Buru Quartet IV

Après avoir publié l’intégrale des quatre volumes du Buru Quartet
de Pramoedya Ananta Toer, les éditions Zulma rééditent en
version poche ce chef d’œuvre de la littérature non pas
indonésienne mais mondiale.

Le Buru Quartet, c’est l’histoire de Minke, ce jeune indigène
indonésien entré dans la propriété des Mellema, industriels
néerlandais, comme on entre sans le faire exprès dans l’Histoire avec
un grand H de ces Indes néerlandaises de la fin du 19e siècle.
Intelligent, ayant fait des études, Minke est promis à un avenir de
bupati, sorte de préfet. Dans cet incroyable destin qui commence
comme un roman d’apprentissage et se poursuit sous la forme d’une
fresque politique où les destins de quelques-uns percutèrent celui
d’une nation en devenir, notre héros trouva sur sa route Ontosoroh,
sorte de féministe avant l’heure et amazone des temps modernes.

La beauté de cette fresque qui déploie une galerie de personnages si
attachants, du peintre français Jean Marais, ancien mercenaire
ayant adopté la fille de son ennemie à Mei, cette activiste chinoise
dans une empreinte sur la terre en passant par Surati qui se mutila
pour préserver sa liberté, tient également à l‘absence de
manichéisme. Certes, les rôles de chacun sont codifiés mais cette
société coloniale laisse parfois quelques interstices de liberté qui
sont autant d’espoirs dans lesquels nos héros se glissèrent au fur et à
mesure du temps. De ces interstices, ils en firent des failles d’où allait couler le fleuve de la liberté comme un barrage fissuré prêt à
exploser.

La réflexion sur la langue comme instrument de domination mais
également comme arme d’émancipation traverse de part en part le
Buru Quartet. Minke, devenu journaliste et écrivain à ses heures,
commença par écrire en néerlandais. Mais dans cette conscience
politique que l’on voit naître et croître tout au long de ces pages, il
n’eut de cesse d’être tiraillé entre ces lumières européennes qui
cachent ces ombres où sont rejetées tous les dominés et les ténèbres d’une vie de luttes au bout desquelles brille la lueur de ce
mince espoir de liberté. A travers la langue et les mots qu’utilise
Minke, le lecteur est témoin de ce combat intérieur sans cesse
renouvelé.

Enfermé dans un bagne sur l’île de Buru pendant près de quatorze
ans pour son appartenance communiste et son opposition au dictateur Suharto, Pramoedya Ananta Toer que l’on surnomma
affectueusement Pram raconta pendant des années l’histoire de
Minke à ses codétenus avant de la coucher sur le papier. Ode à la
liberté en même temps que manifeste contre les asservissements de
toutes sortes et confiance absolue dans la capacité de l’être humain
à transcender sa nature profonde, le Buru Quartet est aujourd’hui
devenu l’un des monuments de la littérature mondiale, traduit dans
le monde entier. Les grandes œuvres littéraires naissent souvent des
tragédies du monde. Il n’y a qu’à citer Alexandre Soljenitsyne, Primo
Levi ou Imre Kertesz. Certes. Mais mon Dieu que c’est beau.

Par Laurent Pfaadt

Pramoedya Ananta Toer, Buru Quartet, 4 volumes,
Aux Editions Zulma (poche)