Archives de catégorie : Musique

Tom Koopman

L’un des grands interprètes de la musique baroque, Tom Koopman, était l’invité de l’OPS pour les concerts des 24 et 25 mars derniers dans un programme associant Bach, Rebel et Haydn.


Fondateur en 1979 de l’Amsterdam Baroque Orchestra, avec lequel il a notamment gravé l’intégrale des cantates de Bach, Tom Koopman appartient, avec le claveciniste Gustav Leonhardt, le violoniste Sigiswald Kuijken et le violoncelliste Anner Bylsma, à la famille néerlandaise de ce que l’on a appelé, en son temps, la révolution des baroqueux. Lancée dans les années soixante en Autriche par Nikolaus Harnoncourt, ladite révolution postulait une vérité historique dans l’interprétation du répertoire baroque, dont elle exhumait par ailleurs quantité d’œuvres oubliées ou méconnues. S’agissant des plus connues et des plus jouées de ces œuvres, tant instrumentales que chorales, à commencer par celles de J. S. Bach, les premiers concerts et publications discographiques des baroqueux suscitèrent de vives controverses, tant ils différaient des grandes approches symphoniques alors en vigueur. On se souvient aussi que les réticences ainsi suscitées tenaient à la fois à un diapason plus bas, à des factures instrumentales oubliées, à un effectif orchestral réduit ainsi qu’à une justesse instrumentale parfois approximative. Ces réticences ont progressivement disparu, au point qu’assez vite, ce sont les grandes formations orchestrales qui se sont mises à l’école des baroqueux, encouragées en cela par les premiers succès obtenus dès les années 1980 par Nikolaus Harnoncourt avec le Concertgebouw d’Amsterdam.

Venu il y a quinze ans avec son propre orchestre pour jouer l’Oratorio de Noel de Bach, c’est avec des musiciens de l’OPS que Koopman s’est produit cette année. À la tête d’une trentaine d’instrumentistes motivés, il offre une exécution énergique, animée et particulièrement colorée de la suite pour orchestre n°4 de Bach. Soliste du second concerto pour violon du même Jean-Sébastien Bach, le russe Sergei Krylov fait entendre un fort beau premier mouvement, dominé par un jeu lyrique qui ne masque en aucune façon la grande ligne, qualités que l’on retrouve aussi dans l’allegro final. Il n’en est malheureusement pas de même dans le sublime adagio central où soliste et orchestre distillent une atmosphère sentimentale aux accents italianisants et aux phrasés étirés qui altèrent la verticalité et l’austère gravité du morceau. Dans ce concerto joué dans cette même salle Érasme il y a bientôt un demi-siècle, les mélomanes de ma génération gardent le souvenir de l’excellente prestation du violoniste Paul Crepel, alors premier violon d’un orchestre magistralement dirigé par Alain Lombard.

Intermède quasi-bruitiste avec le Cahos de Jean-Féry Rebel, compositeur contemporain de Bach et de Rameau, quelque peu délaissé aujourd’hui. Ce Prélude à son opéra ballet Les Éléments, qui traite de rien moins que de la création du monde, a été souvent considéré comme le premier cluster en musique : entendons par là, non pas un foyer d’infection sanitaire ainsi nommé dans la langue médicale internationale, mais une technique d’écriture constituée d’une grappe de notes voisines créant un agrégat sonore qui déroge aux règles usuelles de l’harmonie. L’effet en reste surprenant, en dépit de son usage désormais courant dans nombre d’œuvres contemporaines.

Crédit : Gregory Massat

Ce concert de Tom Koopman était intitulé « Escapade baroque » alors que son morceau conclusif, la 98ème symphonie de Joseph Haydn, procède d’une toute autre esthétique, celle de la grande symphonie classique surgie dans le dernier tiers du 18ème siècle et dont le même Haydn peut être tenu à bon droit pour le génial inventeur. C’est lors de son premier séjour à Londres, où il la composa en 1791, que Haydn reçut la bouleversante nouvelle de la mort de son jeune ami Mozart, qu’il tenait pour son fils spirituel et qu’il considérait, selon ses propres dires, comme le plus grand compositeur de son temps. Cette symphonie exprime, à l’instar de la plupart des « londoniennes », le bonheur éprouvé par un compositeur désormais libéré de son service de musicien attaché à la cour du prince Esterhazy ; mais elle recèle aussi, au sein de son mouvement lent, des citations de celui de la dernière symphonie de Mozart (dite « Jupiter »), qui lui confèrent une gravité toute particulière. De l’interprétation entendue ce jeudi 25 mars, on aura apprécié le menuet du troisième mouvement joué comme on sait le faire aujourd’hui, sur un mode léger et enlevé, loin de l’envasement de bien des chefs d’antan. Mais pour le reste, on ne perçoit qu’une belle et brillante fresque sonore se déployant à la surface des choses et se complaisant dans une esthétique baroque hors de propos, insouciante de la grande forme symphonique voulue par le compositeur à l’apogée de son parcours créateur. On en reste perplexe, s’agissant d’un musicologue aussi savant et cultivé que l’est indubitablement Tom Koopman.

  Michel Le Gris

Happy birthday Maestro Rihm !

Le 70e anniversaire du compositeur allemand est l’occasion de réécouter ses œuvres.

Wolgang Rihm est certainement l’un compositeurs les plus importants de notre temps. Nombreux sont ceux, interprètes ou créateurs, à considérer sa musique comme prépondérante dans la création contemporaine. Totalement intégrées aux programmes des plus grands orchestres, ses œuvres sont devenues, dès son vivant, de véritables classiques qui tendent à explorer les tréfonds psychologiques de l’homme. En 2019, le festival Présences de Radio France, présenta ainsi seize de ses œuvres. Pascal Dusapin, autre grand nom de la création contemporaine et invité du festival, évoquait ainsi l’œuvre de Wolfgang Rihm : « il y a chez lui un mouvement tellurique qui m’évoque une rivière, laquelle peut se faire grand fleuve ou petit ruisseau : tantôt, tout est clair, on peut voir les poissons ; tantôt, le temps est mauvais, la rivière est agitée, le torrent devient boueux, chargé. »

A l’occasion de son 70e anniversaire, quelques-unes de ses œuvres emblématiques ressortent sous le label de l’orchestre symphonique de la radio bavaroise, BR Klassik, avec qui Rihm a établi un compagnonnage de longue date.

Né à Karlsruhe, Wolfgang Rihm fut très tôt influencé par Mahler et la seconde école de Vienne en particulier Anton Webern avant de forger son propre style qui rompit avec l’avant-garde musicale représentée notamment par Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen dont il fut pourtant l’élève.

Compositeur prolifique, il s’est aventuré dans tous les domaines : musique orchestrale et de chambre, opéra notamment avec son Dionysos extatique et fantasmagorique basé sur les poèmes de Nietzsche ou musique sacrée comme en témoigne son magnifique et si épuré Stabat Mater pour bariton et alto qui s’appuie sur un texte de la liturgie médiévale catholique. Parmi les quelques 500 pièces de ce compositeur prolifique à l’œuvre protéiforme, les deux Cds de la collection Musica viva du label de l’orchestre de la radio bavaroise présente quelques œuvres représentatives du compositeur. A la fois récentes (Stabat Mater, 2020) et plus anciennes comme Sphäre nach Studie (1993 remaniée en 2002) ou le célèbre Jagden und Formen (2008) et associant quelques-uns des plus grands solistes du monde comme l’altiste Tabea Zimmermann et le clarinettiste Jörg Widemann dans ce Male über Male 2 pour clarinette et 9 instruments assez fascinant, ces œuvres permettent de pénétrer facilement et intensément l’univers du créateur.

« Un compositeur se doit d’être à la fois hautement intellectuel mais également faire preuve d’émotions en musique » a coutume de dire Wolfgang Rihm. Et on peut dire qu’à l’écoute de ces disques, l’alchimie est parfaite.

Par Laurent Pfaadt

Wolfgang Rihm : #39 Sphäre nach Studie, Stabat Mater, Male über Male 2#40 Jagden und Formen, Symphonieorchester des Bayerisches Rundfunks, dir Stanley Dodds (#39) und Franck Ollu (#40), Music aviva, BR-Klassik

« Fuir est très vite devenu la seule alternative »

Lui est pianiste international russe, finaliste du célèbre concours international Van Cliburn et se produisant sur les scènes du monde entier. Elle, est compositrice et pianiste. Tous les deux enseignaient au conservatoire Tchaïkovski à Moscou. Nikita Mndoyants et Maryana Lysenko ont quitté leur pays quelques jours après l’invasion de l’Ukraine avec leur fille de 3 ans pour se réfugier en France, dans le nord de l’Alsace, le 6 mars dernier. Comme un symbole, leur fille a effectué sa rentrée dans la même classe qu’une petite ukrainienne, arrivée quelques jours plus tôt.


Au moment où la guerre en Ukraine s’est déclenchée, vous étiez en Russie. Quelle a été votre réaction ?

Nikita Mndoyants : Quand les médias de masse n’étaient pas censurés nous entendions des rumeurs. Mais nous ne pouvions croire qu’au 21e siècle, une telle chose fut possible. Nous avons été choqués, sidérés quand la guerre a commencé. Et puis, la vie en Russie a commencé à changer. Très vite. Exprimer son opinion contre la guerre pouvait vous conduire en prison pour quinze ans. Fuir est très vite devenu la seule alternative. Tous ceux qui comprenaient réellement ce qui se passait ne pouvait accepter cela et demeurer silencieux. La peur régit aujourd’hui la vie de ceux qui n’ont pas pu quitter le pays. Il y a des manifestations contre la guerre dans toutes les grandes villes de Russie mais personne ne les voit car il n’y a plus de médias d’opposition. En parlant aujourd’hui, nous craignons également pour nos proches, nos parents qui sont restés là-bas et pourraient subir les conséquences de nos prises de position.

Maryana Lysenko : De nombreuses personnes soutiennent le régime car elles sont endoctrinées par la propagande. Même des membres de ma famille font confiance à celle-ci. C’est devenu très difficile de discuter avec eux. Lorsque je leur montre des vidéos provenant de mes amis ukrainiens qui font état de destructions et d’attaques, ils ne me croient pas. Ils pensent qu’il s’agit de propagande ukrainienne. Et lorsque les Américains et les Européens ont infligé des sanctions à la Russie, ils ont continué à croire dans la propagande en me disant : « L’Ouest est contre nous et de toute façon, nous allons survivre. On va être fort et on surpassera tout cela ».

Vous avez alors décidé de quitter le pays…

Nikita Mndoyants : Oui, d’abord pour notre fille. Ils ont détruit l’avenir pour tout le monde. Nous ne voulons pas qu’elle se retrouve dans ce dilemme de devoir choisir entre fuir son pays et accepter de vivre ainsi en Russie. Notre génération peut encore agir, décider. Mais eux n’auront plus la possibilité de le faire. Nous ne reviendrons pas en Russie dans ces conditions, avec ce régime.

Maryana Lysenko : Il ne s’agit pas d’une question de sécurité car j’ai participé à des mouvements de protestation en Russie lorsque cette dernière a envahi la Crimée et le Donbass en 2014. Nous aimons tellement notre pays et c’est très douloureux pour nous. J’y suis tellement attachée, mes racines sont ici. Même lorsque la guerre a débuté, j’ai essayé de me convaincre, jour après jour, de rester en Russie et de me battre. Le plus dur a été d’entendre ces gens que je connaissais et qui s’opposent au régime me dire : cela ne sert plus à rien de se battre maintenant. J’ai donc dû me convaincre qu’il était impossible de rester là-bas. Ce n’était pas une question de sécurité mais plutôt une question d’éthique, d’humanité.

Interview Laurent Pfaadt

Des notes pour faire taire les armes

Un concert en soutien au peuple ukrainien avec le pianiste
international russe Nikita Mndoyants était organisé au relais
culturel de Wissembourg.


La grande salle du relais culturel de la Nef à Wissembourg était
pleine à craquer. Plus de 400 personnes avaient ainsi pris place pour
assister au concert organisé par l’association du festival
international de musique classique de Wissembourg et le pianiste
international russe Nikita Mndoyants qui a fui avec sa famille son
pays aux premières heures de la guerre (lire l’interview). Autour de
lui quelques-uns de ses fidèles compagnons de jeu notamment son
épouse Maryana Lysenko, le violoniste Andrej Bielow et le
violoncelliste Christoph Croisé. Au premier rang se trouvaient les
quelques quarante réfugiés qui vivent aujourd’hui à Wissembourg,
entourant la maire, Sandra Fischer-Junck qui a pris soin de rappeler
dans son discours que « nous écrierons à vos côtés une partie de
l’histoire de notre ville ».

Une partie de cette histoire a ainsi débuté sur la scène de la Nef.
Tout en rappelant à travers un très beau Schubert et un Scarlatti
envoûtant les liens évidents entre musiques ukrainienne et
européenne, le concert a mis à l’honneur quelques compositeurs
ukrainiens à commencer par Valentin Silvestrov, né à Kiev en 1937
et qui vit aujourd’hui à Berlin. Célèbre pour ses musiques de films
notamment de Kira Mouratova, sa Bagatelle, chargée d’émotion
donna le ton d’un concert appelé à rester dans les mémoires.

Mykola Lysenko que les spectateurs ont découvert et dont l’Ukraine
a fêté en pleine guerre le 180e anniversaire de la naissance a installé cette étrange impression que le temps s’était arrêté, qu’à travers sa
musique, les bombardements sur Marioupol, Mykolaïv ou Kiev
avaient cessé. Mais Nikita Mndoyants nous rappela l’instant d’après
avec les notes martelées et les rythmes frénétiques d’un Vsevolod
Zaderatsky, ce compositeur qui créa ses principales œuvres au
goulag entre 1937 et 1939 et que le pianiste enregistra pour le
célèbre label Melodiya, que la guerre, les morts étaient bien réels, et
que la souffrance était encore vive. Les œuvres de Maryana Lysenko,
lointaine héritière du grand Mykola et de Boris Loginov se voulurent
à la fois course à l’abîme et plainte déchirante, magnifiquement
restituée par Andrej Bielow dont le violon provoqua frissons et
larmes.

Des larmes, il en fut évidemment question durant cette après-midi
inoubliable lorsque retentit la Melodia de Myroslav Skoryk, cet
hymne ukrainien de l’exil. Des larmes sur les joues de ces femmes
courageuses assises au premier rang. Des larmes coulant sur les
marteaux d’un piano quand d’autres frappent inlassablement les
villes ukrainiennes de leurs bruits assourdissants. Des larmes pour
ne jamais oublier.

Par Laurent Pfaadt

Nikita Mndoyants se produira la scène du Théâtre de l’Alliance Française, Paris 6e, le 16 avril 2022 à 16h pour un concert retransmis sur France Musique

A écouter :
Vsevolod Zaderatsky 24 Preludes and Fugues, 2CD, interprétés par Lukas Geniusas, Andrei Gugnin, Nikita Mndoyants, Ksenia Bashmet, Yury Favorin, Andrei Yaroshinsky, Melodia, 2016

Mozart de retour chez lui

La prochaine édition de la Mozartfest de Würzburg promet, une
nouvelle fois, d’être passionnante

Foto: Schmelz Fotodesign

Comme chaque année, à l’approche de l’été, tous les amoureux de
Wolfgang Amadeus Mozart se donneront rendez-vous dans la ville
de Würzbourg et dans le château de Prince-électeur à l’occasion de
la 101e édition de la Mozartfest. Dans la Kaisersaal, quelques-uns
parmi les plus grands interprètes du génie se produiront devant des
spectateurs ravis après deux années de COVID. Parmi eux, les
pianistes coréen Seong-Ji Cho, vainqueur du célèbre concours
Chopin en 2015 qui donnera le 23e concerto de Mozart, et la
légende Robert Levin dont les onzième et seizième sonates seront, à
n’en point douter, très attendues.

Côté cordes, la norvégienne Vilde Frang et le jeune prodige Daniel
Lozakovich feront entendre le concerto de Schumann et le 5e
concerto de Mozart tandis que les violoncellistes viendront admirer Kate Gould et Marie Spaelmann. Quant aux bois, ils seront
dignement représentés par François Leheux et surtout par Jorg
Widmann, invité d’honneur du festival qui au cours de deux concerts
fera raisonner le fameux concerto pour clarinette de Mozart – l’un
des points d’orgue du festival à venir – ainsi que plusieurs pièces de
musique de chambre où il sera accompagné du trio féminin Catch.
Nul doute également que le quatuor pour hautbois KV 370 sous les
doigts d’Albrecht Mayer à Shalom Europa retentira d’une tonalité
toute particulière cette année…

Tout ce beau monde sera accompagné avec ce que l’Europe compte
de plus prestigieux en matière d’orchestres. A commencer par les
célèbres Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks et
Chamber Orchestra of Europe dont les baguettes maniées par les
plus grands chefs du 20e siècle seront confiées cette fois-ci à
Giovanni Antonini et François Leleux pour des 25e et 28e
symphonies de Mozart très attendues. L’interprétation de la Jupiter
et de la 20e seront quant à elles assurées respectivement par le chef
Maxim Emelyanychev à la tête du Scottish Chamber Orchestra et
par le Lautten Compagney Berlin. Ce même ensemble convoquera la
saxophoniste Asya Fateyeva pour ouvrir avec le concert de clôture
une fenêtre sur l’histoire de la musique, fenêtre dessinée quelques
jours auparavant par le jazz et Elvis de l’ensemble Passo Avanti et
des German Gents.

Reviendra enfin au Bamberger Symphoniker voisin sous la conduite
de son ancien chef, Jonathan Nott, de faire raisonner le tocsin dans
l’église St Kilian avec une deuxième symphonie de Bruckner et à
l’Amsterdam sinfonietta sous la conduite de Candida Thomson de
faire résonner Tchaïkovski et « La casa del diavolo » de Boccherini.
Nott reprendra une baguette qu’un Andrew Manze aura
préalablement polie sur les notes de la 91e symphonie de Haydn.
Enfin, Beethoven, dont le destin s’est lié à travers Haydn, à celui de
Mozart, sera également présent à Würzbourg avec sa troisième
symphonie (Scottish Chamber Orchestra) et son triple concerto
(Sarah Christian, Maximilian Hornung et Herbert Schuh
accompagnés par un WDR Sinfonieorchester sous la conduite du
très expérimenté Reinhard Goebel).

Enfin, la Mozartfest ne serait pas l’évènement mozartien de
référence en Europe sans sa dimension vocale. Ainsi, un Cosi fan
tutte dans un théâtre musical, une Flûte enchantée sur grand écran
pour les enfants ainsi que des arias de Don Giovanni où la voix
prendra l’aspect du hautbois rendront l’hommage nécessaire à ses
opéras tandis que la soprano Regula Mühlemann qui fera ses débuts
à la Mozartfest, fera entendre une œuvre vocale plus intimiste. Nul
doute que, sous les fresques du grand Tiepolo, le génie tendra une
fois de plus une oreille attentive à cette somme de talents réunis.

Par Laurent Pfaadt

Mozartfest, Würzburg, All in one, the Freethinker Mozart, May 20 – 19 June 2022

Retrouvez toute la programmation sur http://www.mozartfest.de

Mozart joué par le violoniste David Grimal

Les 24 et 25 février derniers, l’intégrale des cinq concertos pour
violon et orchestre de Mozart joué par le violoniste David Grimal
restera un évènement musical exceptionnel, tant sous l’angle de la
performance technique que par l’engagement esthétique de
l’interprète.

C’est durant la seule année 1775 que Mozart, jeune de ses 19 ans
mais déjà auteur d’œuvres remarquables, compose l’ensemble de ses
concertos pour violon. Si l’aspect divertissant et décoratif de la
forme concertante domine encore les deux premiers, les trois autres
offrent en revanche une inventivité et une complexité d’écriture qui
annoncent les futures grandes œuvres, notamment celles pour piano
et orchestre ; car Mozart, dans sa maturité,  ne reviendra pas au
concerto pour violon si ce n’est lors de tentatives ou d’ébauches
jamais abouties, comme si le genre restait pour lui entaché de la
servitude des années passées au service du prince-archevêque de
Salzbourg.

Même si huit mois seulement séparent leur composition, l’étonnante
progression, qui s’accomplit entre le premier et le dernier de ces
concertos, n’est jamais autant sensible que lorsque l’on a la chance
de les entendre dans leur succession. Fort bien soutenu par un petit
ensemble d’une vingtaine de musiciens et leur premier violon
Charlotte Juillard, David Grimal insuffle dans ce corpus mozartien
une vitalité juvénile hautement stimulante et parfaitement en
situation, si l’on tient compte de la durée d’un concert de presque
trois heures obligeant à aller de l’avant. Les tempi ne s’enlisent pas,
c’est le moins que l’on puisse dire, au risque d’altérer parfois la
volupté mélodique comme, par exemple, dans le premier
mouvement des quatrième et cinquième concertos. Ce n’est
toutefois qu’une mince réserve car, pour le reste, on est surtout
conquis par la grande liberté d’un jeu radieux, tant chez le soliste
que dans l’orchestre. Si la grâce des deux premiers concertos est
particulièrement bien rendue, leur jeu fluide, libre et spontané nous
vaut un des plus beaux troisième qu’il m’ait été donné d’entendre.
Faut-il par ailleurs attribuer aux archets d’époque procurés par
David Grimal cette sonorité de cordes particulièrement douce
entendue ces deux soirs ? Les musiciens jouaient en effet avec des
archets différents (plus courts), mais sur leurs instruments habituels.
Quant aux deux cors, hautbois (et flutes dans le troisième concerto),
il s’agissait de factures actuelles. Un pas dans l’historiquement
informé, un autre dans la modernité puisque Grimal a repris pour
son concert de Strasbourg les cadences (talentueuses) qu’il avait
faites écrire par le compositeur Brice Pauset à l’occasion de son
enregistrement des mêmes concertos effectué en 2015 avec son
ensemble Les Dissonances.

La soirée, celle de vendredi du moins, s’est achevée avec un bis offert
en solidarité avec  l’Ukraine en guerre : le grave de la sonate pour
violon n°2 de Bach, joué du coup avec une extrême gravité, dans un
son de stradivarius d’une beauté renversante.

Par Michel Le Gris

Beethoven s’invite chez Chopin

Le prochain Beethoven Eastern Festival de Varsovie se tiendra du 3 au 15 avril 2022

C’est d’ores et déjà devenu une habitude, une tradition, celle qu’à
Chopin de convier Beethoven chez lui. On imagine aisément le génie
de Bonn se rendant à Varsovie pour y admirer un pianiste
d’exception, celui qui joue le Clavier bien tempéré du grand Bach
mieux que personne, celui que l’on compare déjà à Mozart.

Il faudra attendre près de deux siècles pour que ce rêve devienne
réalité grâce à un autre grand nom de la musique polonaise et
mondiale, grâce à un autre compositeur majeur de son siècle,
Krystof Penderecki. Et il est bien connu que derrière tout grand
homme, il y a une femme, en l’occurence Elżbieta Penderecka, celle
qui a rendu possible cette rencontre entre Beethoven et Chopin à
travers le Beethoven Eastern Festival dont elle est la présidente.

Ainsi, du 3 au 15 avril 2022, la 26e édition du festival verra une
pléiade d’artistes rendre hommage au compositeur de la 9e
symphonie. De symphonies, il sera évidemment question avec cette
même neuvième et le NFM Wrocław Philharmonic qui ouvrira le
festival sous la direction de Giancarlo Guerrero et dont la voix de
bronze de la soprano autrichienne Genia Kühmeier résonnera d’une
tonalité européenne bien particulière à quelques kilomètres d’un
conflit qui ensanglante les marches de l’Europe. D’autres
symphonies comme la Pastorale ou la 4e seront respectivement
interprétées par le Korea National University of Arts Symphony
Orchestra et l’Israel Camerata Jerusalem. Les 3e et 4e concertos
pour piano de Beethoven seront également à l’honneur avec les
pianistes polonais Łukasz Krupiński accompagné par la Sinfonia
Varsovia et coréen, Minsoo Sohn. Bien évidemment, patrie de
Chopin oblige, plusieurs récitals de piano permettront d’apprécier le
toucher si unique d’un Yekwon Sunwoo, vainqueur du concours Van
Cliburn en 2017 ainsi qu’une Nocturne Op. 27 no. 2 par un Martin
James Bartlett qui fera, à n’en point douter, battre le cœur de toute
une nation.

Varsovie retiendra également son souffle en écoutant les merveilles
de quelques-uns de ses plus brillants esprits musicaux, à commencer
par Krystof Penderecki et Karol Szymanowski dont la quatrième
symphonie sera interprétée par l’Orchestra of the Karol
Szymanowski Philharmonic de Cracovie. Il sera d’ailleurs question
de Cracovie, la veille, le 9 avril, avec la Chaconne in memoriam du pape
Jean-Paul II tirée du Requiem polonais d’un Penderecki qui sera
également à l’honneur avec son Lacrimosa.

D’autres œuvres seront absolument à découvrir notamment la 7e
symphonie « Angel of Light » du compositeur finlandais Einojuhani
Rautavaaraa, encore relativement méconnu et si peu joué mais dont
l’œuvre témoigne pourtant d’une beauté épique stupéfiante que
mettra certainement en valeur le chef Paweł Przytocki à la tête du
Arthur Rubinstein Philharmonic Orchestra. Durant cette même
soirée du 5 avril, les spectateurs apprécieront le concerto pour
violon de Max Bruch par l’une plus grandes solistes, Arabella
Steinbacher.

Enfin, la neuvième symphonie dite du « Nouveau Monde » d’Antonín
Dvořák par le Jerzy Semkow Polish Sinfonia Iuventus Orchestra
sous la conduite de la cheffe d’orchestre américaine Joann Faletta
offrira peut-être quelques espoirs à un monde plongé aujourd’hui
dans ce ciel de ténèbres où le Requiem de Schnittke rendra
l’hommage nécessaire aux morts de cette guerre en clôture d’un
festival qui s’annonce, d’ores et déjà, chargé en émotions.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toutes les informations sur le Beethoven Easter Festival sur : http://beethoven.org.pl/en/

Un chat ukrainien

Avec ce disque remarquable, les pianistes Ludmila Berlinskaïa et
Arthur Ancelle rendent hommage au compositeur ukrainien
Alexander Tsfasman

La musique a ceci d’incroyable qu’il y a toujours de nouvelles
œuvres, de nouveaux compositeurs à découvrir grâce à ces
interprètes qui extirpent des limbes du passé, partitions et airs
oubliés. Bien qu’il fût célébré de l’autre côté du rideau de fer et que
ses airs étaient sifflotés, personne ou presque en Occident ne
connaissait Alexander Tsfasman (1906-1971). Sorte de Gershwin
soviétique avec qui il est d’ailleurs associé sur ce très beau disque, le
compositeur ukrainien partagea avec son alter ego musical, la
passion d’un jazz qui hésita longtemps à s’approcher de la musique
classique. Comme le rappela d’ailleurs Walter Damrosch, chef
d’orchestre qui créa notamment An American in Paris de George
Gershwin, « divers compositeurs ont tourné autour du jazz comme un
chat autour d’une assiette de soupe chaude, attendant qu’elle refroidisse
suffisamment pour lui permettre d’y goûter sans se brûler la langue… »

Sa Suite de jazz est pourtant d’une beauté incroyable qui tient
beaucoup à l’interprétation que délivre les deux pianistes sur ce
disque et on comprend aisément pourquoi elle est devenue si
populaire en URSS. Subtil mélange à la fois d’une mélancolie tirée de
cette âme russe trempée dans la tradition classique et de burlesque
hérité du jazz, l’oeuvre séduisit jusqu’au grand Chostakovitch, lui-
aussi très sensible aux influences jazz qu’il matérialisa dans son
immortelle Suite Jazz n°2.

Et qui de mieux que Ludmila Berlinskaïa, pianiste émérite et fille du
grand Valentin Berlinsky qui fut, avec le quatuor Borodine, l’un des
plus grands interprètes des quatuors de Chostakovitch, pour
ressusciter Tsfasman. En compagnie d’Arthur Ancelle, ils recréent à
merveille l’alchimie nécessaire à l’interprétation des œuvres de
Tsfasman, celle qui consiste à se situer à la jonction du classique et
du jazz. « Nous avons appris à changer notre toucher, à entendre
autrement, visant à unir swing et véritable rubato pianistique, sorte
d’improvisation libérée sur fond d’ostinato rythmique précis » assurent
ainsi les deux interprètes. Ludmila Berlinskaïa, après avoir entendu
le grand Mikhaïl Pletnev interpréter la Suite de Jazz à Verbier, a
immédiatement été séduite et n’a eu aucun mal à persuader son
compagnon de jeu, Arthur Ancelle, de se lancer dans cette aventure
devenue apothéose sur ce disque. Deux chatons s’amusant avec la
pelote du grand chat ukrainien en somme.

Le résultat est un disque aux multiples couleurs qui unit deux styles
musicaux pour former une œuvre unique parfaitement restituée et
donnant l’impression d’un chat espiègle bondissant sur les touches
de deux pianos. Sous les doigts de Berlinskaïa et Ancelle, cette
facétieuse musique semble sortie d’un film muet, et on se plaît à
imaginer une variation moderne du Dictateur de Chaplin sous les ors
actuels du Kremlin avec, au piano devant l’écran, ce compositeur
ukrainien caricaturant la course folle du dictateur au son des Flocons
de neige. Il y a véritablement quelque chose d’addictif dans cette
musique que l’on écoute encore et encore. Après Praga digitals,
Supraphon, qu’il est bon de retrouver à nouveau ce label merveilleux
qu’est Melodiya pour accompagner ce chat ukrainien qui n’a,
assurément, pas fini de nous surprendre sous les doigts félins de
Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle.

Par Laurent Pfaadt

Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle, Gershwin, Tsfasman, Melodiya

Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle interpréteront Gershwin, Tsfasman et d’autres à l’occasion du concert maquant les 10 ans de leur collaboration,
le 10 mars 2022 à 20h30 à la salle Gaveau.

vivacité de la timbale

En dépit des contraintes sanitaires et du retour du masque dans les
salles de spectacle, le début d’année nous aura quand même offert
deux moments musicaux qui resteront présents dans la mémoire.
Nous avons d’abord eu le plaisir d’entendre le grand baryton
américain Thomas Hampson dans les Quatre Chants sérieux, un des
derniers chefs-d’œuvre de Brahms. Deux semaines plus tard, la
salle Érasme résonnait d’une exécution hors du commun de la 7ème
symphonie de Beethoven par les musiciens de l’OPS et leur chef
Aziz Shokhakimov.

Aziz Shokhakimov ©Jean-Baptiste Millot

Comparée à celle jouée lors de séances d’enregistrement, la musique
donnée durant les concerts publics est toujours susceptible d’être
plus ou moins affectée de petits accrocs et d’infimes accidents
d’exécution. Inhérents à la nature vivante du concert, ces micro-
incidents de parcours n’ont cependant pas tous la même portée, ni la
même signification. Ils résultent parfois d’une interprétation
particulièrement vivante, engagée et pleine de risques pour les
musiciens de l’orchestre comme, par exemple, lors de l’ardente
septième de Beethoven mentionnée plus haut. A d’autres moments,
ils peuvent n’être que l’effet d’une préparation insuffisante ou bien
de la gêne d’un orchestre découvrant l’acoustique d’une salle qui ne
lui est pas habituelle. Sans doute en était-il ainsi pour l’Orchestre
National de Lyon ouvrant son concert du 21 janvier avec un prélude
de Parsifal passablement décousu et peu en place. Par bonheur, tout
s’est rétabli dans l’accompagnement des Quatre chants sérieux de
Brahms, initialement écrits pour le piano et donnés ce soir-là dans
l’excellente transcription orchestrale de Detlev Glanert,
compositeur allemand contemporain. Avec l’âge, la voix de Thomas
Hampson est, comme il se doit, descendue dans le grave, tessiture
d’ailleurs très sollicitée dans le premier des quatre chants. Mais dès
qu’ensuite le ton remonte, on retrouve le magnifique médium, chaud
et coloré tel qu’on l’apprécie depuis toujours dans la voix du baryton.
Bien soutenu par la direction de Nikolaj Szep-Znaider,  nouveau chef
de l’orchestre de Lyon et violoniste de renom par ailleurs, le
dramatisme de cette œuvre tardive de Brahms, dédiée à son ami
sculpteur et peintre Max Klinger, s’avère prenant et poignant.

Pour des raisons probablement sanitaires, l’Orchestre National de
Lyon nous a rendu visite dans un effectif relativement limité, compte
tenu du programme : un peu moins d’une cinquantaine de cordes
pour un total d’environ soixante-dix musiciens. L’effectif s’avère
néanmoins convenir pour une fort belle interprétation de la
septième symphonie de Dvorak, élancée et racée, mettant en relief
la clarté des différents pupitres des vents et le quatuor à cordes, à la
sonorité fine et légère. Soulignons aussi la vivacité de la timbale,
instrument dont on ne dit pas suffisamment l’importance dans la
personnalité sonore d’un orchestre.

Le jeudi 3 février, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg jouait
un programme commençant par deux œuvres contemporaines. Est-
ce le programme ou bien l’épidémie d’omicron, qui avait, à ce point,
réduit le remplissage de la salle Érasme ? Les deux, peut-être…

Con brio, ouverture de concert  d’après Beethoven composée par
Jörg Widmann en 2008 suite à une commande de l’Orchestre de la
Radio bavaroise ne manque en effet ni de brio, ni de couleurs, ni
d’énergie rythmique même si on peine quelque peu à retrouver la
dimension temporelle de la musique du maitre de Bonn. Suivait
Quelques traces dans l’air, concerto pour clarinette et orchestre de
Philippe Hurel écrit tout récemment dans la forme d’un dialogue aux
accents virtuoses entre un clarinettiste solo et ses deux collègues de
l’orchestre qui lui répondent de façon très variée avec un soutien
orchestral épuré, distillant une atmosphère aérienne hédoniste.

Changement d’atmosphère après l’entracte avec la septième
symphonie de Beethoven, jouée avec un effectif de taille moyenne,
bien adapté à l’interprétation (une cinquantaine de cordes pour un
total de 63 musiciens dont des timbales à l’ancienne). Lorsque l’on a
affaire à une grande prestation beethovénienne, comme ce fut le cas
ce soir-là, il est nécessaire de la situer, même brièvement, dans
l’histoire de l’interprétation beethovénienne, riche de tendances, de
controverses et de transformations durant tout le 20ème siècle et
dont les jalons aujourd’hui encore font  référence. Aziz Shokakhimov
aborde cette grande œuvre avec une énergie, une clarté et une
rigueur qui illuminent tout le premier mouvement. Cette option
dynamique, privilégiant le staccato sur la fluidité mélodique et
s’inscrivant globalement dans la lignée des partisans du tempo giusto
dont Arturo Toscanini est l’un des plus illustres représentants,
n’empêche nullement le célèbre allegretto de déployer sa magie et sa
montée  dramatique, sans toutefois viser le caractère poignant voire
apocalyptique de certains tenants de l’approche romantique,
Wilhelm Furtwaengler en tête. La force avec laquelle débute le
troisième mouvement Presto donne à penser que Shokakhimov
intègre aussi quelques accents dits ‘’historiquement informés’’, que
certaines oreilles peuvent juger par trop violents. Il n’empêche que
le magnifique trio sonne avec toute l’ampleur et le cantabile
souhaitables, tout en tenant le tempo. L’allegro finale démarre à une
vitesse phénoménale, ainsi qu’il est arrivé à des chefs comme
Karajan autrefois ou Dudamel aujourd’hui de le faire, en concert
notamment. Dans la coda, l’orchestre entre alors dans un état de
transe, poussé aux limites de ses capacités, qui se révèlent
néanmoins très grandes.

                                                                                              Michel Le Gris

Soupirs et tremblements

Berlioz et Elgar étaient à l’honneur d’un magnifique concert de
l’orchestre philharmonique de Radio France sous la conduite du chef John Eliot Gardiner

© Christophe Abramowitz / Radio France

Il est de ces concerts qu’il fallait voir, un spectacle alliant un grand
chef, un incroyable soliste et un orchestre virevoltant. Certes, avec
une affiche réunissant John Eliot Gardiner, Antoine Tamestit et
Berlioz, le critique ne prenait pas de risques démesurés. Mais de là à
s’attendre à un tel spectacle !

Dès les premières notes, le ton fut donné par le chef. Ce Harold en
Italie était voué à traverser un sabbat dans cette symphonie pour
alto transformée en épopée fantastique. Cherchant son chemin dans
ces vallées italiennes comme dans cet orchestre qu’il arpenta,
l’Harold de Byron trouva en Antoine Tamestit, un interprète à la
mesure du lyrisme et de la poésie émanant des notes commandées à
un Hector Berlioz par un Paganini au seuil de sa mort. En lointain
successeur du génie italien, l’altiste français donna ainsi la pleine
mesure de son jeu si émouvant. Garçon timide avec la harpe, il
devint le soupirant d’un soir avec ces bois transcendés dans cette
sérénade du troisième mouvement qui ne porta jamais aussi bien
son nom grâce aux merveilleux piccolo et hautbois.  

Au sommet de cette avalanche de couleurs descendant des
Abruzzes avec des cuivres brillants comme des ruisseaux
translucides qu’il déclencha, se tenait un roi, à la fois pâtre et Pan.
Une fois de plus, John Eliot Gardiner nous montra que depuis
Charles Munch, jamais on n’avait dirigé le grand Berlioz de si belle
manière. Sa conduite alerte, bondissante, fit littéralement trembler
d’émotions, un public ensorcelé par l’alto de Tamestit lorsque dans le
dernier mouvement, isolant le quatuor et levant les musiciens,
Gardiner nous offrit un final éblouissant.

Parvenu dans la plaine, l’orchestre et son chef reprirent leurs
souffles divins et, se débarrassant peut-être à contre-cœur de leurs
oripeaux berlioziens, ils plongèrent dans la pompe d’un Elgar
envoûté lui-aussi par la Riviera italienne. Avec Alassio (In the South) et
surtout Sospiri, sorte de parenthèse enchantée canalisant un lyrisme
parfois exagéré, l’orchestre philharmonique de Radio France, son
chef et un soliste d’exception ont été, ce soir-là, sur le toit du monde
qui ressemblait, à n’en point douter, à un Olympe musical.

Par Laurent Pfaadt