Chimères d’un monde flou

Nos Îles à la Fondation François Schneider

Deux approches du confinement de 2020 étaient possibles. Endurer le joug des restrictions – du hurlement des sirènes à l’obscénité des quotidiennes statistiques – ou cultiver l’imaginaire et – tant qu’à faire – s’inventer libre ! Sur une île qui conjugue liberté et isolement ? Ce fut le choix de Marie Terrieux, directrice de la Fondation et commissaire de l’exposition qui a élaboré cet archipel de 21 propositions (20 artistes). Sa narration rythmée d’extraits littéraires évoque l’insularité en jetant l’ancre sur des territoires troublants ou saisissants.


Le son d’entrée.
Celui de la tempête et du naufrage, échapper/survivre à un monde hostile avant d’accéder à l’ailleurs comme Orphée traversant le miroir : C’est du vent, le noir avec juste une ampoule de cambuse (installation sonore de Philippe Lepeut, 2015). Puis une chicane. Grondement de cataracte dans Le Refuge de Stéphane Thidet (2007) : sa cabane inondée d’une pluie perpétuelle et drue occupe l’espace central de la Fondation imposant sa présence sonore jusqu’à la mezzanine. L’illusion de notre monde – avec ces livres noyés – qui ne nous protège pas ?

Puis Robinson.
En métaphore inévitable du naufragé cherchant à entrer en re-possession de soi et qui se décline en perplexité contrariée (Rodney Graham), en stratégie de survie en milieu hostile (Abraham Poincheval ou Gilles Desplanques), en convoquant des images d’archives pour une autofiction filmée sur l’île aux naufrages (Eleonore Saintagnan, Une fille de Ouessant, 28 min, 2018), en réinventant un hédonisme familial enjoué d’un paganisme facétieux (photos de Yohanne Lamoulère).

Avec Vendredi.
Et s’ouvrir – prudent – à cette nouvelle altérité avec l’inquiétant tribalisme de masques vaudous (Pierre Fraenkel), le kitch des vahinés filmées – à Toulon ! – (Charles Fréger), l’échouage de nos totems quotidiens (Axel Gouala) ou l’ombre portée de notre dite civilisation externalisée sur l’île prison de Manus Island avec le diptyque vidéo d’Hoda Afshar (Remain, 2018).

Et la nature.
Déroutante forcément. En Palmier synthétique et carbonisé (Sébastien Gouju), âprement minérale (photos de Cécile Beau) ou fragile et sédimenté avec une grâce corallienne : les faïences et porcelaines émaillées de François Génot (2022).
Mais l’artificialisation des esprits produit aussi ce rêve climatisé pour touristes en goguette balnéaire entre eaux turquoise et superstructures d’extraction minière sur Yali en mer Égée (installation vidéo d’Olivier Crouzel, 2021).

François Génot Photo Luc Maechel

Arpentage enfin. Et nommer ! Pas de survie sans contrôle…
Exploration et identification de ces terres par la cartographie comme outil de survie (Benoit Billotte) ou d’appropriation du monde – en 80 jours et 331 pages (Aurélien Mauplot).
Pulsations cyanotiques des hauts fonds comme sur ces écrans de guerre ou de catastrophe : la sophistication des onze Haïkus cartographiques de Pauline Delwaulle (2019) détourne celle des moyens d‘inventaire et de toponymie.
Au revers, un planisphère activant les liens entre nos îles continentales, fresque rouge sang sur les eaux globales dégorgeant sur le sol ses écheveaux cramoisis (Brankica Zilovic, Embrace again, 2018).

Brankica Zilovic Photo Luc Maechel

Le son vibrionne aussi dans ce sous-sol, plus délicatement. Respiration champêtre de la chimère sonore (P. Lepeut) ou le subtil tintinnabulement des coquillages cueillis sur l’estran de Gdansk et agités par une brise (Stéphane Clor).

Nos îles explorent une insularité flottante, vibrante de questions et d’ambiguïté, d’inventivité et de virtuosité technique aussi qui, agrégées en archipel, interrogent la sauvagerie. Ailleurs ? Ou ici ? La nôtre ?
Judith Schalansky (Atlas des îles abandonnées, 2010) suggère :
Le paradis est peut-être une île. L’enfer en est une autre.

Par Luc Maechel

Fondation François Schneider / 68700 Wattwiller
du 29 avril au 18 septembre 2022
ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 18h
fondationfrancoisschneider.org