Premier concert de la saison OPS

Beau programme lors de l’ouverture de la saison de l’OPS : outre l’amitié profonde et les liens de parenté qui les unissaient, Franz Liszt et Richard Wagner se seront, l’un et l’autre, présentés, dans la seconde moitié du 19e siècle, comme les promoteurs de la musique de l’avenir. Le jeudi 7 septembre, nous pûmes entendre le second concerto pour piano de Liszt donné par le pianiste russo-américain Kirill Gerstein et le Ring sans paroles de Richard Wagner, l’orchestre étant, pour les deux œuvres, dirigé par son chef Aziz Shokhakimov.


Ring sans paroles
© Grégory Massat

Écrit d’un seul tenant, le second concerto de Liszt offre ainsi l’allure d’un poème symphonique pour piano et orchestre. Quant au Ring sans paroles, il s’agit d’un arrangement dû au  chef d’orchestre et compositeur Lorin Maazel qui, en 1987, puisa dans le matériau sonore des quatre opéras de l’ Anneau du Nibelung de Richard Wagner, de quoi composer, là aussi, un grand poème symphonique d’une durée de quatre vingt minutes. La tétralogie de Wagner, sous sa forme opératique, dure quant à elle au moins quinze heures. Maazel la connaissait, c’est le cas de le dire, sur le bout des doigts puisqu’il lui arriva de la diriger par cœur (!) au festival de Bayreuth, où les opéras de Wagner sont, chaque été, donnés de manière rituelle dans le théâtre que lui construisit le jeune roi Louis II de Bavière. Rédigé par le compositeur lui-même, le livret du Ring est inspiré de la mythologie germanique et nordique. Il raconte les réactions en chaîne résultant du vol de l’or des filles du Rhin par le gnome Alberich. Véritable allégorie sur l’effondrement de la société et du  pouvoir, il peut se lire comme une critique de la civilisation marchande d’inspiration socialisante, matinée au demeurant de quelques touches d’un antisémitisme, courant à l’époque. De ce gigantesque ouvrage, Maazel a tiré une belle partition où les voix sont, le cas échéant, remplacées par des solos de bois ou de cuivres. C’est notamment le cas lors de l’entrée des dieux au Vahlalla, fort réussie, quand le trombone solo remplace la voix de Loge, nouant un très beau dialogue avec les cors. La première moitié de l’œuvre, puisant dans les deux premiers opéras, L’Or du Rhin et La Walkyrie, est particulièrement prenante, faisant preuve d’imagination et d’imprévu dans l’enchainement des fragments. Une fois passés les murmures de la forêt, tirés du troisième opéra Siegfried, toute la partie extraite du dernier volet Le Crépuscule des dieux sonne en revanche de manière bien plus conventionnelle, se contentant d’enchainer les parties symphoniques bien connues que sont le voyage de Siegfried sur le Rhin, la marche funèbre et l’incendie du Vahlalla. On regrette notamment que les belles parties méditatives du second acte du Crépuscule ou de la scène finale du troisième acte n’aient pas été retenues par Maazel : elles auraient constitué une salutaire accalmie sonore dans une dernière demi-heure où l’on joue forte presque tout le temps.

Toujours est-il que cette partition, souvent exigeante pour l’orchestre, aura montré celui-ci en très bonne forme : le bref mais difficile fragment de la chevauchée des walkyries témoigne, à lui tout seul, du niveau de l’orchestre que nous avons la chance d’avoir. L’interprétation d’Aziz Shokhakimov mit l’accent sur le dramatisme puissant de l’œuvre, de façon judicieuse même si on eût parfois aimé un peu plus de fluidité, comme au début de L’Or du Rhin, ou de lyrisme, lors des adieux  de Brünhilde et de Wotan.

Le concert avait donc débuté avec le second concerto pour piano et orchestre de Liszt, sûrement une de ses meilleures œuvres. La partie médiane est d’une grande beauté contemplative. Mais ce furent surtout les aspects tourmentés du début et ceux, combatifs et héroïques, de la fin qui ressortirent sous les doigts de Kirill Gerstein. Chef et orchestre se sont accordés avec le piano. Abordé ainsi, il émane de ce concerto un climat anticipant quelque peu ceux de Prokoviev.

                                                                                   Michel Le Gris