New York, Ukraine, guide d’une ville inattendue

Comment qualifier ce livre singulier ? Guide touristique ? Récit d’une
déchéance ? Lettre d’espoir ? Peut-être un peu des trois. Ainsi après
Looking for Lenin (Noir sur Blanc, 2017), le photographe Niels
Ackermann et le journaliste Sébastien Gobert repartent dans
l’exploration de l’ancienne URSS en nous emmenant à New York…
dans le Donbass, région ukrainienne en guerre qui oppose depuis
2014 l’Etat ukrainien et des séparatistes soutenus par la Russie
voisine.

Dans ce très beau livre fourmillant d’anecdotes et rythmé par les
superbes photographies de Niels Ackermann, le lecteur entre dans
un rêve, celui de toute une population, celui d’une ville, celui de cette
New York ukrainienne, ce « chaudron des ethnies » qui, malgré la crise
sociale et la guerre, veut croire en son destin à l’ombre de son
homonyme américain.

Située à une dizaine de kilomètres de Donetsk, la ville de New York
se développa au XIXe siècle sous l’impulsion d’aristocrates russes et
de mennonites allemands avant de devenir pendant 70 ans,
Novhorodske. Mais depuis le 1er juillet 2021, elle est redevenue
New York. Le buste de Lénine traîne dans les gravats, la guerre
frappe à sa porte et l’usine de Phénol nimbe la ville de la « fragrance
de New York » autrement dit d’une dangereuse pollution. Mais la
résistance s’organise. Et si les seules traces évoquant la Grande
Pomme sont un abribus peint aux couleurs des Simpson ou une
station-service qui rappelle celles des années 60, cette New York
avance sans complexe, bien décidée à jouer sa carte dans cette
mondialisation sauvage.

Les photos de Niels Ackermann montrent des bâtiments décrépis et
des trottoirs défoncés mais le lecteur, lui, est invité à saisir ces
visages animés de ce que le poète russe Evgueni Evtouchenko
appela « la nostalgie du futur » tandis que les mots de Sébastien
Gobert polissent ce fer qui, jadis, fit tourner des usines devenues des
décors à la Mad Max, et forge aujourd’hui la volonté d’habitants
prêts à se mobiliser, tels Oksana dans sa boulangerie-pizzeria
baptisée à juste titre New York ou Nadia Hardiouk qui, sur les
réseaux sociaux, construit la « marque » New York.

L’ouvrage apparaît ainsi comme la magnifique preuve de la résilience
de toute une ville décidée à demeurer libre. Faire vivre des
commerces, un night-club, maintenir le lien social entre les
générations, s’ouvrir au monde et se libérer des chaînes du
nationalisme constituent les défis colossaux qu’elle affronte au
quotidien. Alors qu’à quelques kilomètres, les balles sifflent, ses
armes s’appellent rire et décalage. Même si les maisons coûtent à
peine mille euros, elles tiennent encore debout. Finalement, on se
dit qu’il n’y a pas de hasard, la ville porte bien son nom. Car si la New
York américaine ne dort jamais, sa jumelle ukrainienne, elle, ne veut
pas s’endormir.

Par Laurent Paadt

Niels Ackermann & Sébastien Gobert, New York, Ukraine, guide d’une ville inattendue
Aux éditions Noir sur Blanc, 204 p.

A lire également :

Donbass (Les Arènes, 2020), le roman noir de Benoît Vitkine, prix Albert-Londres dont l’action se situe à Avdiïvka, à quelques kilomètres de New York.