, 128 pages, TASCHEN Christo and Jeanne-Claude, 40th Edition, 512 pages, TASCHEN Pour aller plus loin : Andreï M. Paounov, Christo, Marcher sur l’eau, DVD, Dissidenz Films Jörg Daniel Hissen, Wolfram Hissen, Christo & Jeanne-Claude, L’art de cacher, l’art de dévoiler, à voir sur Arte replay jusqu’au 13 décembre 2021