Héraut du libre-arbitre

Nouvelle
publication des
écrits de Viktor
Nekrassov, figure
de la dissidence
soviétique

Aujourd’hui, le
nom de Viktor
Nekrassov ne dit
presque plus rien à
la plupart d’entre
nous. Comme si l’URSS qu’il défendit les armes à la main avant
d’en être l’un de ses principaux contempteurs, sombra avec ses
opposants. Pourtant, grâce à la littérature qui ne meure jamais et
à la mémoire tenace de quelques éditeurs courageux et
passionnés, il nous est permis de relire ce grand écrivain.

Si Soljenitsyne et Sakharov furent les généraux en chef de cette
autre armée secrète, Nekrassov représenta l’un de ses plus
brillants soldats comme en témoigne sa magnifique plume. Mais
avant de tenir cette dernière, de combattre un ennemi mille fois
plus puissant et de subir des défaites qui jamais ne furent des
déroutes, Nekrassov se battit les armes à la main. Dans les
tranchées de Stalingrad
que le lecteur pourra enfin lire après des
décennies d’absence et dont la beauté rappelle Vie et destin de
Grossman, Nekrassov entama, par le biais de son héros, sa
résistance face à l’absurdité d’un système. En s’appuyant sur son
expérience de la guerre à Stalingrad, le récit de Nekrassov,
iconoclaste pour l’époque, lui valut, paradoxalement, le prix
Staline en 1946.

Comme tant d’autres, sitôt dissipée l’illusion de la victoire,
Nekrassov s’engagea alors plus activement dans la dissidence en
suivant son fil rouge : la résistance à l’arbitraire. Dans la ville natale,
roman publié à la mort de Staline alors que l’URSS entrait en
déstalinisation, il mit une nouvelle fois en scène un militaire
confronté à son libre-arbitre et en proie à sa conscience. A travers
ses lignes et les dirigeants qu’il dépeint, Nekrassov propose une
critique à peine voilée du système soviétique. Les Carnets d’un
badaud
publiés en 1976 et rassemblant ses souvenirs, sont narrés
sur un mode assez original, comme autant de promenades, et
offrent, quant à eux, un résumé d’une vie de lutte contre un
système oppressif. A la manière d’un Sandor Marai, Nekrassov fit
ainsi de son exil, la forteresse d’une œuvre qui s’est voulue libre.

Mort en 1987, Viktor Nekrassov ne vit jamais l’effondrement du
système dont il contribua avec tant d’autres, à saper les
fondements. Son sacrifice ne fut pas vain car chacun de ses mots,
chacune des phrases de ces trois ouvrages, constituèrent autant
de coups de pioches dans ce mur de béton et idéologique que l’on
croyait indestructible. Un livre est toujours plus efficace qu’un
fusil car il ne rate jamais sa cible. Nekrassov le comprit plus
qu’aucun autre.

Par Laurent Pfaadt

Viktor Nekrassov, Dans les tranchées de Stalingrad, La ville natale,
Carnets d’un badaud, Éditions Louison, 2019, 568 p