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#Lecturesconfinement : La Taupe rouge de Julian Semenov par Laurent Pfaadt

Préparez-vous à une plongée en eaux
troubles. Celles du Berlin de la fin de
la seconde guerre mondiale
gouvernée par le chaos où règnent
véritables et faux espions. Dans cette
atmosphère apocalyptique, le lecteur
suit la taupe rouge, Maxime Issaiev,
alias Max von Stierlitz, agent du
NKVD infiltré dans les plus hautes
sphères nazies. Sa mission : empêcher
un complot fomenté par les sbires
d’Himmler pour négocier une paix
séparée avec les Alliés qui nuirait à
Staline.

Cette réédition de ce classique de la littérature d’espionnage russe
est une véritable aubaine littéraire. Sous la plume de ce John Le
Carré soviétique qu’il convient sans attendre de redécouvrir,
véritable « cocktail de Hemingway, Saint-Exupéry et Georges Simenon
pimenté d’interrogations dostoïevskiennes »
 selon l’écrivain russe
Zakhar Prilepine qui signe la préface, les différentes intrigues de ce
grand jeu se déploient avec brio. Leurs acteurs se nomment Walter
Schellenberg ou Alan Foster Dulles. Grâce à un rythme qui ne faiblit
jamais et qui ferait une excellente série télé, Julian Semenov
accroche son lecteur sans lui laisser de répit. Ses chapitres
ressemblent parfois à des rapports secrets. Il faut dire que l’auteur
puisa directement à la source puisqu’il fut le protégé de Iouri
Andropov, chef du KGB devenu le maître de l’URSS. Stierlitz est un
personnage de la trempe littéraire de George Smiley ou de Bernie
Gunther. Le livre refermé, une seule question nous taraude : à quand
le prochain épisode ?

La Taupe rouge
de Julian Semenov (10/18)
par Laurent Pfaadt

Une joie de courte durée

Riccardo Chailly
© Mathias Benguigui

Riccardo Chailly et
l’Orchestre de Paris ont
célébré Beethoven et sa
neuvième symphonie 

On n’a jamais entendu autant
d’hymnes à la joie à Paris
qu’en ce début d’année 2020.
La faute non pas à la crise des
valeurs européennes qui se
répand sur le continent mais
plutôt au début des festivités
du 450e anniversaire de la
naissance du génie de Bonn.

Hasard du calendrier, le concert de l’orchestre de Paris sous la
direction de Riccardo Chailly se tenait le soir même de l’entrée en
vigueur du Brexit. Un spectateur, galvanisé par l’émotion du
concert, lança même, au moment de quitter la salle, un vibrant «
No Brexit ! » comme un dernier appel à nos amis britanniques.

L’émotion avait été au préalable portée à son paroxysme par
l’excellence musicale déployée que n’aurait certainement pas
contesté un Wilhelm Furtwängler même si l’inoubliable interprète
de Beethoven aurait certainement eu quelques remarques à
formuler à son lointain disciple. Car ici, la force de la neuvième
symphonie ne résidait pas tant dans cette puissance orchestrale
et cette dimension épique que sublima le chef allemand jusqu’à la
rendre légendaire. Non, ici, pas d’emphase mais une force
tellurique tenant essentiellement au sens inné de l’harmonie que
le chef, Riccardo Chailly, l’une des meilleures baguettes du monde,
passé par le Concertgebouw d’Amsterdam et la Scala de Milan, a
su instiller à l’orchestre, entourant ainsi son interprétation d’une
magie qui opère à chaque fois.

Cela donna une symphonie vivante, pleine d’énergie et d’une
plasticité sonore assez incroyable que des vents très inspirés et
des percussions en verve ont modelé notamment dans le très
beau troisième mouvement. Un quatuor vocal de choix en
particulier la contralto Gerhild Romberger et le ténor Steve
Devislim, habitués à ces prises de rôle, accompagné d’un chœur de
l’Orchestre de Paris toujours aussi impérial, ont transformé le
final en apothéose. Tous pleuraient de joie, oubliant presque que,
de l’autre côté de la Manche, quelques-uns pleuraient pour
d’autres raisons.

Par Laurent Pfaadt

Programme de l’Orchestre de Paris à retrouver sur www.orchestredeparis.com

Nouvelles lumières, nouvelles étoiles

Comme ses
précédentes, la
nouvelle saison de la
Philharmonie du
Luxembourg brillera
de mille feux

Le ciel est là dans son écrin architectural grandiose. Ne manque plus
que les lumières et les étoiles pour le faire briller. Et ces dernières
seront, une fois de plus, légion. Des artistes de légende, des
orchestres incroyables, des rencontres musicales stupéfiantes
viendront émailler la nouvelle saison de la Philharmonie du
Luxembourg.

Il faut bien un commencement et c’est un prodige du violon, peut-
être le plus grand, Leonidas Kavakos, qui ouvrira cette saison en
compagnie de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé
par son très respecté chef, Gustavo Gimeno. Il a choisi Stravinsky
quand d’autres violonistes opteront pour Mozart (Anne-Sophie
Mutter), Chostakovitch (Maxim Vengerov), Beethoven (Vilde Frang
et Isabelle Faust) ou Bartók (Lisa Batiashvili). Sol Gabetta, Gauthier
Capuçon et Jean-Guihen Queyras accompagneront au violoncelle
ces cordes enflammées. Du côté des claviers, Yuja Wang, artiste en
résidence de cette saison, Yefim Bronfman, Lang Lang, Murray
Perahia, Daniil Trifonov, Sir Andras Schiff, Hélène Grimaud, Grigori
Sokolov, Pierre-Laurent Aimard viendront faire résonner les accords
d’une sonate n°8 de Prokofiev en ressuscitant l’ombre du grand
Gilels, les impromptus de Schubert, les structures de Boulez ou
quelques concertos de Beethoven. Comme chaque année, des
instruments et instrumentistes moins connus seront à découvrir tels
l’organiste Iveta Apkalna ou le percussionniste Wieland Wetzel qui
nous fera apprécier le concerto pour timbales de William Kraft.

Les grandes voix de notre temps ne seront évidemment pas oubliées
et Joyce Di Donato, Cecilia Bartoli, Magdalena Kozena, Anja
Harteros, Miah Persson très attendue dans la quatrième de Mahler,
Thomas Quasthoff ou la soprano Kristine Opolais qu’il faudra
absolument découvrir dans un répertoire russe tout comme la basse
Petr Migunov dans la terrifiante treizième symphonie de
Chostakovitch seront au rendez-vous.

Pour accompagner tout ce beau monde, il faudra quelques
phalanges venues de Vienne, d’Amsterdam, de Londres, de Berlin ou
de Rome avec à leur têtes de brillants chefs. Les sages (Blomstedt,
Chailly, Ashkenazy, Haitink, Rattle, Jansons ou Temirkanov)
côtoieront leurs disciples (Dudamel, Nelsons, Grazinyte-Tyla ou
Petrenko) pour nous délivrer des interprétations qui resteront à n’en
point douter dans toutes les mémoires. Et les Requiem de Mozart et
de Verdi avec Gardiner et Herreweghe prendront alors des airs de
triomphe ! Au milieu de cette joyeuse bataille, l’OPL et son chef
Gustavo Gimeno continuera, saison après saison, concert après
concert, tournée après tournée, de tracer cette route qui
l’emmènera à n’en point douter, d’ici quelques années, vers les
sommets musicaux européens.

Sortir des sentiers battus, telle est toujours la volonté affichée de la
Philharmonie. Et cette année, nos guides s’appelleront Brad
Mehldau, autre artiste en résidence, ou Gregory Porter qui
transformera la Philharmonie en club de jazz tandis qu’Anouar
Brahem, Rokia Traoré et Angélique Kidjo viendront instiller un peu
d’Orient et d’Afrique dans ces murs. Au final, qu’elles soient
mélancoliques ou étincelantes, noires ou dorées, toutes ces étoiles
resteront dans nos yeux et surtout dans nos oreilles.

Par Laurent Pfaadt

Retrouver toute la programmation 2018-2019 de la Philharmonie du
Luxembourg sur : 
https://www.philharmonie.lu/fr/

Le livre à emmener à la plage

The Expanse, tome 1 (L’Eveil du
Leviathan) et 2 (La guerre de
Caliban)

Si Jim Holden vous est encore
inconnu, il est grand temps de vous
précipiter sur les deux premiers
volumes de la saga The Expanse de
James SA Corey, qui a déjà conquis
trois millions de lecteurs dont
500 000 en France et est devenue
une série télévisée.

Tout débute par la découverte dans
un vaisseau abandonné d’informations secrètes par Jim Holden,
second d’un vaisseau de transport de glace. L’homme que rien ne
prédestinait à se retrouver là, va devenir le héros de cette saga,
tenant dans ses mains, sans le savoir, le sort de la galaxie. Car déjà
pointent à l’horizon les dangers à venir : invasion extraterrestre et
conspirations politiques en tout genre. Holden devient vite le
témoin gênant qu’il faut éliminer. De Saturne à la Terre en passant
par Ganymède, ce concentré d’actions et d’intrigues politiques ne
vous lâchera pas. Alors prêt à embarquer sur le Rossinante ?

Par Laurent Pfaadt

Chez J’ai lu, 912 p chacun

Le livre à emmener à la plage

David Grann, La note américaine

Après la jungle sud-américaine,
David Grann s’est lancé à l’assaut
des sommets rocailleux de
l’Oklahoma pour une nouvelle
aventure littéraire qui n’en est
pas moins aussi périlleuse. Le
journaliste américain, auteur de
Lost City of Z, ne change pas
d’époque mais d’univers pour se
lancer sur la piste des
mystérieuses morts des Indiens
Osages. Pendant cinq ans, il a
mené une enquête qui l’a conduit en 1921, sur les chemins
tortueux d’une vaste conspiration visant à déposséder cette tribu
indienne de leurs terres.

Et pourtant, ceux qui les avaient décimés au siècle précédent
croyaient en avoir terminé en les confinant sur cette terre
inhospitalière. Ils ne se doutaient pas que le sous-sol regorgeait de
cet or noir qu’il allait faire la fortune des Osages et décupler la
jalousie de leurs ennemis.

A travers l’histoire de la famille Lizzie, David Grann signe une
histoire vraie en forme de thriller où les derniers feux du Far-
West côtoient un vingtième siècle plein de promesses et de
fureur, et où le whisky tue aussi efficacement que les balles de
cette nouvelle police fédérale baptisée FBI. Lisez et vous
comprendrez pourquoi Martin Scorsese n’a pas hésité avant de
s’emparer de cette histoire incroyable !

Par laurent Pfaadt

Chez Globe, 326 p. 

Le livre à emmener à la plage

Omar Robert Hamilton, la ville gagne toujours

Le réalisateur anglo-égyptien
Omar Robert Hamilton se
trouvait en 2011 sur la place
Tahrir lorsque se déchaîna la
révolution qui aller chasser
Hosni Moubarak. Il en ramena ce
livre nominé pour le prix de
littérature arabe 2018. La ville
gagne toujours
est l’histoire de
trois amis projetés dans le
tourbillon de l’histoire, celle de cette place Tahrir qui a occupé les
écrans du monde entier, de ce dictateur chassé, remplacé par un
autre et de ces rêves devenus désillusions.

Parce qu’au fur et à mesure que l’on suit durant ces deux années
qui menèrent l’Egypte d’un dictateur à un autre, Khalil, Mariam,
Hafez réunis au sein du collectif Chaos qui diffuse sur les réseaux
sociaux informations sur la révolution, exactions des militaires et
des intégristes qui se disputent le pouvoir, on est parcouru de
sentiments ambivalents où la déception d’une révolution matée
côtoie l’espoir que tout cela n’a pas été vain. Nos trois héros
représentent à merveille cette ambivalence avec leurs utopies et
leurs espoirs déçus. Le livre est écrit comme on tient une caméra à
l’épaule : toujours au cœur de l’action et bien décidé à ne rien
cacher. Véritable coup de poing, le roman de cette révolution
avortée recèle un formidable message d’espoir : celui que tout
n’est jamais perdu.

Par Laurent Pfaadt

Chez Gallimard, 352 p.

Le livre à emmener à la plage

Matthew Neill Null, Le miel du lion

Des pionniers à la solde d’une
compagnie industrielle
déboisent des forêts
inhospitalières de Virginie-
Occidentale au début du siècle
dernier. Parmi eux, ceux que l’on
surnomme très vite « les Loups
de la forêt » s’organisent en vue
de commettre des actes violents
(grèves, attentats, sabotages).

Le premier ouvrage de Matthew Neill Null est un condensé de
violence, envers l’environnement mais surtout entre les êtres
engagés dans une lutte à mort. Il y a assurément du Ron Rash dans
ces pages et certaines scènes font penser au Serena de ce dernier.
Neill Null montre ces hommes refusant cette nouvelle mutation
du capitalisme qui s’apparente dans ces paysages presque
apocalyptiques à une nouvelle forme de servitude. Sorte d’énième
roman sur les bannis de la terre où seule la révolte violente peut
leur permettre de sortir de leur condition d’humilié et de leur
misère sociale, le livre de Neill Null est également un combat sans
cesse renouvelé contre sa propre conscience. La liberté se gagne,
se mérite semble dire l’auteur, y compris en bravant sa conscience
et en transgressant les lois. Dans le miel du lion, tous n’auront pas
le courage de se salir les mains.

Par Laurent Pfaadt

Chez Albin Michel, 432 p.

Le livre à emmener à la plage

Robert Olen Butler, L’appel du fleuve  

Deux frères que la guerre du Vietnam a séparés reprennent contact à l’occasion de l’hospitalisation de leur
père. Robert, devenu prof de fac, y était
tandis que son frère Jimmy a fui au
Canada pour échapper à cette folie. Les
deux frères sont assaillis de souvenirs,
de cauchemars et analysent leur
existence au prisme de cet évènement
qui les a irrémédiablement changés et a
fait exploser leur famille.

Avec la maestria qui est la sienne, l’auteur d’un doux parfum d’exil
(Prix Pullitzer 1993) nous entraîne au plus profond de l’âme
humaine, là où se nichent le courage et la culpabilité de chacun.
L’exploration est tantôt magnifique, tantôt pathétique. Au fil des
pages, Robert et Jimmy descendent lentement vers ce fleuve qui
charrie les existences, qui fait de nous des hommes de chair et de
passions, vers ce fleuve d’une nation au bord duquel chaque
citoyen s’assoit face à sa conscience. Certains y contemplent leur
reflet. D’autres y sombrent. Mais tous se valent semble nous dire
Robert Olen Butler.

Par Laurent Pfaadt

Chez Actes Sud, 269 p.

Le livre à emmener à la plage

Amos Oz, Judas

1959 Jérusalem. Shmuel, jeune
homme perdu cherchant du travail
tombe sur une annonce quelque peu
singulière : un vieil homme invalide
et érudit, Gershom Wald, recherche
de la compagnie. Il se rend chez le
vieillard et accepte en échange
d’une condition : cinq heures de
conversation. Mais ce que ne sait
pas Shmuel, c’est qu’il vient d’entrer
non pas dans la grande bâtisse de
Wald mais dans un titanesque
procès, celui de toute une nation. La confrontation rhétorique
entre Shmuel et Wald trouvera des moments d’accalmie en la
personne d’Atalia, veuve de 45 ans dont le père fut considéré en
1948 comme le Judas de l’indépendance parce qu’opposé à la
vision de Ben Gourion.

L’auteur d’une Histoire d’amour et de ténèbres (2003), fer de lance
du mouvement la Paix Maintenant, signe peut-être là son roman le
plus politique. Celui-ci plonge dans les non-dits d’une nation et
convoque un certain nombre de spectres : Judas, omniprésent,
l’ami devenu le traître de ce Jésus qui fut l’objet du travail
universitaire de Shmuel et le symbole de l’antisémitisme mais
également les proches disparus de Wald qui sont autant de
métaphores qui renvoient à l’Ancien Testament. A travers cette
exploration de la figure du traître où Amos Oz utilise la théologie
bien entendu mais également l’histoire et les relations humaines,
l’écrivain israélien montre une fois de plus avec brio que le traître
n’est pas toujours celui que l’on croit et que l’aveuglement que l’on
met dans une cause conduit toujours au désastre et d’une certaine
manière… à la trahison.

Par Laurent Pfaadt

Chez Folio, 400 p.

Le livre à emmener à la plage

James Comey, Mensonges et
vérités, une loyauté à toute épreuve

Malgré sa taille impressionnante
(plus de deux mètres), ce géant
est toujours resté dans l’ombre
jusqu’à son limogeage par le
président Donald Trump, le 9 mai
2017 alors qu’en tant que
directeur du FBI, il dirigeait ce
qu’il est désormais convenu
d’appeler le Russiangate. Mais
c’est oublier que l’homme est au
courant depuis près de quinze ans
de nombreux secrets ou plutôt, comme il le dit lui-même, de
mensonges d’Etat. En tant que procureur général adjoint des
Etats-Unis, c’est-à-dire adjoint du ministre de la justice sous la
présidence de George W. Bush entre décembre 2003 et août
2005 puis bien évidemment comme directeur du FBI entre 2013
et 2017, l’homme a traité de dossiers épineux comme la
légalisation de la torture contre les terroristes, l’affaire Plame-
Wilson, du nom de cette espionne américaine dont l’identité fut
révélée par des membres du cabinet Bush, l’enquête sur les emails
d’Hilary Clinton et bien entendu les rapports entre l’équipe de
campagne de Donald Trump et la Russie qui lui vaudra son
limogeage et sa comparution devant la commission judiciaire du
Sénat.

Le livre embarque ainsi le lecteur dans les coulisses d’une
diplomatie secrète ou dans les arcanes d’une Maison Blanche qu’il
compare à une mafia et où le mensonge et les coups bas pleuvent.
Il oscille en permanence entre thriller et roman d’espionnage. Sauf
que tout est véridique.

Par Laurent Pfaadt

Chez Flammarion, 379 p.