La culture à Abu Dhabi, une histoire sans fin

Création littéraire, quartier des musées, musique, la capitale des Emirats Arabes Unis a investi tous les fronts culturels

La réalité a fini par se confondre avec la fiction. Si la récente foire internationale du livre d’Abu Dhabi a pris comme slogan le titre du célèbre film de Wolfgang Petersen, celui-ci n’a jamais été aussi actuel qu’à Abu Dhabi tant la capitale des Emirats Arabes Unis a fait de la culture son soft power sur la scène internationale. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix : la volonté originelle du père fondateur du pays, le Sheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan (1918-2004) qui a très tôt compris que savoir et éducation constitueraient les moteurs du développement de son jeune pays – les UAE sont officiellement nés en 1971 – mais également la position stratégique de ce dernier, entre Occident et Asie, et placé au carrefour des religions et des cultures. Comme le rappelle le Dr Ali bin Tamim, Secrétaire Général du Sheikh Zayed Book Award et président de l’Arabic Center Language « ce soft power est une bonne chose tant qu’il amène les gens et les cultures à dialoguer, tant qu’il ouvre la voie au rapprochement entre les gens. Les Emirats Arabes Unis constituent l’exemple même de cette vision. Regardez tous ces monuments comme la Grande mosquée Sheikh Zayed, la Maison abrahamique, le Louvre Abu Dhabi, les universités de la Sorbonne et de New York qui ont ainsi construit des ponts culturels ».


Le livre constitue bien évidemment l’un des axes forts de ce développement. L’Abu Dhabi International Book Fair a ainsi réunit pendant près d’une semaine en mai dernier tout ce que le monde arabe compte d’éditeurs, du Maroc à l’Irak en passant par l’Arabie Saoudite et l’Egypte. C’est d’ailleurs une maison d’édition égyptienne, El Aïn, qui édita entre autres plusieurs vainqueurs de International Prize for Arabic Fiction qui fut sacrée cette année par le Sheikh Zayed Book Award devenu au fil de ses dix-sept éditions, à la fois la consécration littéraire de tout intellectuel du monde arabe et un formidable vecteur de diffusion de la langue arabe. Saïd Khatibi, vainqueur du prix dans la catégorie jeune auteur abonde dans ce sens : « je suis très fier d’obtenir ce prix et d’inscrire mon nom à côté de celui d’Amin Maalouf et d’écrivains arabes renommés. Mais ce prix n’est pas que pour moi mais également pour la jeune génération d’écrivains algériens ».

Si ce prix traduit une volonté de défendre la langue arabe face à l’anglais, il souhaite également « encourager les jeunes auteurs, notamment les femmes » assure de son côté Jürgen Boss, président de la foire internationale de Francfort où tout se décide dans l’industrie mondiale du livre et dont la présence à Abu Dhabi et au sein du comité scientifique du Zayed Book Award, légitime à la fois la place prise par une foire qui, chaque année, prend de l’ampleur mais également vient conforter la capitale des Emirats Arabes Unis comme l’un des hauts lieux du livre sur la scène internationale et plus particulièrement dans cette partie du monde.

Pour se convaincre définitivement de l’importance accordée à la culture, il suffit de prendre un taxi et de se rendre dans le quartier des musées dans le district d’Al Saadiyat traversé par une avenue…Jacques Chirac. Ici, à côté de l’extraordinaire réussite du Louvre Abu Dhabi qui a comptabilisé fin 2022, 3,7 millions de visiteurs en cinq ans, se dressent d’innombrables grues qui bâtissent les institutions culturelles de demain : le musée d’histoire naturelle, le Zayed National Museum épousant les ailes d’un faucon et doté d’un système de ventilation révolutionnaire – les Emirats arabes Unis qui accueilleront la COP 28 fin novembre 2023 ont très tôt inscrits leurs actions créatrices dans le développement durable – ou le Guggenheim Museum signés par les plus grands noms de l’architecture comme Norman Foster ou Frank Gehry. Et à l’image de cette salle du Louvre réunissant les textes sacrés des trois religions monothéistes, les Emirats Arabes Unis, signataires des accords d’Abraham avec Israël en 2020, ont inauguré en février 2023 la Maison abrahamique, lieu syncrétique qui voit se côtoyer église, synagogue et mosquée.

Les Emirats Arabes Unis n’en oublient pas pour autant les autres champs de la culture et notamment la musique. Lieu d’un festival de musique renommé et présidée par Huda Alkhamis-Kanoo qui accueillit cet année Juan Diego Florez ou le compositeur Tan Dun et d’une salle de concert, l’Etihad Arena, désormais passage obligé des tournées internationales d’artistes du monde entier comme les Guns and Roses ou la star égyptienne Amr Diab, Abu Dhabi voit ainsi se croiser sur son sol les cultures et les esthétiques de l’Ouest et du monde arabe. La célébration, cette année, du compositeur et pianiste égyptien Omar Khairat en tant que personnalité culturelle de l’année du Zayed Book Award est ainsi emblématique de cette volonté de construire des ponts culturels entre Occident et monde arabe. L’artiste égyptien élabora ainsi une œuvre où se mêlent musique orchestrale classique et mélodies orientales composant ainsi la bande originale d’une histoire qui non seulement n’est pas prête de s’arrêter mais est en marche.

Par Laurent Pfaadt