Que
les Francs et les Wisigoths tremblent, les Saxons s’apprêtent à déferler sur la
France et à balayer, de leur furie musicale, toute résistance. Leurs batailles
musicales, à Maxéville, St Herblain et Toulouse s’annoncent homériques. On leur
prête même la volonté d’entrer dans la cathédrale Notre-Dame, tout juste
rénovée.
Il
faut dire le groupe britannique originaire de Barnsley emmené par leur roi Biff
Ier qui fêtera en 2026 son demi-siècle d’existence comme un règne qui a certes
connu des tourments mais a toujours été constant a fait un retour fracassant au
Hellfest 2024 dont il a tiré un album live attendu avec impatience par leurs
fans comme un cor résonnant dans la brume et prêt à envelopper, comme le nom de
sa tournée, ces derniers de leurs sortilèges musicaux.
Princess of the Night, Crusaders ou Wheels of steel seront ainsi entonnés dès ce week-end sur la terre des Francs au Heavy Weekend de Nancy avant de revenir pour trois dates au mois de septembre 2025. Que les fans et les curieux se préparent donc à des concerts d’anthologie…
Par Laurent Pfaadt
Saxon, Hell, Fire and Steel European Tour 2025 : Heavy Weekend Nancy (6 juin), Zénith Paris (11 septembre), Zénith Nantes (12 septembre), Zénith Toulouse (13 septembre)
A écouter, Saxon, Hell, Fire and Damnation, Eagles over Hellfest, Silver Lining, 13 juin 2024
La saison de l’OPS s’est achevée les 22 et 23 mai par
une exécution de haute volée de la seconde symphonie de Mahler. Un duo vocal de
qualité, un double chœur et une masse orchestrale des plus imposantes, tous
sous la direction d’Aziz Shokhakimov, auront, lors des deux soirées, suscité
une écoute à la hauteur de l’évènement et une ovation interminable.
Anna Kissjudit & Valentina Farcas Photo Gregory Massat
Alain Lombard l’avait introduite dans le répertoire de
l’orchestre en 1972 à l’occasion d’un concert mémorable à la cathédrale ;
trente ans plus tard, Marc Albrecht la défendit avec le talent qui est le sien
de même que Michael Gielen venu la jouer dans la salle Erasme avec son
orchestre du Südwestfunk. Il n’empêche : la prestation du jeune directeur
de l’OPS dans cette seconde symphonie de Gustav Mahler aura atteint un niveau
soutenant les plus flatteuses comparaisons.
S’il est un compositeur que l’industrie du disque,
dans sa grande époque des années 1960, aura entrepris de documenter bien avant
qu’il ne devienne une tête d’affiche des grandes salles de concert, c’est bien
Gustav Mahler. En une soixantaine d’années, il s’est ainsi accumulé une
pléthore d’enregistrements, d’intérêt nécessairement inégal. Des grandes
publications de cette symphonie dite ‘’Résurrection’’, il se dégage trois types
d’approche dont la première vaut par son atmosphère hyper-romantique, ses contrastes
exacerbés et une certaine exhibition sonore : les meilleurs dans le genre
sont sûrement Zubin Mehta et Léonard Bernstein. A l’opposé, d’autres chefs ont
surtout mis en avant le modernisme, sinon de l’écriture, au moins de
l’orchestration et recherché une grande rigueur d’atmosphère : Otto
Klemperer d’abord, Pierre Boulez ensuite ont talentueusement défendu cette
optique. Mais une troisième approche s’est également fait entendre, autant
capable de restituer le modernisme sonore que de faire entendre l’univers
romantique dans lequel baigne l’oeuvre : l’initiateur en ce sens ne fut
rien moins que Bruno Walter, le disciple du compositeur, son jeune assistant
d’abord à Hambourg (1894) puis durant
huit ans à Vienne quand Mahler dirigea le Staatsoper ; avant de
devenir le grand défenseur de sa musique, il fut aussi, en 1911, son exécuteur
testamentaire, héritant de la création post mortem de chefs d’oeuvre comme le
Chant de la Terre et la neuvième symphonie. Deux autres chefs se sont inscrits
dans le sillage de Bruno Walter, le tchèque Vaclav Neumann et le hongrois Georg
Solti.
Anna Kissjudit by Sophie von Becker
C’est dans ce sillage des plus idiomatiques que se
situe la prestation de Shokhakimov et de ses musiciens. Dès l’immense marche
funèbre qui constitue tout le premier mouvement, le jeune chef excelle à unir
la constante lourdeur du climat psychologique avec l’indispensable allant du
discours musical. La détente heureuse du second mouvement est magnifiquement
restituée par des cordes au lyrisme parfait, avant l’ambiance sarcastique d’un
scherzo aux plans sonores d’une lisibilité qui ne nuit en rien à l’atmosphère.
La voix dense de la mezzo Anna Kissjudit nous vaut un Urlicht dramatique
et puissant avant l’impressionnante explosion ouvrant le très long final. Cette
alternance de dialogues instrumentaux en coulisses, de dorures sonores boisées
et cuivrées et de tutti orchestraux démesurés est magistralement restituée par
des musiciens au meilleur d’eux-mêmes. Excellemment préparé par Hendrik Haas,
le chœur (ceux du Philharmonique et de l’Opéra) fait enfin son entrée,
intégrant les interventions de la délicate soprano Valentina Farcas et de la
profonde mezzo Anna Kissjudit, avant la résurrection finale. Le seul regret
sera que cette magnifique soirée ne se soit vue pérennisée par aucune caméra ni
aucun micro.
Cette seconde symphonie marque quasiment le terme du
projet Mahler entrepris en 2018 et suspendu pendant la crise sanitaire. Ne
manque plus que la huitième symphonie, qui pose des problèmes logistiques
considérables. Une version sonorisée dans une acoustique déplorable entreprise
par Jan Latham-Koenig il y a vingt ans aura surtout montré ce qu’il ne faut pas
faire. La cathédrale reste sans doute le moins mauvais des pis-aller. On peut
par ailleurs se demander si le projet ne gagnerait pas à être enrichi d’une
exécution de la dixième symphonie, notamment dans l’édition achevée du
musicologue Clinton A. Carpenter qui semble de grande valeur. Compte tenu des
grands talents mahlériens du directeur de l’orchestre (déjà très remarqués dans
les troisième et cinquième symphonies) et compte tenu de la médiocrité, au
cours de cette intégrale, des interprétations des première, septième et surtout
sixième symphonies, on peut aussi se demander si ces dernières ne mériteraient
pas d’être redonnées au cours des saisons prochaines.
La
nouvelle édition du célèbre festival réunira une nouvelle fois quelques grands
noms de la musique
Comme chaque année, alors que s’avance l’été, la presqu’île de Malsaucy se transformera en paradis musical. Un paradis musical qui abrita, selon la légende, des sabbats de sorcières et où régnera une nouvelle fois anges et démons. Et parmi ces derniers, ceux d’Iron Maiden, le célèbre groupe de heavy metal, assurément l’une des têtes d’affiche de cette édition, qui inaugurera ici sa tournée française avant de rejoindre la scène de la Paris Defense Arena, les 19 et 20 juillet et célébrera son demi-siècle d’existence avec un public français qui ne lui a jamais fait défaut et entonnera à n’en point douter ses Run to the hills et Evil that men do pour appeler les autres démons de la musique à répandre leurs énergies sur les différentes scènes. Parmi ces derniers les suédois d’Avatar, Alta Rossa ou de The Raven Age du fils de Steve Harris, le fondateur d’Iron Maiden. Car il est bien connu qu’on a le démon dans le sang, surtout quand on viendra présenter son dernier album baptisé justement Blood Omen…
Dans ce paradis non moins perdu, quelques anges viendront répandre leurs lumières musicales, à commencer par Clara Luciani, l’une des figures de proue de la chanson française qui conduira une magnifique légion avec Damso, Kalash, le G.O.A.T du dancehall, SDM, Philippe Katerine et Theodora, nouveau phénomène qui chantera son hymne à la féminité noire. D’autres anges maudits ou non, vous proposeront un voyage dans le temps, Silmarils pour les nostalgiques du rock, Yodelice qui convoquera les mânes de Depeche Mode ou Uncle Waffels, une sud-africaine qui ressuscitera avec bonheur la house…
Ofenbach
Un paradis qui sera traversé par un serpent, celui de la tentation électro. Et pas n’importe lequel : DJ Snake, le plus grand DJ du monde qui sera l’une des têtes d’affiche de ces Eurockéennes 2025. Et nul doute qu’il fera croquer sa pomme aux milliers de spectateurs et à la Femme qui, avec ses tubes rétrofuturistes pleins d’énergie, nous proposera un voyage inoubliable à la rencontre des petits anges de notre jeunesse. Et si la nuit vient à tomber, il vous faudra de la crème solaire pour éviter le coup de soleil électro mais pas sûre que celle, punk, du groupe du même nom ne vous protège. D’autant plus qu’une éclipse est attendue lors de ce sabbat, une éclipse préparant l’arrivée des maîtres de la nuit, Ofenbach, le groupe français aux 350 millions de vues sur youtube et aux succès planétaires (Katchi, Overdrive, etc) qui distillera cette fois-cisa French Touch sur un ton plus funky qui rappellera à coup sûr ses illustres aînés. Les deux empereurs de l’électro seront accompagnés de disciples tels qu’I hate models ou Chroma pour un sabbat électro absolument unique.
Pris entre ces anges et démons, vous aurez la possibilité d’un dernier dîner. Mais celui-ci aura l’aspect d’une fête avec The Last Dinner Party qui évoquera l’âme d’une autre artiste de légende venue aux Eurockéennes en 2012, mi-ange, mi-démon, Lana Del Rey, une âme dans laquelle se glissera également la magnifique Sylvie Kreusch, une artiste à ne pas rater. Alors vous demanderez justice. Cela tombe bien puisqu’elle sera là mais préparez-vous à une version électro de cette dernière qui, l’image de sa prestation en clôture des JO 2024, vous emportera au firmament de ces étoiles pour un jugement céleste. Ne restera plus que les bardes et autres poètes et poétesses pour chanter cette énième épopée musicale sur les bords de la Véronne, à commencer par la suissesse Mary Middlefield et ceux de Dead Poets Society et Royel Otis, les nouvelles stars de la scène australienne, les petites pépites rocks à ne pas rater.
Comme chaque année, les Eurockéennes de Belfort en convoquant différents styles musicaux, mêleront avec bonheur divers publics, entre « metalleux », fans de rave parties ou amateurs de rap et de chanson française. Bref, préparez-vous à des rencontres inoubliables qui hanteront longtemps vos nuits…
Par Laurent Pfaadt
Retrouvez toute la programmation des Eurockéennes de Belfort 2025 (3-4-5-6 juillet) sur : www.eurockeennes.fr
Au cours de chaque saison musicale, la direction de
l’Orchestre philharmonique de Strasbourg ouvre sa porte, pour le temps d’une
soirée, à une autre formation symphonique. Ainsi, au fil des ans, a-t-on pu
entendre et apprécier l’Orchestre National de Lorraine, puis ceux de Lyon et de
Lille et l’an passé, l’Orchestre National de France. Cette année, c’était le
tour de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg.
C’est toujours un plaisir que de découvrir un
orchestre que l’on ne connaît pas dans une salle qu’en revanche l’on connaît
bien. Les spécificités de chaque formation n’en ressortent que mieux. On n’est
toutefois pas à l’abri d’une déception tant il arrive parfois que le jeu de
musiciens fraîchement débarqués dans une salle autre que la leur peine parfois
à s’approprier ses caractéristiques acoustiques. Sous la conduite du chef et
violoniste Renaud Capuçon, les musiciens luxembourgeois auront brillamment surmonté
cette difficulté en décidant de venir sur scène plus d’une heure avant le début
du concert, afin de se familiariser avec la salle Erasme et de chauffer leurs
instruments. Dès la petite ouverture de Prométhée de Beethoven,
« historiquement informée » par ses attaques vives et nerveuses mais
jouée sur une soixantaine d’instruments modernes, on est on ne peut plus
agréablement surpris par l’extrême précision et la beauté sonore émanant de la
formation, sans la moindre des approximations qui entachent souvent les débuts
de concert.
Grégory Massat
C’est depuis son violon que Renaud Capuçon dirige
ensuite, avec une aisance sidérante, la formation resserrée à une quarantaine
de musiciens, dans le troisième concerto de Mozart dont il assure la partie
soliste. Au violon comme à l’orchestre, on aura beaucoup apprécié le jeu
vif-argent, la finesse de texture et la justesse de style. On le dit avec
d’autant plus de plaisir qu’on n’a pas toujours aimé dans le passé le violon
parfois sirupeux et compassé de ce musicien qui, l’âge venant, semble trouver
une vitalité nouvelle.
Cela fait déjà quelque temps qu’il se disait que
l’orchestre du Luxembourg avait accompli d’importants progrès mais on
n’imaginait quand même pas qu’il avait atteint un tel niveau d’ensemble. La
virtuosité des cordes, le son étincelant des bois, la beauté des cuivres sans
oublier la musicalité du merveilleux timbalier nous ont valu, sous la direction
autant assurée qu’inspirée de Renaud Capuçon, une symphonie Ecossaise d’une
richesse d’atmosphères que l’on n’entend pas toujours. Cette soirée du mercredi
9 avril nous aura non seulement fait découvrir une formation de haut niveau,
mais aussi un chef dont la carrière, encore débutante, le montre particulièrement
à l’aise dans un répertoire classique et romantique qui aujourd’hui échappe à
un nombre croissant de chefs d’orchestre.
David Amiot
La semaine d’avant, le vendredi 4 avril, l’Orchestre
philharmonique de Strasbourg offrait un programme d’une hauteur de vue peu
banale, associant la Nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg au Chant de la terre
de Gustav Mahler dont on garde le souvenir d’une prodigieuse interprétation de
Marko Letonja, au temps où il était directeur de l’OPS. Cette fois-ci, c’est le
chef américain Robert Trevino qui se trouvait invité lors de cet unique
concert. De la version pour orchestre à cordes du chef d’œuvre de Schoenberg,
il nous aura proposé une interprétation assez prenante et particulièrement
puissante. La soixantaine d’archets strasbourgeois a fait preuve d’une belle
cohésion.
Donné en seconde partie, Le Chant de la terre s’est
avéré plus problématique. L’approche du chef se montre d’emblée par trop
immédiate et peu soucieuse des complexités et des ambiguïtés de la musique de
Mahler. Composé, à l’instar des suivants, sur des poèmes chinois du 8è siècle
ultérieurement traduits en allemand, le premier chant de cette symphonie pour
ténor et contralto avec grand orchestre s’intitule « Chant à boire de la
douleur de la terre » (Das Trinklied vom Jammer der Erde).
L’atmosphère s’y trouve dramatiquement contrastée, on y chante à la fois la
gloire du vin, la beauté du monde et la vanité de l’existence :
« sombre est la vie, sombre est la mort ». La sonorité y est d’une
âpreté particulière, tant du côté des vents que des cordes. Le chef Robert
Trevino entame ce lied dans une absence de retenue et avec un éclat sonore
évoquant plus un début d’opéra wagnérien précoce que celui du chef d’oeuvre
tardif de Mahler. Prise dans cette tempête sonore, la voix de l’excellent Simon
O’Neil, qui n’a toutefois plus vingt ans, se bat comme elle peut pour se faire
entendre. Le deuxième lied Der Einsame im Herbst, rapprochant solitude
automnale et automne de la vie, ne s’avère pas meilleur, mais pour d’autres
raisons : si l’orchestre s’est certes calmé, son jeu s’avère bien en-deçà
de la grande poésie du morceau ; quant à la voix de la mezzo Justina
Gringyté, richement dotée dans le registre grave, elle se montre en grande
difficulté dès que sa partie passe dans l’aigu. Forcé de cette manière, ce
chant mélancolique vire en exercice de Sprechgesang (chant parlé),
parfaitement idoine dans le Pierrot lunaire de Schoenberg, mais hors sujet dans
Le Chant de la terre de Mahler.
Aussi étonnant que cela paraisse dans une affaire
aussi mal engagée, tout est allé de mieux en mieux dans les quatre chants
suivants : la voix de Simon O’Neil et le jeu de l’orchestre ont fini par
trouver un équilibre dès le troisième chant ; à partir du quatrième, les
difficultés de Madame Gringyté dans l’aigu se sont bien atténuées ;
certaines parties d’orchestre comme l’arrivée des jeunes et beaux cavaliers
dans le lied Von der Schönheit ont été particulièrement bien rendues.
Quant à l’Abschied final, l’un des plus sublimes morceaux pour
voix et orchestre jamais composé, si on n’en a entendu de plus poétique,
convenons que le dramatisme de la direction d’orchestre et le registre grave de
la mezzo en ont fait un moment très prenant.
En
à peine plus d’une semaine, les concerts de l’OPS ont affiché
deux beaux programmes, associant grandes œuvres du répertoire et
solistes de renom : le pianiste Alexandre Kantorow et la
violoniste Simone Lamsma. Invitée pour la première fois à
Strasbourg, Oksana Lyniv dirigeait l’un des deux concerts.
A
moins de trente ans, Alexandre Kantorow est un jeune pianiste bardé
de premiers prix de concours, de diapasons d’or et d’autres
récompenses discographiques, notamment pour ses poignantes
interprétations de l’oeuvre pianistique du jeune Brahms. Jouant
dans les grandes salles du monde entier, tant comme soliste que comme
concertiste, il a aussi fondé le festival des Rencontres musicales
de Nîmes avec le violoncelliste Aurélien Pascal et la violoniste
Liya Petrova, particulièrement appréciée lors de son récent
passage à Strasbourg. On était donc très curieux d’entendre
Kantorow dans un répertoire différant quelque peu de celui dans
lequel il s’est, jusqu’à maintenant, fait connaître.
Datant
de 1806, le quatrième concerto pour piano et orchestre de Beethoven
fait partie, avec la quatrième symphonie, de ses œuvres les plus
solaires et les plus enjouées, avec un premier mouvement d’une
très grande fluidité mélodique. Dès l’entrée du thème
principal au piano, on est quelque peu surpris de l’ambiance
statique et sombre que notre soliste suscite d’emblée, quand on y
entend habituellement celle d’un éveil lumineux. L’orchestre lui
répond immédiatement sur un rythme un peu martial, avec des timbres
à la verdeur accentuée par un recul assez audible du registre
grave. Histoire de se rassurer, on se dit que le retour du piano va
corriger cette impression première, mais il n’en sera rien.
Contre toute attente, l’ensemble de ce premier allegro,
jusque dans la cadence du soliste, demeurera dans une atmosphère
d’introversion intimiste et pour le moins rigide. L’étonnant
second mouvement, où piano et orchestre évoluent chacun de leur
côté avant de finir par se rejoindre, sera joué sans mystère ni
engagement, avec des coups d’archets peu expressifs et un jeu
pianistique assez indifférent. Quant à l’exubérance du rondo
final, elle a surtout fait entendre des accents guerriers quelque peu
agressifs.
Deux
bis, l’un consacré à Brahms, l’autre à Stravinski nous ont
fait retrouver le Kantorow que l’on aime. Dans le magnifique
intermezzo de l’opus 117, on admire la beauté du toucher et
le naturel de l’inspiration. Avec le mélange de poésie et de
virtuosité déployées dans le finale de l’Oiseau de feu (dans sa
réduction au piano), il semble insurpassable. Kantorow au meilleur
de lui-même !
En
deuxième partie de ce concert ayant débuté par Shadows of
Stillness, une courte pièce, picturale et assez joliment
colorée, de la jeune compositrice slovène Nina Senk, figurait la
quatrième symphonie de Johannes Brahms, son avant-dernière grande
oeuvre pour orchestre créée en 1885, avant le double concerto pour
violon et violoncelle deux ans plus tard, les dernières années
n’étant plus consacrées qu’à la musique de chambre et à
quelques pièces vocales. Là encore, on était curieux d’entendre
Aziz Shokhakimov dans un répertoire où, à l’exception d’un
Requiem allemand la saison dernière, on ne l’a guère
entendu depuis sa prise de fonction à Strasbourg. Bien mieux que
lors du requiem, on eût une interprétation assez originale et une
bien belle exécution orchestrale (supérieure, semble-il, ce soir du
27 février à celle du concert de la veille). Certes, les mélomanes
accoutumés aux voluptés sonores de l’orchestre philharmonique de
Berlin, que ce soit avec Karajan, Abbado ou Rattle auront pu être
surpris de cette approche fondée sur des attaques assez vives, des
notes assez courtes, des phrasés anguleux et une certaine verdeur de
timbres. L’aspect élégiaque et automnale de cette symphonie
recule quelque peu au profit d’une dimension plus conflictuelle et
tourmentée, particulièrement audible dans le mouvement lent et la
passacaille finale. Cette grande œuvre tolère, à vrai dire, bon
nombre d’approche et d’autres grands chefs, comme Carlos Kleiber
ou David Zinmann, ont eux aussi déployé dans Brahms cette
esthétique sonore que l’on peut appeler toscaninienne. On est par
ailleurs reconnaissant à Shokhakimov d’avoir opté pour le grand
orchestre car, à la différence de Beethoven, Schubert, Schumann ou
Mendelssohn, tous les essais ‘’historiquement informés’’
d’effectifs orchestraux resserrés ne se sont pas montrés très
concluants dans la musique de Brahms.
Il a bien fallu quelques minutes, environ le temps de l’exposition, pour que le jeu un peu ‘’brut de décoffrage’’ de l’orchestre cède la place à une cohérente énergie, formant un solide rempart contre le penchant mélancolique de l’oeuvre. Après le second mouvement andante, plus tourmenté que contemplatif, l’allegro giocoso emporte tout sur son passage, enchaînant sur une prodigieuse passacaille, mise en valeur par tous les vents solistes et soulevée par un orchestre chauffé à blanc, d’une cohésion hors du commun. Cette manière tempétueuse sied particulièrement à cette extraordinaire succession de trente cinq variations où Brahms, dans la lignée de Bach et de Beethoven, confirme ses qualités de grand maître du genre.
S’il
est donc des œuvres, comme cette quatrième de Brahms, qui acceptent
parfaitement une grande pluralité d’approches, il s’en trouve en
revanche dont le sens demeure plus univoque et doit être fixé par
l’interprétation. C’est le cas de cette seconde symphonie de
Schumann qui figurait en seconde partie de concert le soir du
vendredi 7 mars, sous la conduite d’Oksana Lyniv. A rebours des
quelques grands interprètes de cette symphonie que sont Georges
Szell, Léonard Bernstein, Herbert von Karajan, Wolfgang Sawallisch,
Nikolaus Harnoncourt, Yannick Nézzet-Seguin, il s’en trouve
beaucoup d’autres n’ayant apparemment pas saisi son irréductible
fébrilité intérieure, sa combativité, sa puissante atmosphère
maniaco-dépressive. La jouer dans l’optique d’un juste milieu
aimable et nourri de bonnes dispositions lui enlève à peu près
tout ce qu’elle a d’essentiel. Artisan d’une belle intégrale
Schumann sur instruments d’époque, un chef comme John Eliott
Gardiner ne nous propose pas moins une seconde symphonie, certes
d’une grande beauté sonore mais dépourvue de tout engagement
vital. C’est une approche similaire qui se faisait entendre sous
la baguette, au demeurant méticuleuse et attentionnée, d’Oksana
Lyniv.
Dans
ce violent combat entre mélancolie plombante et effort vital pour la
surmonter qui traverse tout le premier mouvement, jamais la
mayonnaise ne prend du fait d’une douceur générale, celle des
attaques, des accents, des forte. Les quelques beaux cantabile
qui, ci ou là, se font entendre sont, dans pareil contexte, tout à
fait anecdotiques. Le très regretté Giuseppe Sinopoli,
médecin-psychiatre en même temps que compositeur et chef
d’orchestre, savait quant à lui faire entendre le coeur battant de
cette musique ! En dépit d’un tempo soutenu, le scherzo,
moment maniaque s’il en est, se contente de phrasés confortables,
proches d’un menuet et prévient tout espèce d’incendie dans la
coda. Faire du splendide mouvement lent le motif d’une
simple déploration revient à colmater les abîmes de cette
musique ! Quand au dernier mouvement allegro vivace, joué
avec rondeur, souplesse et une puissance des plus retenues, il ne
restitue pas le caractère artificiel de cette joie excessive,
retrouvée mais fragile, suscitée par aucun mobile extérieur,
n’étant que le retour inopiné d’une santé intérieure
momentanément recouvrée.
Concert du 7 mars avec la cheffe Oksana Lyniv et la violoniste Simone Lamsma Photo Grégory Massat
Ce concert, donné en unique soirée, avait commencé par une fort belle exécution du Prélude de l’acte 1 de Parsifal, témoignant des talents wagnériens d’Oksana Lyniv, première femme invitée à diriger à Bayreuth. Le quatuor à cordes de l’orchestre et la trompette solo de Jean-Christophe Mentzer campent un début splendide, d’une atmosphère très prenante, qui se maintient jusqu’à la dernière mesure. Le mitan de cette ouverture donne, encore une fois, l’occasion de se réjouir de la très haute qualité des pupitres de cuivre dont nous disposons à Strasbourg. Venue il y deux ans pour le premier concerto de Shostakovitch, la violoniste Simone Lamsma, encore jeune mais reconnue sur la scène internationale, est ce soir-là soliste d’une autre grande œuvre du 20e siècle, le concerto du finlandais Jean Sibelius, composé en 1903-1904 et dont la version définitive date de 1905. Avec les moyens violonistiques qui sont les siens, notre soliste invitée soulève l’enthousiasme d’une salle qui, du coup, l’applaudit entre chaque mouvement. Reste toutefois à savoir si un jeu aussi démonstratif et extraverti exprime vraiment l’austérité sombre et minérale de ce concerto. Conduit par Oksana Lyniv, l’orchestre ne se contente pas d’accompagner et joue sa partition dans un esprit bien plus proche de l’oeuvre.
Il est
des concerts où, dès les premières notes, on se dit qu’une
grande soirée musicale commence. Cette impression première s’est
trouvée plus que confirmée lors du dernier concert de l’OPS avec
la jeune violoniste Liya Petrova et le chef invité Michael
Sanderling.
Photo : Gregory Massat
Quelle
beauté de jeu, quel lyrisme à la fois retenu et fervent, quelle
pureté d’inspiration dans le concerto pour violon de Mendelssohn,
rarement bien joué ! Dès l’entrée du violon exposant le
thème principal, Liya Petrova trouve le ton juste là où tant
d’autres s’égarent dans une sentimentalité un peu niaise, ou
bien s’en préservent en campant sur une rigueur hors de propos.
Avec la première réplique de l’orchestre, on se réjouit aussi de
l’élégance de jeu qu’en obtient Michael Sanderling, avec
notamment des cordes douces et sensuelles dans un équilibre
instrumental d’une clarté exemplaire. Tant du côté de la soliste
que de l’orchestre, cette qualité du dialogue ne faiblira à aucun
moment. L’andante central
fut un sommet de poésie, rapprochant le violon de Mendelssohn du
piano de Schumann, celui de la rêverie
des Scènes d’enfants. Virtuose comme il se doit, l’allegro
molto vivace final ne se
départit à aucun moment de cette grande ligne poétique et
musicale. Et quel soutien orchestral !
Liya Petrova joue souvent avec d’autres amis
musiciens, comme les talentueux pianistes Adam Laloum, Alexandre
Kantorow ou Eric Le Sage. C’est avec deux des musiciens de
l’orchestre – le violoncelle solo Alexander Somov et Charlotte
Juillard, le violon super-soliste – qu’elle a donné, en bis,
deux petites pièces virtuoses de Bela Bartok.
Michael
Sanderling est le cadet des fils de Kurt Sanderling, grand chef
d’orchestre allemand du 20è siècle qui fut, entre autres, associé
au légendaire Philharmonique de Leningrad et à son directeur Evgeny
Mravinski. Ses frères aînés, Thomas et Stefan Sanderling, sont
eux-mêmes chefs d’orchestre. Michael aura d’abord fait une
carrière de violoncelliste, notamment comme violoncelle solo au
Gewandhaus de Leipzig, avant d’opter pour la direction d’orchestre.
Il a été, dix ans durant, chef de la Philharmonie de Dresde. Depuis
quelques années, il est directeur musical de l’Orchestre
symphonique de Lucerne, le plus vieil orchestre suisse fort d’une
bonne centaine de musiciens et doté d’une des meilleures salles
qui soient, où se déroule chaque année le Festival international
de musique. Des enregistrements, semble-t-il peu distribués en
France – intégrales Beethoven, Brahms et Shostakovitch – ont été
effectués à Dresde et à Lucerne.
Se
souvient-il que cette quatrième symphonie de Bruckner qu’il dirige
ce soir du 6 février 2025 — dans l’édition Novak, la plus
austère –, son père aussi l’avait donnée dans cette même
salle, il y a une bonne trentaine d’années ? Quoi qu’il en
soit, s’il était encore là, celui-ci n’aurait pas à rougir de
la performance de son fils car elle se situe au plus haut niveau de
ce que l’on a entendu à Strasbourg. Conduit de cette manière,
avec tant de précision et d’ardeur, l’OPS soutient toutes les
comparaisons et peut tourner avec ce concert dans les plus grandes
salles d’Europe. Abordant cette musique de Bruckner de façon très
architecturale, Michael Sanderling retient tout ce qu’elle peut
receler d’anecdotique et de figuratif. Moyennant un équilibre
sonore des plus expressionnistes, il y installe une ambiance à la
fois dramatique et abstraite, à la manière de certains grands chefs
du passé comme Otto Klemperer et Evgeny Mravinski, qu’il a
sûrement du connaître dans sa jeunesse auprès de son père. La
concentration qui règne alors sur scène diffuse dans la salle, d’un
silence et d’une attention remarqués, en dépit de tous les maux
de gorge saisonniers. Michael Sanderling, un chef que l’on espère
retrouver lors de prochaines saisons.
Non
loin de Strasbourg, le village viticole de Wolxheim a été ces
dernières semaines le lieu de deux belles soirées musicales données
au Domaine Lissner tenu par Bruno et Théo Schloegel, vignerons hors
normes élaborant des vins à l’avenant. Début décembre, un
premier concert était donné par le Trio Zénon formé de Charlotte
Juillard et de ses amis, la violoncelliste Lydia Shelley et le
pianiste Emmanuel Christien, jouant avec ferveur et justesse de style
les premiers trios de Beethoven et de Mendelssohn. Quelque temps plus
tard, le 26 janvier, ce fut le tour du pianiste Adam Laloum venu de
Paris « roder » un concert prévu prochainement au
Théâtre des Champs-Elysées. Nous eûmes ainsi le plaisir
d’entendre les « petites » sonates de Schubert D566 et
D557, son interprétation à la fois vigoureuse et éloquente de la
troisième sonate de Brahms (qu’il a enregistré il y a quelques
années) et des Kreisleriana de Schumann excellant à concilier
énergie rythmique et fluidité du chant, notamment dans un début
des plus beaux qu’il m’ait été donné d’entendre. Des soirées
musicales et vineuses de cet acabit, on en redemande.
Rarement joué,
l’Oratorio de Noël du compositeur français Camille Saint-Saëns
fut plutôt à l’honneur en cette fin d’année 2024. Il se trouva
à l’affiche du Philharmonique pour son concert de la mi-décembre
à la salle Erasme après avoir été, quelques semaines plus tôt,
donné par la Chorale strasbourgeoise au Palais des Fêtes.
Pianiste
et organiste virtuose, figure musicale du romantisme français,
Camille Saint-Saëns, né à Paris dans les premiers temps de la
Monarchie de Juillet (1835), aura vu sa longue carrière se dérouler
d’abord durant le Second Empire, puis sous la Troisième République
avant de s’éteindre à Alger en 1921. De son œuvre importante, on
ne joue le plus souvent que ses concertos pianos n°2 et 4, son
premier concerto pour violon et son troisième concerto pour
violoncelle, sa symphonie n°3 « pour orgue », son
Carnaval des animaux, sa Danse macabre et son opéra Samson et Dalila
(parmi les treize qu’il a composés!). Avec son contemporain
d’outre-Rhin Johannes Brahms, il a en commun, sinon le génie
créateur, une connaissance encyclopédique de la musique et une très
grande habileté d’écriture.
Créé
à Paris en 1857, dans l’église de la Madeleine dont Saint-Saëns
était devenu l’organiste titulaire, son Oratorio de Noël est donc
l’oeuvre d’un compositeur de 23 ans. Ecrite pour un quintette de
chanteurs solistes, un choeur mixte, un orgue et un orchestre à
cordes, la partition comporte dix morceaux sur des textes de l’Ancien
et du Nouveau Testament, dans un style musical assez composite,
mêlant références baroques et mélodies d’époque. Elle s’achève
dans un Alléluia triomphal,
selon une posture caractéristique de la plupart des œuvres
ultérieures du compositeur : à la différence de celles du
romantisme allemand, les conclusions victorieuses ne sont jamais chez
Saint-Saëns l’issue de quelque combat intérieur ou déchirure
subjective, mais plutôt l’emblème d’un optimisme d’époque,
dont témoignent les Expositions universelles, les réalisations
architecturales comme la Tour Eiffel ou l’église du Sacré Coeur,
les conquêtes d’une France coloniale. Sous cet angle, et quelles
que soient les grandes qualités d’écriture de ses trois premiers
mouvements, la conclusion de la symphonie avec orgue, donnée l’an
passée à Strasbourg, va vraiment très loin dans cette esthétique
triomphaliste.
Pour
cet Oratorio de Noël, Aziz Shokhakimov, le directeur de l’OPS,
disposait de l’excellent choeur de l’Opéra du Rhin et d’un
quintette de bons solistes. Il a choisi de le jouer avec un vaste
tapis de cordes, quasiment tout le quatuor à cordes du
philharmonique (plus de soixante musiciens). L’oeuvre évolua ainsi
dans un climat de grande volupté sonore, la puissance instrumentale
et vocale déployée mettant particulièrement en avant sa dimension
opératique.
Ce concert, dédoublé en deux soirées – celles du 18 et 19 décembre –, s’achevait avec la Shéhérazade de Rimski-Korsakov, suite symphonique en quatre mouvements pour violon solo et grand orchestre dont le motif littéraire est l’évocation d’histoires contées par une jeune odalisque à un sultan misogyne et paranoïaque, afin de retarder la mise à mort à laquelle finalement elle échappera. L’OPS a toujours été très à l’aise dans cette œuvre techniquement exigeante, que ce soit sous la direction de Marko Letonja ou de celle, plus ancienne, de Kiril Karabitz ; mais, avec son jeune directeur Shokhakimov, il s’est cette fois littéralement surpassé. D’emblée, dans La mer et le vaisseau de Sinbad, le contraste entre la sévérité des accords cuivrés – évoquant la figure du terrible sultan – et la douceur mélodieuse du violon solo de Charlotte Juillard – incarnant la jeune Shéhérazade — s’avère magnifique, avant que l’atmosphère marine et le tumulte des flots ne prennent le dessus. Dans le second épisode, Le récit du prince Kalender, le violon solo et les solistes de l’orchestre rivalisent de phrasés poétiques et de beautés sonores. Le mouvement suivant — noté andantino quasi allegretto et intitulé Le jeune prince et la jeune princesse – m’a toujours paru le plus beau. Peut-être l’est-il aussi pour Shokhakimov qui y déploya des trésors d’éloquence amoureuse.L’ultime tableau, Fête à Bagdad et naufrage du bateau, grand moment de virtuosité orchestrale, requiert à la fois un très bon orchestre et beaucoup de rigueur et de doigté afin de ne pas sombrer dans les effets sonores gratuits. Du début à la fin, chef et orchestre y déployèrent une musicalité de haut-vol, avec notamment une bonne intégration des trombones dans l’épisode final du naufrage.
Ce
très beau concert est entièrement disponible sur la boutique
d’Arte. Il faut d’autant plus s’en réjouir que, si les
enregistrements de Shéhérazade
sont innombrables, assez peu rendent vraiment justice à l’oeuvre
et même de grands musiciens s’y sont littéralement cassés les
dents : Herbert von Karajan y a, si l’on peut dire, réussi
son plus beau ratage entraînant ses Berliner
dans le naufrage ; Jos van Immerseel, ambitionnant de
« restaurer » l’oeuvre sur instruments d’époque,
n’aura lui aussi fait qu’échouer, aux deux sens du mot. Pour les
autres, si tout le monde s’accorde sur l’excellence du disque de
Kiril Kondrachine avec le Concertgebouw d’Amsterdam, on peut aussi
recommander les prestations d’Eugène Ormandy, de Léonard
Bernstein, d’Igor Markevitch, de Ferenc Fricsay voire de Sergiu
Celibidache si on aime les liqueurs particulièrement toxiques et
envoûtantes.
Le
dimanche 24 novembre 2024, la Chorale Strasbourgeoise donnait son
concert bi-annuel dans la salle du Palais des fêtes. Elle se
trouvait, pour l’occasion, associée au Collegium Cantorum de
Strasbourg constituant ainsi une masse vocale d’une centaine de
chanteurs. Avant l’Oratorio de Noël de Saint-Saëns qui figurait
en seconde partie de programme, on eût le plaisir d’entendre la
sixième et dernière des odes que le grand compositeur anglais Henry
Purcell composa en 1694 pour l’anniversaire de la Reine Marie. Les
petites approximations de la trompette au début du premier épisode,
purement instrumental, n’ont rien enlevé au caractère
particulièrement jovial et festif de l’exécution au cours des
huit mouvements vocaux et chorals suivants. C’est Gaspard Gaget, le
jeune chef de la Chorale Strasbourgeoise qui, ce dimanche-là,
dirigeait l’ensemble ; son collègue, Nicolas Jean, chef du
Collegium Cantorum, officiant pour sa part la veille au soir à
l’Église protestante de Brumath. Pour la partie Purcell, Gaspard
Gaget avait disposé l’ensemble du choeur non sur la scène mais
de chaque côté du parterre de la salle du Palais des fêtes,
favorisant ainsi une ambiance sonore particulièrement enveloppante.
L’Oratorio
de Saint-Saëns, donné en seconde partie, fut restitué dans des
conditions sonores assez particulières, une quinzaine
d’instrumentistes à cordes (assurant, au demeurant, très bien
leur partie) et une centaine de choristes, faisant preuve, compte
tenu de leur masse vocale et des exigences de l’oeuvre, d’une
cohésion et d’une musicalité admirables. En regard de la
prestation du Philharmonique et du choeur de l’opéra, la dimension
oratorio l’emporta ici sur le côté flamboyant et opératique. Un
passage témoigne à lui tout seul du niveau de ce concert, c’est
le choeur n°6 Quare fremuerunt gentes ?
de loin le plus beau de cet oratorio : l’intensité et la
précision obtenues dans ce mouvement si bien écrit ne passèrent
pas inaperçues.
L’ensemble
de ce concert bénéficia du concours d’un quatuor vocal (augmenté
d’une alto dans Saint-Saëns), d’une puissance certes modérée,
mais d’une très belle musicalité.
Pour sa troisième
édition, le festival de musique de Bischwiller offrait sept concerts
avec des artistes de renom, dont le Trio Wanderer ou le pianiste
Laurent Cabasso. Le jeudi 17 octobre, l’Orchestre philharmonique de
Strasbourg était placé sous la direction de son premier violon
solo, Charlotte Juillard, dans un programme associant Bach, Haydn et
Mendelssohn.
Charlotte Juillard
Le
concert débute avec une grande œuvre de Jean-Sébastien Bach, le
concerto pour violon et hautbois en ut mineur BWV1060. L’orchestre
accueille, pour l’occasion, l’enfant du pays Marc Lachat,
aujourd’hui hautbois solo au Los Angeles Philharmonic, et
qui tient ici la partie soliste du concerto en compagnie de Charlotte
Juillard au violon. L’orchestre aborde l’oeuvre de façon assez
retenue, dans un tempo prudent car l’acoustique très mate de la
salle ne pardonne rien. Le dialogue entre violon et hautbois témoigne
d’une bonne entente entre les deux solistes pendant que le jeu de
l’orchestre, différent des exécutions philologiques sur
instruments d’époque telles qu’on les connaît aujourd’hui,
penche du côté des interprétations classiques du siècle dernier,
défendues alors par des chefs comme Karl Richter ou Karl Münchinger.
Grand
changement d’atmosphère avec l’oeuvre suivante, le second
concerto pour piano de Felix Mendelssohn écrit dans la tonalité
assez sombre de ré mineur. L’orchestre s’étoffe d’une
cinquantaine de musiciens avec un parterre de cordes approchant la
quarantaine, ce qui épaissit peut-être un peu trop le son dans une
acoustique assez rapidement saturée. L’oeuvre n’est surement pas
la plus grande que Mendelssohn ait composée, mais elle n’en est
pas moins parcourue d’une belle fièvre romantique, très audible
sous les doigts de la pianiste Inga Kazantzeva, bien connue à
Strasbourg depuis son intégrale des sonates de Beethoven en 2012. En
bis avant l’entracte, la pianiste est rejointe par le hautboïste
Marc Lachat et le violon de Charlotte Juillard, pour jouer en trio
une transcription du lied de Mendelssohn, Im Herbst. Très
beau moment de musique de chambre, sonnant particulièrement bien
dans la salle.
Mendelssohn a écrit treize symphonies pour cordes entre 1821 et
1823, alors même qu’il n’avait qu’entre douze et quatorze
ans ! Jolies petites œuvres de jeunesse, ce sont des exercices
de style contrapuntique, dans le sillage de Carl Philipp Emmanuel
Bach et même de Jean-Sébastien. Ne prétendant en rien à
l’invention formelle et ignorant complètement l’extension
beethovénienne de la forme symphonique, elles n’en sont pas moins
fort plaisantes à l’écoute, à l’instar de la quatrième en do
mineur, jouée avec une grande pureté de style lors de cette soirée
du 17 octobre. Les cordes du philharmonique, réunies en petite
formation, sont particulièrement belles.
La
symphonie n°94 de Haydn en sol majeur est la deuxième de la série
de ses douze londoniennes. Son sous-titre de ‘’Surprise’’
vient du soudain coup de timbales qui interrompt brusquement le
deuxième exposé du thème principal, dans le mouvement lent
andante. Avec
entretempsl’évolution
de l’écriture musicale et l’effet de surprise s’en trouvant
quelque peu émoussé, certains interprètes parfois le revigorent,
en faisant par exemple émettre un cri par tous les musiciens de
l’orchestre. Charlotte Juillard a, pour sa part, ponctué la fin de
ce mouvement lent d’une amusante petite improvisation au violon. On
se souvient encore de l’inoubliable interprétation de la 101ème
symphonie qu’elle avait obtenue de ses collègues musiciens, il y a
deux ans, lors d’un concert au Palais Universitaire de Strasbourg.
Cette fois encore, tout est admirable dans son approche de la 94ème :
outre la pertinence des tempi, on est saisi par l’éloquence et
l’évidence des phrasés, en même temps qu’emporté par une
irrésistible vitalité. Les auditeurs qui ne connaissent pas
l’oeuvre l’ont donc découverte dans des conditions idéales ;
les mélomanes à qui elle est familière auront, comme moi-même,
mesuré en quoi l’interprétation de ce soir soutient la
comparaison avec les meilleures de la discographie. On espère que le
premier violon du philharmonique aura l’occasion de continuer à
explorer l’univers symphonique de Joseph Haydn auquel, de toute
évidence, elle est si sensible.
La
11e édition de la Fiesta des Suds réunissait notamment MC Solaar,
Fatoumata Diawara et Angélique Kidjo
Face
à la mer se dresse le Mucem, le musée des civilisations de l’Europe et de la
Méditerranée. Comme un bateau transportant hommes et cultures depuis la nuit
des temps sur cette mer qui lui sert de berceau. Des bateaux culturels poussés
par les alizés sonores des artistes invités à la 11e édition de la
Fiesta des Suds, cet important festival des musiques du monde accueillant ce
sud lointain et finalement si proche.
Des
alizés portés par les vents furieux de la guerre que nos artistes ont tenté de
calmer par des paroles apaisantes comme celles d’Ayo, la chanteuse nigériane
bien connue du public français qui a ouvert cette 11e édition ou le Ya
Sidi d’Orange Blossom, ce magnifique cri déchirant le crépuscule
marseillais et arrachant au public plaintes et ovations. Le groupe nantais,
alternant moments d’émotion et exaltations électro-rocks avait à cœur de
présenter sa nouvelle chanteuse, Maria Hassan, réfugiée syrienne qui, de sa
voix de pythie tirée des flots de la mer et enveloppée dans son charme
vespéral, a très vite ensorcelé le public.
Car
il était dit que même le mistral ne pourrait s’opposer à ces alizés musicaux et
qui sèmerait le vent récolterait, selon le capitaine MC Solaar, tête d’affiche
de cette onzième édition, le tempo bien évidemment. Dans son navire, l’amiral
du rap français avait convoqué anciennes et nouvelles générations dans un même
élan en dispensant titres de son dernier album et tubes d’antan comme autant
d’exploits racontés par ce marin d’exception qui n’a rien perdu de sa verve.
Le
meilleur était à venir avec l’arrivée d’un cyclone déferlant depuis le Mali. Le
concert de Fatoumata Diawara constitua réellement le point d’orgue du festival.
Et il était dit qu’une princesse masquée viendrait, telle une magicienne,
enchanter la cité phocéenne. L’artiste malienne a ainsi revêtu tour à tour les
masques musicaux de l’afro-beat puis du blues malien usant de sa guitare comme
d’un sceptre et effectuant danses et transes qui ont fait de ce concert un
moment d’anthologie où résonnèrent notamment les titres de son dernier album, London
KO, sorti en mai dernier. Artiste engagée en faveur des migrants ou contre
l’excision avec des titres comme Nferini et Sowa et appelant son
public à « oublier les frontières car nous sommes tous des êtres
humains et avons tous les mêmes droits », Fatoumata Diawara a
également rendu hommage à ses anciens partenaires musicaux, Damon Albarn et
surtout M.
Restait
à Angélique Kidjo, la reine des reines musicales africaines, à conclure cette
édition. Entre hommages à Celia Cruz tirés de son album Celia (2019) et
à Miriam Makeba, celle qui est ambassadrice internationale de l’UNICEF a
délivré un message humaniste en faveur de la liberté et de l’éducation chantant
notamment Agolo avec les enfants de la cité des Minots, programme
d’éducation artistique et culturelle mené chaque année avec 750 écoliers au
sein d’écoles élémentaires REP – REP+. Toujours aussi généreuse avec son
public, elle lui a offert son dernier single, Joy – joie en anglais –
qui demeure avant tout pour elle « un état d’esprit » qu’elle
a propagé telle une brise.
Portée par cette dernière, un papillon s’est alors mis à voler sur scène. « De nos mains viendra la lumière » écrivit Homère sur les murs du Mucem comme pour attraper, dans cet effet papillon provoqué par le festival, celles de ces minots qui construiront, à n’en point douter, les bateaux culturels de demain.
Le
second concert de la saison de l’OPS associait les noms de Maurice
Ravel et de Sergueï Prokofiev dans de grandes œuvres de la première
moitié du 20ème siècle. Placé sous la direction de son chef Aziz
Shokhakimov, l’orchestre accueillait le pianiste français très
réputé, Bertrand Chamayou.
A
l’écoute de ce concert, et après celle d’un bon Daphnis et
Chloé de Ravel et d’une prodigieuse Fantastique de
Berlioz durant la saison dernière, on finit par se demander si
Shokhakimov, le jeune directeur de l’Orchestre philharmonique de
Strasbourg, n’est pas plus à l’aise dans la musique française
qu’avec les compositions russes dans lesquelles il a pourtant du
baigner très tôt durant sa formation. Toujours est-il que, si la
seconde partie du concert dévolue à Ravel s’est révélée fort
bonne, la première consacrée à cette grande partition qu’est la
cinquième symphonie de Prokofiev s’avéra plutôt décevante. Dans
le magnifique andante initial,
s’ouvrant de façon poétique telle une promesse de l’aube
conduisant vers une conclusion glorieuse et prométhéenne,
l’orchestre peine à décoller, la texture sonore systématiquement
épaisse et les phrasés d’une raideur constante empêchent la
grande ligne de se faire entendre. Le souffle épique qui soulève la
fin de ce premier mouvement passe presque inaperçu, enseveli sous
des percussions d’une lourdeur inappropriée. Dans le prodigieux
allegro marcato qui
lui succède, on eût aimé que le côté à la fois vif, cinglant,
rauque et moderne de l’écriture soit bien mieux souligné ;
et que la nostalgie grave et lyrique qui traverse ensuite le
troisième mouvement adagio
soit davantage présente. Seul l’allegro giocoso
conclusif semblait enfin approcher la vitalité de cette œuvre.
Pour
le concerto en sol de Ravel, chef d’oeuvre pianistique de la
musique française, on avait donc invité Bertrand Chamayou, pianiste
particulièrement renommé dans ce répertoire. C’est l’occasion
de rappeler que l’une des plus grandes versions discographiques de
ce concerto fut enregistrée ici même à Strasbourg dans les années
1970 par la pianiste Anne Queffelec, dans un style très poétique et
expressionniste, magnifiquement soutenu par l’orchestre d’Alain
Lombard. C’est une toute autre approche que nous a fait entendre,
le soir du 4 octobre, Bertrand Chamayou. Dès les premiers accords et
jusqu’aux notes conclusives, il aura fait valoir une conception
rapide et concentrée, toute en dentelles, assez minimaliste au plan
sonore et fort retenue sentimentalement parlant. Elle n’en fit pas
moins entendre de très grandes beautés musicales, tout à fait
présentes pour les auditeurs du bas mais dont il n’est pas sûr
qu’elles se soient propagées jusqu’aux rangées les plus hautes
de la salle. Quoi qu’il en soit, on fut également heureux
d’entendre l’orchestre de Shokhakimov déployer une palette
sonore subtile et raffinée, en accord parfait avec le jeu
pianistique. En guise de bis, Chamayou nous offrit une Pavane
pour une infante défunte dans
une approche sobre et dépouillée, similaire à celle du concerto.
Depuis
bientôt un siècle qu’on le joue, l’archi-célèbre boléro
aura suscité toutes les
approches possibles imaginables, des plus effervescents et
entraînants jusqu’aux dramatiques et quasi-tragiques en passant
par les séducteurs, captieux et envoutants mais aussi d’autres se
cantonnant dans une expression sobre et mystérieuse, à l’instar
du témoignage laissé par Ravel lui-même dans son enregistrement.
C’est à ce modèle-là qu’il faut rattacher la très bonne et
très belle exécution proposée, le soir du vendredi 4, par
Shokhakimov et l’orchestre, témoignant du niveau de ses
instrumentistes. Des premiers jusqu’aux ultimes accords, on aura
particulièrement apprécié un phrasé des plus subtils et un
alliage de timbres d’une qualité exceptionnelle.
Michel Le Gris
Repères discographiques : Prokofiev, 5ème symphonie – Orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan (DG) – Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet (Decca) – Orchestre National de France, Jean Martinon (Testament)
Ravel, Concerto piano en sol – Anne Queffelec, – Orchestre philharmonique de Strasbourg, Alain Lombard (Erato) – Samson François, Société des Concerts, André Cluytens (Warner) – Orchestre National de France, Léonard Bernstein direction et piano (Warner)
Boléro – Orchestre symphonique de Boston, Charles Münch (RCA) – Orchestre philharmonique de New York, Pierre Boulez (Sony) – Orchestre philharmonique de Berlin, Herbert von Karajan (DG) – Orchestre philharmonique de Munich, Sergiu Celibidache (Warner) – Société des Concerts, Constantin Silvestri (Warner) – Orchestre National de France, André Cluytens (Warner)