la lune noire de Los Angeles

Voilà trente ans qu’il hante nos nuits. Trente ans à avoir été persécuté par William Gladden (Le Poète) et Wesley Carver (L’épouvantail), à avoir été embobiné par Mickey, à avoir été rassurés par Harry Bosch et Renée Ballard, à avoir enfin été fasciné par tous ces personnages ayant revêtu les visages de Clint Eastwood, de Matthew McDonaughley ou de Titus Welliver.


Michael Connelly dans le métro
©Sanaa Rachiq

Avec James Lee Burke, Michael Connelly est celui qui a poussé le plus loin l’unité d’une œuvre dans le roman policier, certains parlant à juste titre de métacycle avec ces romans qui se chevauchent, s’entrecroisent, se répondent. Avec James Ellroy, il est celui qui a décrit avec le plus de fascination Los Angeles, ses rues tortueuses, ses bas-fonds. L’homme confesse se réveiller tôt et écrit sans plan, ce qui paraît stupéfiant au regard de l’architecture si bien charpentée de sa cathédrale littéraire et de ses vitraux romanesques où se reflètent avec tant de précision et de noirceur les rayons de cette lune maléfique.

Trente ans après Les égouts de Los Angeles, Michael Connelly nous embarque dans une nouvelle affaire criminelle avec ses miasmes en compagnie de nos deux compagnons d’insomnie : Renée Ballard et Harry Bosch. La première a repris le bureau des affaires non résolues et a recruté dans son équipe, pour notre plus grand plaisir, un Harry Bosch tiré de sa retraite. Qu’il est bon de te revoir Harry ! Car ce cold case qui s’annonce ardu ne t’est pas inconnu. Oh non ! Il s’agit du dossier McShane, ce tueur qui assassina la famille Gallagher avant de l’enterrer dans le désert. Elle t’avait laissé un goût amer car tu n’avais pas réussi à prouver le crime de ce salopard. Malgré tes 73 ans, tu es donc bien décidé, avant de tirer définitivement ta révérence, à rendre justice aux Gallagher.

Une fois de plus Michael Connelly excelle à bâtir une histoire qui attrape immédiatement son lecteur et ne le lâche qu’à la dernière page. On accompagne avec toujours autant passion notre fin limier dans ses investigations, livrant à l’assassin un nouveau duel homérique. Mais avançant dans le roman, quelque chose d’imprévu se produit. Oui, la fin est proche mais de qui ? De l’assassin piégé par Bosch? Ou de Bosch lui-même, victime d’une maladie incurable ? Pour connaître l’épilogue de ce 27e tome et peut-être de l’œuvre de Connelly, il vous faudra bien plus qu’une seule nuit blanche.

Par Laurent Pfaadt

Michael Connelly, L’étoile du désert, traduit de l’anglais par Robert Pépin
Aux éditions Calmann Lévy, 416 p.

A lire également Les ténèbres et la nuit (Le Livre de poche, 528 p.) une autre enquête de Harry Bosch et Renée Ballard dans  Notre duo d’enquêteurs est rattrapé par les fantômes du passé et défié par les hommes de minuit, un duo d’assassins particulièrement coriace.

Les enfants de Tintin

Le deuxième volume français de la grande aventure du journal de Tintin qui révéla notamment Alix paraît enfin

Ils furent des milliers, de 7 à 77 ans, à attendre chaque jeudi, sa venue dans les kiosques ou dans leur boîte aux lettres. Dans chaque numéro, le meilleur de la BD : Le secret de l’Espadon de Blake et Mortimer ou Le temple du soleil d’Hergé pour les plus anciens. Capitaine Sabre, Les Casseurs ou Chlorophylle pour les derniers chanceux, en 1988, auxquels appartint votre serviteur.


Près de sept ans après un premier volume, les éditions Moulinsart et Dargaud nous replongent ainsi dans la grande aventure du journal de Tintin. Ce deuxième tome est ainsi consacré au succès qu’il rencontra en France où le premier numéro est publié le 28 octobre 1948, deux ans après son lancement en Belgique. Reprenant la couverture de l’édition belge du 16 septembre 1948, l’hebdomadaire frappe fort : la première histoire d’Alix de Jacques Martin (Alix l’Intrépide) et une nouvelle aventure de Tintin : L’Or noir.

« Telle est la nationale par rapport à l’autoroute, les deux versions du journal Tintin, la belge et la française, n’arrêtent pas de se croiser et recroiser, se rapprochant ou s’éloignant l’une de l’autre au gré des années » Le succès de l’édition française fut très vite au rendez-vous et des générations entières se passionnèrent pour Ringo, Bernard Prince et ces autres aventures graphiques qui se succèdent au fil des pages de ce second volume. Les passionnés découvriront ou redécouvriront ces aventures d’Edgar P. Jacobs dans Le théâtre du mystère signé Rivière et Carin ou les premières planches du désormais mythique Pilote sans visage de Jean Graton.

Quiconque a lu le journal de Tintin ne l’oublia jamais. La grande aventure du journal de Tintin est ainsi plus qu’une compilation de bande-dessinées. On frissonnait devant l’ombre jaune et Bob Morane. On rigolait avec la dernière page et Cubitus. Glissés entre les différentes aventures, des reportages sur les inventions et découvertes en Chine ou la forêt amazonienne nous laissaient croire que Tintin n’était pas mort avec Hergé mais surtout qu’il vivait en nous. Ce livre replonge chacun de nous dans une enfance qu’il a quitté à regret, dans une nostalgie bienveillante faîte de souvenirs qui nous ont construit grâce à l’imaginaire et au talent de tous ces auteurs. On était devenu, grâce au journal de Tintin et comme il le proclamait, des « super-jeunes » à défaut d’être ses enfants.

Et comme un écho lointain à cet anniversaire d’un journal qui révéla d’autres enfants de Tintin notamment Alix, voici que paraît également ces jours-ci la 42e aventure du plus célèbre des héros romains. Le scénario signé Robert Seiter embarque Alix dans une aventure à la Indiana Jones, à la recherche du bouclier d’Achille, une arme qui pourrait donner des idées à des Grecs bien décidés à profiter de la guerre civile entre Pompée et César pour affirmer leur indépendance. Notre héros, toujours accompagné de son brave Enak est cette fois-ci assisté d’une autre brune sublime (grâce au trait magnifique de Marc Jailloux), Oratis qui n’est autre que la sœur d’Adréa rencontrée dans Le Dernier spartiate. Et notre petit groupe retrouve également une vieille connaissance, Arbacès, sorte d’Olrik romain, bien décidé à tout mettre en œuvre pour retrouver cette arme absolue.

Avec ses quelques clins d’œil fidèles aux albums de Jacques Martin en campant un Alix intègre et épris de justice, sa dimension mythologique, la société secrète des Myrmidons, Le bouclier d’Achille est assurémentun très bon cru. Les passionnés comme les néophytes seront ravis.

Par Laurent Pfaadt

La grande aventure du journal de Tintin, Escale en France, 1948-1988, volume 2
Editions Moulinsart/Le Lombard, 776 p.

Marc Jailloux, Roger Seiter, Jacques Martin, Le bouclier d’Achille
Chez Casterman, 48 p.

Ma vie

Les différentes attaques du Hamas ainsi que la riposte menée par Israël ont projeté l’État hébreux un demi-siècle en arrière, presque jour pour jour dans l’une des plus graves crises que connut le pays et qui menaça son existence même : la guerre du Kippour. Comme en 2023, le Premier ministre d’alors, Golda Meir, avait sous-estimé ses ennemis : « De tous les évènements dont j’ai traité dans ce livre, il n’en est pas un dont il me soit plus difficile de parler ici que la guerre d’octobre 1973 dite du Yom Kippour » écrit-elle dans son autobiographie publiée en 1975 et qui reparaît judicieusement ces jours-ci.


Celle que l’on nomma la « grand-mère d’Israël » et fut l’une des premières femmes chef d’un gouvernement naquit en 1898 à Kiev dans une famille pauvre confrontée très tôt à un antisémitisme latent que retranscrivit très bien l’écrivain américain Bernard Malamud dans L’homme de Kiev (Rivages) et qui se déchaîna pendant la seconde guerre mondiale.

Ayant émigré aux Etats-Unis, à Milwaukee puis en Israël avant une Shoah qui emporta de nombreux membres de sa famille, Golda Meir s’engagea très vite dans la construction du nouvel état d’Israël. Elle fut aux côtés de David Ben Gourion lorsque ce dernier proclama, le 14 mai 1948, l’indépendance d’Israël. « Mes yeux étaient pleins de larmes et mes mains tremblaient (…) Quoi qu’il arrivât désormais, quel que fut le prix que nous dussions payer pour cet acte, nous avions ressuscité le Foyer national juif (…) Nous devenions une nation comme tant d’autres, maîtresse pour la première fois depuis vingt siècles, de ses destinées » écrit-elle.

Mais le prix à payer fut lourd, très lourd. Un prix dont elle s’acquitta en tant qu’ambassadrice en Union soviétique puis membre de plusieurs gouvernements. Golda Meir traversa ainsi ces années d’incertitude marquées par plusieurs guerres qu’elle relate. Elle côtoya Molotov, Kissinger, le roi Abdullah ou Nixon avant d’accéder au poste de Premier ministre en 1969 tout en conservant une vie personnelle marquée par une simplicité qu’elle exprime librement dans ses mémoires. Déesse de la vengeance des athlètes assassinés au JO de Munich en 1972, elle remporta l’année d’après, une guerre du Kippour qui constitua pour elle une victoire à la Pyrrhus. Au lendemain de cette dernière sur les armées égyptiennes et syriennes, Golda Meir lançait pourtant : « Le monde en général et les ennemis d’Israël en particulier devraient se mettre dans la tête que les circonstances qui coûtèrent la vie à plus de 2500 Israéliens dans les combats ne se reproduiront plus »

Une phrase qui résonne aujourd’hui avec force et amertume et annonce peut-être une nouvelle histoire.

Par Laurent Pfaadt

Golda Meir, Ma vie, traduit de l’anglais par Georges Belmont et Hortense Chabrier
Aux éditions Les Belles Lettres, 672 p.