Musica 2O23 1ère période

Parcourir Musica, c’est prendre le temps de s’arrêter sur quelques grands moments qui témoignent de la richesse et de la diversité d’une programmation prolixe en propositions.


L’entrée dans le Festival en témoigne avec les prestations de l’Ensemble néerlandais Arko-Shoenberg qui a présenté dans une première partie « Les Vespers for a New Dark Age » de Missy Mazzoli avec trois magnifiques chanteuses, trois sopranos  qui nous entraînent dans ce parcours aux accents  pleins de spiritualité auxquels elles confèrent beaucoup de sensibilité alternant à l’instar des instruments qui les accompagnent, l’alto, la contrebasse, les claviers et la batterie la puissance et la finesse de la partition musicale.

La deuxième partie de la soirée offre de Louis Andriessen une oeuvre très originale « Hoketus » composée en1976 pour deux ensembles de cinq musiciens, aux claviers, bongos, saxo, flûtes de Pan qui se livrent à une sorte de jeu de répétition, comme de rivalité, une battle, en  produisant des sons de plus en plus forts et martelés , obligeant l’autre groupe à les imiter sans vergogne. Un moment musical performatif et spectaculaire. Avant une troisième partie qui ne le sera pas moins avec ce « Clipping » qui a donné son nom au spectacle et nous met en demeure de suivre la prestation d’un chanteur dont le débit de paroles est époustouflant, véritable MC(Maître de cérémonie) Daveed Diggs galvanise le public soutenu dans cette performance par les musiciens   William Hutson et Jonathan Snipes qui lancent  depuis leur table de mixage les sons électroniques qui impulsent les acclamations du public et lui procurent une irrésistible envie de danser.

La Laiterie était comme en fête lors de cette ouverture du Festival dans cette chaude ambiance où l’enthousiasme de tous était manifeste.

C’est lors du concert « Nightmare »  au Temple Neuf que nous rencontrons pour la première fois à Musica le compositeur américain Ted Hearne  avec »Nobody »  programmé par le  collectif lovemusic basé à Strasbourg qui a choisi d’interpréter également  les compositions de l’islandaise Bàra Gisladottir, « Rage against reply guy », de Natacha Diels »Second nightmare for KIKU »,de Christopher Cerrone »The Night Mare », de Andreas Eduardo Frank « Munster » et d’Helmut Oering »Inferno ». Pour ces jeunes compositeurs, mis à part Oering, lus âgé, les titres de leur composition en disent long sur leur implication dans ce projet de mettre en musique une certaine idée du cauchemar., d’ailleurs leur composition respective n’ont pas manqué  de nous faire vivre des instants  de sons frénétiques suivis de grande respiration puis de reprises de thèmes enregistrés. Musique théâtralisée aussi avec voix enregistrées où la gestuelle prend sa place tout comme les cris et vociférations. Concert où les interprètes de l’ensemble lovemusic  ont montré la pleine mesure de leur talent, et de leur virtuosité.

C’est dimanche que nous avions rendez-vous à L’Opéra du Rhin pour la création de « Don Giovanni aux enfers », spectacle d’une grande originalité autant dans son propos que dans sa réalisation. En effet le compositeur, metteur en scène et vidéaste danois Simon Steen-Andersen a répondu à une commande de l’Opéra national du Rhin et du Festival Musica en s’attaquant au grand mythe de Don Juan tout en inscrivant l’histoire du célèbre personnage dans le temps, pour nous inconnu, de son séjour aux enfers  après son non moins célèbre  diner avec le commandeur  et son refus de se repentir. Son périple dans les enfers va donner lieu à une cascade d’aventures où on le suivra grâce à la vidéo, déambulant dans les couloirs de l’Opéra e jusque dans les sous-sols du bâtiment. Où est Don Juan se demande-t-on par moments ? Précédé, guidé, entraîné par un personnage maléfique ce Polystophélés créé par l’auteur, avatar du bien connu Méphisto, Don Juan doit faire face à toutes sortes de situations et de rencontres qui s’avèrent être de nombreux personnages figurant dans des œuvres opératiques ou littéraires. Le scénario se met ainsi en place par références, collages et montage, parfois surprenants, déroutants, proches de la dérision. Et pour faire advenir tout cela la scénographie se doit d’être à la hauteur. L’on voit donc surgir des installations, de petits praticables mobiles introduisant saynètes et protagonistes tandis qu’autour se rassemblent les témoins, choristes grimés, affublés de tenues grotesques, sortes de pantins, mais, avant tout, chanteurs du chœur de l’Opéra, pleins d’allant et de complicité pour accompagner ces situations farfelues. (Chef de chœur Henrik Haas).

A l’instar des personnages empruntés à différentes œuvres, la musique est aussi faite de citations habilement juxtaposées ou mises en perspective et savamment agencées.

L’orchestre philarmonique de Strasbourg sous la direction du jeune chef polonais Bassem Akiki se plie avec bonheur aux injonctions de ce collage fantasque et drôle comme le fait également  dans son intervention l’ensemble Ictus.

Les chanteurs ont le grand mérite d’endosser plusieurs rôles, ainsi la soprano Sandrine Buendia l sera entre autres, une Ombre, Francesca …Ja mezzo -soprano Julia Deit –Ferrand sera Dona Elvira Eurydice… le ténor François Rougier sera Dante, Faust… le baryton Christophe Gay est Don Giovanni, Orphée …Damien Pass fait  le commandeur et Polystophélès.  et Geoffroy,  Buffiere  Leporello Charon.. tous de s’y impliquant résolument.

Une œuvre foisonnante qu’on taxera de déroutante et audacieuse comme Musica aime à en susciter la création.

Ce même dimanche un concert d’un tout autre genre nous attendait à l’Espace Django. Intitulé La musique au pied du mur » c’est une rencontre avec des musicien-nes et danseur-ses venus de Palestine à l’initiative d’un fidèle de Musica, Alain Harster, dans le cadre des concerts programmés par le public. Fidèle ami et soutien de ce peuple colonisé lui qui se rend depuis 20 ans dans le camp de réfugiés dAida à Bethléem tenait à donner à ces jeunes gens  la possibilité de faire ce voyage, une opportunité pour eux  de sortir du camp où ils sont enfermés et d’exprimer leurs talents de musiciens, de chanteurs et de danseurs.

Ce fut une rencontre très chaleureuse avec un public acquis de longue date à la cause palestinienne et qui a incontestablement été conquis par leurs prestations.

La première partie était assurée par le groupe In’EKass composé de musiciens-nes et d’une magnifique chanteuse animée d’une grande ferveur dans son récital de chansons engagées dont l’une, nous explique la joueuse d’oud Rwaida, s’appelle « La balle » et traduit l’émotion de ceux qui voient mourir un des leurs au cours de ce conflit causé par l’occupation de la Palestine par Israël.

La deuxième partie de la soirée était consacrée à la danse, au DABKEH, une danse folklorique très pratiquée en Palestine, ici exécutée avec virtuosité et enthousiasme par les danseur-ses de l’Association Alrowwad, superbes et fiers dans leurs superbes costumes blancs qui donnent toute leur prestance et la grâce à leurs envolées sur scène.

Une soirée témoignage pour admirer et soutenir ces jeunes artistes brillants et déterminés à vivre  malgré les murs dressés autour d’eux.

Cette première période du Festival a été très suivie et très appréciée.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Nouvelle saison, Maillon Strasbourg 2023/2024

Comme à l’accoutumée, elle sera extra riche en propositions diverses et variées toutes tournées vers une solide qualité artistique, toutes propices à nous conduire vers un approfondissement de notre réflexion sur le monde et à faire voyager notre imaginaire.


Nous retrouverons des artistes déjà présents au Maillon, comme la polonaise Marta Gornicka et son chant choral, Phlippe Quesne, Martin Zimmermann, Tabea Martin, Gisèle Vienne, Jonathan Capdevielle, Camille Dagen et le groupe Animal Architecte, Boris Charmatz, Marion Siéfert, le groupe « Berlin », François Gremaud  se rappeler son excellent « Giselle », Alexander Vantournhout

Ainsi se succéderont spectacles de théâtre, de danse, de musique de cirque et pour les donner à connaître par genre nous commencerons par la musique puisque la saison s’ouvre en collaboration avec le Festival Musica qui se déroule du 15 septembre au 1er octobre dans différents lieux avec trois spectacles :

« Queen of Hearts » qui évoque, la Princesse de Galles, Lady Di, son interview à la BBC dans une pièce musicale signée Jannick Giger avec instrumentistes et la voix de la soprano Sarah Maria Sun.

« Place » de Ted Hearn qui est un oratorio engagé venu des Etats-Unis.

« Dompter les Rivières» une création coproduite par Le Maillon de l’autrice Lucie Taieb qui évoque le quartier du Wacken, ses mutations et entre autres un épisode au moment de l’exposition coloniale de 1924.

Puis nous retrouverons dans « Mothers a song for wartime » la vigueur et l’engagement de la polonaise Martha Gornicka dans ce chant choral qui s’insurge contre la guerre.

A inscrire dans les spectacles proprement musicaux « Carmen » de François Gremaud qui nous avait enchanté avec « Giselle »

En abordant les pièces théâtrales, remarquons qu’elles sont nombreuses, avec pour certaines le nom connu de leur concepteur.

Philippe Quesne pour « Le jardin des délices » (se rappeler « La nuit des taupes ») s’inspire de l’œuvre de Jérôme Bosch pour nous entraîner dans un monde où l’imaginaire et la réflexion collaborent étroitement

Jonathan Capdevielle après « Rémi » en 2022 présente « Caligula » d’après Albert Camus, une lecture de l’œuvre en deux versions accompagnées de musique et de danse.

Krystian Lupa, le célèbre metteur en scène polonais revient avec « Les émigrants » une mise en scène exceptionnelle d’une durée de 4 heures d’un texte de W. G.Sebald,un auteur de la fin du XXème siècle qui montre les  conséquences dramatiques des persécutions nazies sur ceux qu’elles ont contraints à l’exil.

Camille Dagen , après « Bandes » en 2020 présente avec  le groupe  Animal Architecte « Les forces vives » d’après « Les mémoires d’une jeune fille rangée », « La force de l’âge », « La force des choses » de Simone de Beauvoir.

Notons la présence de la jeune scène européenne avec « Sauvez Bâtard », première mise en scène de Thymios Fountas sur des figures d’anti-héros.

Reprise du spectacle « La taïga court, première cérémonie » mise en scène par Antoine Hespel dont c’était le travail de sortie de l’Ecole du TNS sur un texte de Sonia Chambretto, un regard sur l’avenir incertain du monde.

« Mi vida en transito » met en scène la correspondance de deux jeunes artistes, l’un Elvio a dû rejoindre l’Argentine pendant que son ami Savino qu’il a connu en Suisse demeure encore dans ce pays.

Signalons deux spectacles de théâtre participatif mis en scène par Olivier Letellier des « Tréteaux de France » à voir en famille ou en séances scolaires : « les règles du jeu » et « La mare aux sorcières »

Un petit tour au Moyen-âge avec « Péplum médiéval »

Un regard sur les enfants avec « J’ai une épée « de Léa Drouet

Une dénonciation des violences sexuelles par la brésilienne Carolina Bianchi et sa Cie Cara de Cavalo : « La mariée » et « Bonne nuit Cendrillon ».

Des échanges de lettres entre femmes emprisonnées par Markus et Markus theaterkollektiv, des témoignages sur des vies bousculées dans « Die Brieffreundschaft »

La mise en scène de Marion Siéfert pour « Daddy « est innovante puisqu’elle propose de représenter une sorte de jeu en ligne pour dénoncer la marchandisation des corps.

Un conte moderne de Métilde Weyergans et Samuel Hercule 4’7/00 de liberté qui raconte comment  un nouvel arrivant  peut bousculer la vie la mieux réglée.

Le groupe « Berlin » présente sur le mode théâtre filmique une sorte d’enquête sur un régisseur d’orchestre durant la Seconde guerre mondiale

De très belles propositions de danse viennent enrichir cette programmation. Elles sont signées

Martin Zimmermann pour une « Danse macabre » dans laquelle se mêlent danse, cirque et théâtre

Tabea Martin  qui met en scène et en danse le problème majeur de l’exclusion dans « Geh nicht in den wald,im wald ist der wald ».

Gisèle Vienne, une grande habituée du Maillon qui se positionne aussi sur le registre de la danse et du théâtre dans « Extra life » pour évoquer les retrouvailles d’un frère et d’une sœur après une longue séparation.

 Avec « Les Chercheurs » du collectif « La fleur » nous découvrons sept danseur-euses venus d’Afrique qui montrent avec virtuosité leur façon de surmonter les obstacles qui apparaissent dans leur nouvel environnement.

Présenté avec Pôle-Sud le Maillon invite l’illustre chorégraphe Boris Charmatz  qui a conçu pour 22 danseurs et danseuses le spectacle « 10000 gestes », une performance qui se déploie sur les notes du « Requiem » de Mozart

Egalement avec Pôle-Sud Trajal Harrell du Shaauspielhaus de Zurich offre dans « The Köln concert » une prestation originale sur une musique de Keith Jarrett.

Moment particulier, celui qui évoque avec 10 interprètes sous la direction de Nolween Peterschmitt la fièvre de danse qui s’empara de la ville de Strasbourg en 1518.

Quant au cirque que la programmation n’oublie pas, nous retiendrons « Pli » de Viktor Cernicky qui est la rencontre surprenante entre un homme et 22 chaises .

« 23 fragments de ces derniers jours » de la brésilienne Maroussia Diaz Verbèke avec  trois  interprètes brésiliens du collectif « Instrumento de ver » » et trois français de la Cie « Le Troisème cirque », tous faisant preuve de multiples talents.

En fin de saison, Alexander Vanthorhout qui sait déjouer les codes avec humour et virtuosité amènera une programmation faisant la part belle à la danse et au cirque. Ce sera  « Through the grapevine », « Vanthorhout » et « Foreshadow ».

Nous avons devant nous les promesses de grands moments de découvertes et s’ouvrent ainsi de multiples chemins à parcourir pour enrichir notre réflexion et y prendre plaisir.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope