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L’architecte musical du 20e siècle

Leonard Bernstein © Warner Classics

A l’occasion du
centenaire de sa
naissance, retour sur
la vie et l’œuvre de
Leonard Bernstein

Comment qualifier Leonard Bernstein que ses amis appelaient tout
simplement Lenny ? De compositeur, de chef d’orchestre, de
pianiste ? Peut-être les trois à la fois.

Comme compositeur, son nom restera pendant longtemps attaché à
son chef d’œuvre, West Side story, ce Roméo et Juliette du nouveau
monde. Parmi son œuvre pléthorique, il laissa notamment trois
symphonies dont la dernière, Kaddish est dédiée à JFK dont il fut un
intime, des musiques de films notamment celle de Sur les quais (On
the waterfront) d’Elia Kazan et une opérette relativement
méconnue, Candide. Mais surtout, il fut comme le souligne le chef
d’orchestre américain, Leonard Slatkin, une source d’inspiration
pour tous ses contemporains : « aucun musicien n’a eu autant
d’influence que Bernstein. En tant que compositeur, pianiste, éducateur
ou acteur social. Comme compositeur, il battit des ponts entre des univers
radicalement différents, de Bach au jazz ou au rock. »
La musique de
Bernstein était donc unique car inclassable, mêlant des traditions
différentes (savantes et populaires, chrétiennes et yiddish,
européennes et américaines) qu’il fit cohabiter merveilleusement.

Comme chef d’orchestre, il marqua tous les orchestres qu’il dirigea.
New York « son » orchestre bien entendu mais également Vienne
avec qui il tissa une histoire particulière ou Paris. Dans cette capitale
française où il suivit les cours de la célèbre pédagogue Nadia
Boulanger, il laissa quelques souvenirs y compris discographiques
notamment à la tête de l’Orchestre National de France comme en
témoigne un très beau coffret sorti ces jours-ci où on le retrouve
notamment dans ce Ravel qu’il affectionnait tant, aussi bien au piano
que baguette à la main. D’ailleurs, dans l’un des enregistrements
d’une répétition du concerto en sol majeur en 1975, on peut
entendre un maestro très attentif au rythme dire à l’orchestre : « Il
faut jouer par l’œil et non par l’oreille »
. D’un chef passionné presque en
transe et parfois moqué, il réussit à tirer toute la quintessence des
œuvres qu’il dirigeait, notamment les symphonies de Gustav Mahler
qu’il tira de son purgatoire antisémite, ou cette musique américaine
(Ives, Copland) dont il fut un inlassable promoteur.

Comme pianiste enfin, il transcenda cet instrument qu’il magnifia
notamment dans ses interprétations de Ravel ou de Mozart.
Accompagnant les orchestres qu’il dirigeait depuis le clavier, ses
interprétations demeurent encore aujourd’hui uniques et font dire à
la célèbre cantatrice, Christa Ludwig, qu’ « il a mis un orchestre dans le
piano ».

Aujourd’hui, Leonard Bernstein demeure inclassable car il fut un
musicien complet et avant-gardiste. Dans une époque où les chefs et
les pianistes ne composent plus, dans un siècle où la transgression
musicale est devenue la norme et surtout dans un temps où la
musique ne constitue plus une arme politique, Bernstein appartient
définitivement à l’histoire. Génial restaurateur de la grande musique
romantique et postromantique et défenseur infatigable de ces
nouvelles formes musicales qui émergèrent au 20e siècle, il
personnifia à merveille, dans un siècle tumultueux et à l’instar d’un
Beethoven ou d’un Wagner, une musique qui se voulait universelle.

Par Laurent Pfaadt

A écouter :
Leonard Bernstein, An American in Paris, 7 CDs,
Warner Classics

The sound of Leonard Bernstein, 2 CDs,
Warner Classics.

L’empereur de la musique

© Walter Scott
© Walter Scott

Le chef d’orchestre Seiji
Ozawa est à l’honneur d’un magnifique coffret.

Avec son épaisse chevelure noire devenue grise avec le temps et sa relation avec les orchestres, Seiji Ozawa ne laissait insensible aucun spectateur ni aucun musicien.

Eloigné des pupitres en raison de problèmes de santé, Seiji Ozawa qui soufflera en septembre prochain, ses 80 bougies se rappelle régulièrement à nous grâce au disque et en particulier avec ce magnifique coffret de 25 CDs édité par Warner Classics qui comprend notamment ses enregistrements parus sous le label Erato. Ce coffret est exceptionnel car il reflète à merveille la personnalité et les combats musicaux que ce chef exceptionnel mena.

Assistant de Leonard Bernstein à New York et de Herbert von Karajan à Berlin, Ozawa fut directeur musical de l’orchestre symphonique de Boston pendant près de trente ans avec lequel il grava en compagnie notamment de solistes de légende présents dans ce coffret (Rostropovitch ou Perlman) quelques disques inoubliables.

Brillant héritier de Charles Munch qui l’avait remarqué au festival de Tanglewood, Ozawa développa un attachement profond à la musique française qu’il exprima en compagnie de l’Orchestre National de France ou de l’Orchestre de Paris. Le concerto en sol de Maurice Ravel avec Alexis Weissenberg ou la troisième symphonie de Saint-Saens avec les grandes orgues de la cathédrale de Chartres présents dans ce coffret sont ainsi des moments musicaux uniques.

Ozawa fut également l’un des grands ambassadeurs de la musique contemporaine, de ces XIXe et XXe siècles qui donnèrent tant de génies, d’Igor Stravinsky (magnifique version de l’Oiseau de feu avec le Boston Symphony Orchestra) à Bela Bartok en passant Serge Prokofiev ou Jean Sibelius, et qui révélèrent les grands noms de la musique contemporaine (Wiltold Lutoslawski, Robert Starer, Riodon Shchedrin) qu’Ozawa promut avec le BSO. Il créa de nombreuses pièces (dont le Shadow of Time d’Henri Dutilleux assez exceptionnel), permit à la création musicale de gagner les foules et aux compositeurs d’imposer leurs œuvres au répertoire.

Enfin, le chef d’orchestre nippon fut à lui seul un passeur de musique. Peu nombreux furent les musiciens ayant eu cette influence car non seulement Seiji Ozawa représenta à lui seul la musique classique japonaise mais il constitua également ce trait d’union entre l’Est et l’Ouest, entre le Japon et les Etats-Unis. Avec lui, l’Asie fit son entrée de plein pied dans la musique classique. Son action révéla également de nombreux musiciens, compositeurs ou interprètes (dont Tsumotu Yamashita aux commandes des percussions de l’incroyable Cassiopéa de Takemitsu) et permit à de nombreuses œuvres de voir le jour comme en témoigne le So-Gu II d’Ishii dans ce coffret. A son contact, Tore Takemitsu, autre grande légende de la musique classique japonaise ou la regrettée Masuko Uchioda (magnifique dans le concerto de Bruch), gagnèrent en notoriété.

Voyage planétaire incroyable, ce coffret permet ainsi de redécouvrir avec bonheur et passion la vie consacrée à la musique de l’un des derniers monstres sacrés de la direction d’orchestre.

Seiji Ozawa, The Complete Warner Recordings, Warner Classics, 2015

Laurent Pfaadt

Requiem pour une légende

Warner Classics rend hommage à Herbert von Karajan dans une formidable série de coffrets.

Karajan

A l’occasion du 25e anniversaire de sa disparition, les principaux labels ressortent leurs enregistrements du célébrissime chef d’orchestre qui dirigea l’Orchestre philharmonique de Berlin jusqu’à sa mort. Véritable monstre de la direction d’orchestre, il laisse à la postérité un nombre absolument considérable d’enregistrements sur le disque composant un monument qui, selon ses propres mots, doit durer plus longtemps que les pyramides d’Egypte.

Parmi cette multitude de disques et d’enregistrements, le label Warner Classics édite de somptueux coffrets divisés à la fois chronologiquement et en fonction du répertoire joué. Héritier du label EMI avec lequel Karajan était personnellement engagé, Warner Classics a trouvé dans ses fonds d’archives matière à composer des disques qui révèlent de petits bijoux d’orchestration.

Il y en a pour tous les goûts : romantiques allemands, musique russe, française, contemporaine, etc. Ces coffrets superbement remasterisés sont intéressants et très précieux à plus d’un titre. D’abord, ils permettent d’entendre la direction de Karajan en dehors de son empire du philharmonique de Berlin. Car Karajan n’a pas que dirigé la phalange berlinoise. On l’entend ainsi à la tête du Philharmonia Orchestra – fondé par Walter Legge qui permit à Karajan de se refaire une virginité après son flirt avec le nazisme – dans ce que certains considèrent comme sa plus belle période ou du Lucerne Festival Orchestra sans oublier bien entendu le Philharmonique de Vienne, l’autre grand orchestre de sa vie.

Sur chaque orchestre, Karajan laissa sa marque, son empreinte indélébile. Seul dans Sibelius qu’il affectionnait ou en compagnie de solistes de génie comme Anne-Sophie Mutter, Alexis Weissenberg qu’il considérait comme l’un des plus grands pianistes de son temps dans ce magnifique premier concerto de Tchaïkovski ou Dinu Lipatti dans un émouvant concerto pour piano de Schuman, Karajan transcenda les œuvres et les musiciens.

Ensuite, ces coffrets donnent à écouter la conception, l’interprétation que le célèbre chef a de chaque œuvre. Evidemment, c’est le cas avec Beethoven où l’expressionisme de sa direction cache en réalité une rigueur hors du commun. Le Beethoven de Karajan se reconnaît d’ailleurs entre mille comme par exemple cette Neuvième Symphonie, toujours avec le Philharmonia et en compagnie d’Elisabeth Schwartzkopf. Si bien qu’aujourd’hui Karajan, c’est Beethoven et Beethoven, c’est Karajan. Le nombre absolument conséquent d’enregistrements permet également de découvrir certaines œuvres peu gravées comme la symphonie n°1 de Mili Balakirev ou l’intermezzo de l’opéra Notre Dame de Franz Schmidt.

La direction de Karajan est toujours impériale, toujours exacte même s’il est vrai, avec le temps, le legato a tendance à s’alourdir. Cependant, elle tape toujours juste. Tantôt furieuse et emportée, tantôt sensible et émotive, Herbert von Karajan ne laisse jamais indifférent. Avec Karajan, la musique n’est pas rejouée, elle est réinventée en permanence, si bien que de nombreux instrumentistes qui l’ont côtoyé ont le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’unique, d’irremplaçable à ses côtés.


Retrouver tous les coffrets Karajan chez Warner Classics

Par Laurent Pfaadt

Edition hebdoscope 1010, septembre 2014