Dans le trou de la serrure

Une passionnante exposition explore l’évolution de l’intimité

A l’heure des réseaux sociaux et de l’exposition permanente de l’intimité, voire son dévoilement volontaire, existe-t-il encore une intimité ? C’est ce que tente d’explorer la brillante et instructive exposition des arts décoratifs qui emmène ses visiteurs des chambres à coucher aux réseaux sociaux en passant par les cosmétiques et autres sextoys.


Musée des arts décoratifs
©Sylvain Silleran

La notion d’intimité naît véritablement au XVIIIe siècle mais ce n’est qu’au XIXe qu’elle s’affirme comme un espace de division sociale d’une société qui voit l’émergence d’une classe bourgeoise partagée désormais entre sphères familiale et professionnelle où les femmes sont reléguées dans la première avant qu’elles ne s’en émancipent progressivement. Comme le rappelle Christine Macel, ancienne directrice du musée des arts décoratifs et qui a coordonné le catalogue qui accompagne l’exposition : « si aujourd’hui, les femmes ne sont plus recluses dans l’espace privé (…) l’intime constitue néanmoins  un espace dans lequel elles ont été et sont particulièrement actives : avec la remise en cause du mariage obligatoire, la demande d’égalité au sein du couple, la notion du consentement sexuel, elles ont, plus largement, contribué à la redéfinition de l’intime ».

S’introduisant dans les chambres à coucher, partagées ou non, et se singularisant, mais également dans les cabinets de toilettes, l’exposition convoque Michèle Perrot, le peintre Antoine Watteau ou la photographe Nan Goldin pour expliquer comment s’est formalisée l’appropriation d’un lieu à soi ou l’irruption des préoccupations liées à l’hygiène qui ont été des jalons de la construction d’une intimité jusqu’alors peu formalisée.

Cette intimité nouvellement créée va ainsi servir d’écrin à l’expression d’une beauté féminine et les pièces venues du mobilier national et ces magnifiques rouges à lèvres devant lesquels nombre de visiteuses tombent en pâmoison et parfums qui donnent une dimension olfactive fort agréable à l’exposition sont autant de témoignages d’une intimité qui s’entourent de codes et d’attributs.

D’attributs, il en est donc question, y compris sexuels car l’intimité est aussi liée à une sexualité qui s’expose dans la fameuse toile de Fragonard et la collection de sextoys et va connaître, comme le montre parfaitement l’exposition, nombre de mutations. Une exposition qui tombe finalement à point nommé alors que notre société s’interroge à nouveau sur la question du consentement, de savoir qui a le droit de décider de notre intimité, d’entrer dans cette dernière.

La dernière partie de l’exposition avance d’ailleurs prudemment sur ce terrain où l’intimité est désormais tantôt livrée, tantôt asservie aux nouvelles technologies. Sans apporter de réponses, elle se borne à constater qu’une fois de plus, l’évolution de l’intimité bouleverse le rapport entre les femmes et les hommes. Mais surtout, surfant sur les réseaux sociaux et naviguant à vue dans notre société de surveillance, elle met en garde sur les dangers d’un progrès qui peut se révéler destructeur pour les rapports humains. La société débattant sur les bienfaits de l’eau est bien loin, remplacée par celle des journaux intimes désormais partagés à la terre entière sur Instagram. Une exposition qui constitue une véritable prise de conscience.

Par Laurent Pfaadt

L’intime, de la chambre aux réseaux, Musée des arts décoratifs
Jusqu’au 30 mars 2025

Catalogue de l’exposition : L’intime, de la chambre aux réseaux, sous la direction de Christine Macel, coédition Gallimard/musée des Arts décoratifs, 288 p.