La Mère des guerres contemporaines

L’historien Vincent Bernard signe un ouvrage de référence sur la
guerre de Sécession

Il la qualifie à raison de Grande Guerre américaine à l’image de celle
qui ravagea l’Europe et une partie du monde entre 1914 et 1918.
Car à bien des égards, la guerre de Sécession constitua la mère de la
Grande Guerre et des autres conflits au 20e siècle. Grâce à son
ouvrage passionnant, Vincent Bernard nous conduit ainsi dans ce
laboratoire des conflits à venir, sur le front bien évidemment mais
également dans les coulisses de cette guerre qui fut totale,
englobant la société américaine dans son intégralité, du cabinet de
Lincoln au camp de concentration sudiste d’Andersonville en
Géorgie que représentent à merveille Laurent-Frédéric Bollée et
Christian Rossi dans leur BD Deadline, et des salles d’Etat-major que
l’auteur connaît particulièrement bien pour avoir consacré aux deux
grands chefs militaires du conflit, Robert Lee et Ulysse Grant, les
biographies françaises de référence, aux milices des hors-la-loi de
William Quantrill. A la manière d’un Ken Burns, Vincent Bernard est
allé puiser dans les sources primaires (témoignages, mémoires,
journaux d’opération ou presse) pour construire un merveilleux récit
qui alterne les points de vue (généraux, simples soldats mais
également fonctionnaires, journalistes, propriétaires d’esclaves et
abolitionnistes). Il en résulte un récit détaillé et fascinant qui ne
s’épuise jamais permettant d’entrer dans « cette guerre singulière à la
fois étrangère et civile, aux frontières poreuses, aux intérêts étroitement
entremêlés, aux familles divisées ».

S’il reste sur la crête d’une histoire politico-militaire, ne se voulant
pas exhaustif faute d’un travail titanesque qui, fatalement, diluerait
son propos, son angle d’attaque permet cependant une astucieuse compréhension du conflit. Au-delà de la question de l’esclavage qui
constitua l’un des motifs de la sécession de onze Etats après
l’élection d’Abraham Lincoln en 1860, Vincent Bernard montre bien
l’opposition de deux modèles de société : un sud aristocratique
défendant l’intérêt des Etats et un modèle économique agricole
symbolisé par la Virginie et un Nord plus ouvrier et fédéraliste dont
la mutation industrielle allait lui conférer un avantage déterminant
dans la victoire. L’auteur s’attache ainsi dans une première partie
passionnante à décrypter cette complexité trop souvent réduite à la
question de l’esclavage et à expliquer la lente désagrégation du
système politique américain. Loin des caricatures et grâce à ses
sources, l’ouvrage humanise les acteurs, placés devant des choix
cornéliens à l’image d’un Robert Lee approché pour commander
l’état-major du Nord et qui, finalement, choisit sa terre, la Virginie
tout en prévenant : « Chaque camp oublie que nous sommes tous
Américains. Je prévois que le pays devra traverser une terrible ordalie,
une expiation nécessaire pour tous nos péchés. »

Reprenant l’adage clausewitzien selon lequel la guerre est la
poursuite de l’activité politique par d’autres moyens, Vincent
Bernard met ainsi en parallèle les grandes décisions politiques et
leurs répercussions sur les champs de bataille et vis-versa. Les
grandes batailles sont bien là, d’Antietam et de ce 17 septembre
1862 qui constitua le jour le plus meurtrier du conflit au tournant de
la guerre de Gettysburg en juillet 1863 en passant par
Fredericksburg ou Shiloh, que le lecteur suit grâce à des cartes
pédagogiques qui donnent l’impression d’être aux côtés des
généraux des deux camps. Et l’auteur également d’expliquer la
première proclamation d’émancipation des esclaves, le 22
septembre 1862, cinq jours après le choc dans l’opinion de la bataille
d’Antietam. Au final, près de 800 000 américains périrent sous le
coup d’une révolution technologique que l’auteur n’omet pas où les
mitrailleuses Gatling et les balles Minié permettant d’allonger le tir
rangèrent la cavalerie dans les manuels d’histoire.

Un livre brillant donc qui entre avec intelligence dans toutes les
dimensions politico-militaires de cette guerre pour nous offrir une
vision cohérente et compréhensible d’un conflit qui allait,
malheureusement, faire des émules. Un ouvrage qui devrait
assurément trouver sa place entre ceux du grand James Matheson
et de John Keegan.

Par Laurent Pfaadt

Vincent Bernard, la guerre de Sécession (1861-1865), La Grande Guerre américaine,
Passés composés, 448 p. 2022.

Pour aller plus loin :

Le documentaire de référence : Ken Burns, The Civil War, La guerre de Sécession, Arte éditions, Coffret 4 DVD, 2009

Un classique de la littérature américaine publié voilà 70 ans : Shelby Foote, Shiloh, Rivages, 200 p. 2019

La magnifique BD consacrée au camp d’Andersonville : Laurent-Frédéric Bollée, Christian Rossi, Deadline, Glénat, 88 p. 2013