Archives de catégorie : Opéra

Panique au harem

L’Enlèvement au sérailL’Enlèvement au sérail de Mozart revu et corrigé par Zabou Breitman.
Un triomphe !

Il y a des opéras qui vous marquent pour longtemps. Cet Enlèvement au sérail fut l’un d’eux. Il faut dire que cet opéra de Wolfgang Amadeus Mozart n’était pas revenu sur la scène de l’opéra de Paris depuis 1985. Mésestimé peut-être par rapport aux Noces de Figaro, à Don Giovanni, à Cosi Fan Tutte ou à la Flûte enchantée pour sa dimension frivole – à tort d’ailleurs – l’opéra revient progressivement en grâce depuis plusieurs années.

Dans cette histoire d’européennes prisonnières du Pacha Selim que tentent, après moult aventures rocambolesques, de faire évader nos deux héros, Belmonte, à la recherche de sa belle Konstanze et Pedrillo, esclave en compagnie de Blonde, nombreux ont été ceux depuis plus de deux siècles à voir dans ce Singspiel, l’affrontement entre l’Orient et l’Occident et surtout une succession de bagatelles.

On se rend compte que le caractère peut-être léger et licencieux de l’opéra n’est là que pour délivrer un message qui transcende les civilisations, ce message mozartien qui parcoure ses grands opéras et qui fait de la tolérance une valeur indépassable, au-delà de toute considération religieuse ou politique, et montre combien Mozart fut un homme de son temps, de ces Lumières du XVIIIe siècle.

Dans une mise en scène qui porte dès les premières mesures sa marque, Zabou Breitman a su transporter cette histoire du XVIIIe siècle aux années 20-30 où les Européens, à la manière d’un Lawrence d’Arabie, sont partis à la conquête de cet Orient fantasmé. La comédienne-réalisatrice a ainsi introduit le cinéma, celui de la Hammer production, des danseuses orientales ainsi qu’une véritable chouette pour faire de cet opéra un véritable spectacle. Il faut dire qu’il est servi par des décors orientalisants tout droit sortis des tableaux de Delacroix que l’on doit au regretté Jean-Marc Stehlé qui, avec les jeux de lumière d’André Diot notamment à la fin du premier acte, donnent une atmosphère de palais orientaux prompte à exciter notre imaginaire.

Côté musique, Philippe Jordan conduit parfaitement l’orchestre de l’opéra de Paris dans ce voyage musical. Et sur scène quels talents ! Les hommes brillent aussi bien au niveau des voix que du jeu scénique. La basse Lars Woldt campe un Osmin bouffon merveilleux tandis que Jürgen Maurer a su garder toute la distance qu’il faut pour interpréter ce pacha qui sut, en homme d’Etat, faire preuve de clémence. Paul Schweinester est parfait en Pedrillo mutin mais résolu, gratifiant le public de plusieurs « Arrêêête ! » savoureux. Chez les femmes, le duo Konstanze (Erin Morley remarquable dans l’aria Martern aller Arten) – Blonde (Anna Prohaska) fait des étincelles. La complémentarité est parfaite entre une Konstanze résignée et digne et une Blonde espiègle et insolente. Il faut souligner ici la superbe prestation d’Anna Prohaska qui ne fait que confirmer tout son talent. Sa Blonde est carrément féministe (« Born to be free ! ») et son duo avec Osmin (Acte II, scène 1) restera certainement dans les mémoires du Palais Garnier. Avec cette interprétation de Blonde, on touche à la modernité des personnages féminins chez Mozart.

Tout est beau dans cet Enlèvement au sérail : la musique parfaitement conduite par un chef d’excellence, la mise en scène extrêmement séduisante et les chanteurs qui forment une équipe où les talents s’additionnent. Courez donc voir cet Enlèvement au sérail qui, à n’en point douter, vous marquera à jamais !

Prochaines représentations au Palais Garnier : 21, 24, 26 et 29 janvier, 4, 7, 10, 12 et 15 février 2015

Laurent Pfaadt

Scènes de ménage à l’espagnole

De g. à dr. : Rosine, Bartolo, Almaviva (© Bernard Contant (ONP)
De g. à dr. : Rosine, Bartolo, Almaviva (© Bernard Contant (ONP)

L’Opéra de Paris présentait une nouvelle production haute en couleurs du célèbre opéra de Rossini.

Tout commence assez classiquement. L’ouverture célébrissime du Barbier de Séville composé en 1816, retentit depuis la fosse puis le public applaudit. Les lumières s’éteignent et le rideau s’ouvre. Et là, c’est le choc. Un quartier populaire d’une ville méditerranéenne avec un café donnant sur la rue, une Ford Escort bleue métallique garée là et des vieux en marcel discutant devant des immeubles défraîchis. On se croirait dans un film de Pedro Almodovar, façon Tout sur ma mère et non dans un opéra. Mais lorsque retentissent les premières voix du comte d’Almaviva puis à la scène 3 le fameux air de Figaro « Largo al factotum », on sait que l’on est revenu chez notre bon Rossini.

Décapante autant qu’ingénieuse, cette nouvelle production du Barbier de Séville signé Damiano Michieletto, l’un des metteurs en scène les plus demandés du moment dont les productions ont triomphé à la Scala, au théâtre San Carlo ou à la Fenice conte bien évidemment les amours contrariés du comte d’Almaviva, arrivé incognito à Séville et de la belle Rosina, prisonnière de son tuteur, le terrible docteur Bartolo. Le comte trouvera dans sa quête l’aide du fameux barbier de Séville, Figaro, séducteur et vénal.

Avec ses décors soignés qui va jusqu’à la bière San Miguel ou le journal El Pais, la transposition de cette histoire du XVIIIe siècle au monde moderne s’opère quasi instantanément avec une alchimie qui ravit aussi bien les novices que les amoureux de l’opéra, donnant ainsi une seconde jeunesse à cette oeuvre et montrant à quel point cette histoire, qui peut paraître un peu fleur bleue, conserve toute sa fraîcheur. « Les oeuvres de Rossini (…) nous parlent de notre monde et il faut aller puiser dans notre quotidien les moyens de raconter ses histoires » estime Damiano Michieletto.

Le chef Carlo Montanaro, grand spécialiste de l’opéra italien, apporte à ce spectacle la touche musicale nécessaire au triomphe. Il a su faire résonner dans ce « tube » de l’opéra bouffe, les grands airs et mélodies rossiniens tout en maintenant l’équilibre sonore nécessaire avec les chanteurs en évitant que le crescendo ne couvre les voix.

Cette superbe mise en scène est desservie par des voix remarquables alliées à des jeux scéniques parfaits. De l’ado Rosina (Karine Deshayes, magnifique dans la cavatine) au truculent Figaro (Dalibor Jenis) n’hésitant pas à jouer de la guitare manouche, la distribution aligne des rôles secondaires de très grande qualité comme la basse Carlo Lepore qui a étudié auprès du regretté Carlo Bergonzi (excusez du peu !), en formidable Bartolo, la mezzo-soprano roumaine Cornelia Oncioiu, parfaite en ménagère en bigoudis ou Basilio (Orlin Anastassov) qui campe un fonctionnaire zêlé impeccable dans l’air de la calomnie. Même les figurants et les membres du choeur ont joué leurs partitions à merveille.

Par son extravagance et son humour, ce Barbier de Séville aurait certainement ravi Beaumarchais. On applaudit souvent, on rit régulièrement. Mais surtout, en sortant de la salle, on comprend mieux pourquoi cet opéra demeure immortel et traverse toujours avec le même succès les époques et les générations.

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1012, novembre 2014