Banel et Adama

Un film de Ramata-Toulaye Sy

C’est la première fois qu’un premier long métrage est en compétition pour la prestigieuse palme cannoise. Tourné en langue peule dans le Fouta-Toro au Sénégal, avec des acteurs non professionnels, le film est remarquable par sa photographie, avec un sujet âpre – une histoire d’amour folle – et un personnage féminin qui ne l’est pas moins. Banel et Adama est un film qui ne laisse pas indifférent.


© TANDEM

Elle dit qu’il y a beaucoup d’elle dans son personnage féminin. Etonnante déclaration à voir et à rencontrer la gracile et douce Ramata-Toulaye Sy. Cependant, ses références littéraires sont un signe. Cent ans de solitude de Garcia Marquez et les romans de Toni Morrison, la Tragédie sont des phares pour celle qui obtenu son diplôme de scénariste à l’école de la Fémis, pépinière des talents qui font le cinéma français. Elle est passée à la réalisation. Après Astel, un court métrage déjà remarqué, la voici dans la cour des grands.

Banel répète comme un mantra « Banel et Adama » et remplit des pages et des pages de ces deux prénoms qui côte-à-côte ne font qu’un. Dans ce village du nord du Sénégal où les traditions sont tenaces, leur couple dérange. L’amour que porte Banel à Adma est si puissant qu’elle ne veut pas d’un enfant qui briserait leur relation fusionnelle comme elle ne veut pas qu’il devienne chef alors que son temps est venu. Elle veut Adama entièrement et exclusivement à elle et garder les troupeaux avec lui, ne pas aider sa belle-mère dans les tâches domestiques féminines, ne pas retrouver son homme que la nuit et comme tous les couples du village, ne rien avoir à se dire. Mais la réalité va rattraper son idéal d’amour et elle n’aura de cesse de tendre vers un absolu. Mon film est sur « comment on trouve son individualité au sein d’une communauté qu’on ne peut rejeter » dit Ramata-Toulaye Sy qui a choisi le réalisme magique pour raconter son histoire.

La nature prend ses droits sur le village et la sècheresse s’installe, décimant les troupeaux de vaches, tuant les plus fragiles, vieillards et enfants. Banel n’est que colère et violence, une Médée (selon la réalisatrice) maniant sa fronde contre oiseaux et lézards, si fâchée que son Adama soit occupé toute la journée à garder les vaches loin du village. Son personnage border line sort des sentiers battus et si c’est un film sur la femme africaine, il trouve alors une émancipation originale à mesure du cataclysme qui s’empare du village. Avec son titre répété à l’envie par son héroïne, Banel et Adam relève du conte qu’un griot pourrait raconter un jour, quand la pluie reviendrait et laverait le village de la malédiction, arroserait les tombes. Sage avant l’heure, un enfant avec un calame et un grand cahier dévisage Banel et cette femme, qui n’a peur de rien, s’en inquiète. Lit-il dans ses pensées ? A moins que son destin s’écrive sous sa plume.

Banel et Adama est un conte tragique. Les maisons sont des tombeaux et les oiseaux fondent sur le village en un nuage de mauvais augure tandis que le vent souffle et assèche tout. Le paysage reflète l’état émotionnel de Banel et le film impressionne par ses images que l’on doit à Amine Berrada qui avait signé également l’image des Meutes de Kamal Lazraq. Si Banel et Adama nous a tant plu, c’est pour sa photographie, son esthétique, sa couleur saturée mais convainc moins par son personnage de Banel, si peu attachant, et dont on ne croit pas à l’amour qu’elle porte à Adama. Un comble !

Elsa Nagel

Vampire weekend

Dans son nouveau roman, l’auteure roumaine Dana Grigorcea nous offre une formidable variation du mythe de Dracula

Cela ne devait être qu’un retour au pays auprès de cette tante Margot qui contribua à façonner, dans cette vieille bâtisse au charme suranné, ses souvenirs d’enfance. Cela se transforma en un voyage fantastique dans les légendes transylvaniennes et plus particulièrement dans celle du roumain ou plutôt devrait-on dire du valaque le plus célèbre de l’histoire, le comte Vlad Dracul dit l’Empaleur, ce noble du XVe siècle qui lutta contre les Turcs dans ces contrées obscures aux forêts brumeuses et aux chemins escarpés.


Celui qu’emprunte notre artiste peintre venue de la ville ne s’éleva pas sur les flancs de cette colline où périt Diana, première victime de ce roman à la trame romanesque tendue comme un arc mais descendit plutôt dans une sorte de tombeau littéraire où le lecteur manque progressivement de souffle et avale les pages sans s’arrêter afin d’happer un peu d’air comme on cherche son salut.

Quand notre héroïne est-elle devenue un vampire ? On ne s’en souvient déjà plus. Peut-être durant cette nuit où elle croisa celui dont elle ne dit jamais le nom, celui dont on se demande s’il est réel après tout. Le doute, voilà la grande réussite du roman qui a reçu le prix suisse de littérature en 2022. Celui qu’instille Dana Grigorcea comme un sang contaminé qui se répand dans la société post-communiste roumaine et nous fait hésiter en permanence entre rêve et réalité, entre mythe et vie réelle avec des allers retours incessants avec l’Histoire pour démythifier le personnage de l’Empaleur et de revivifier avec talent son mythe dans une époque post communiste qui souhaite en construire un autre, mercantile celui-là.

Car les boyards qui ont trahi Vlad Dracul ne sont pas morts et il revient à notre héroïne devenue sa descendante de châtier leurs héritiers. L’histoire est un éternel recommencement a dit un grand historien antique. Les vampires, eux, l’ont compris mieux que quiconque car, à l’inverse des mortels, ils ont le temps pour eux. Et à la manière des variations Goldberg, Dana Grigorcea joue avec talent de cette partition littéraire. Il y a indiscutablement du Bram Stoker, ce Bach du gothique dans ces lignes, dans cet amour d’outre-tombe pour Ecaterina et ses petits souliers que Dana Grigorcea agrémente de quelques touches qui font penser à Anne Rice.

Plus qu’une copie, ce roman est assurément un tableau de maître. Le Caravage des vampires a trouvé son Artemisia Gentileschi.

Par Laurent Pfaadt

Dana Grigorcea, Ceux qui ne meurent jamais, traduit de l’allemand par Elisabeth Landes
Les Argonautes, 276 p.

Bible mécanique (rouge)

Un ouvrage passionnant revient sur l’histoire de Ferrari en Formule 1

On pourrait presque parler de petit livre rouge non pas en raison de son poids mais bien à cause de son contenu qui ressemble pour celui qui le possède à une religion, à une idéologie. Car on entre dans la Scuderia comme on entre en religion. A la veille du Grand Prix de Monza en Italie, rendez-vous immanquable pour tous les tifosis de la planète qui prient saints et vierges pour voir leurs voitures rouges remporter la course, il semble indispensable de se plonger dans le livre de Peter Nygaard. L’expert danois, auteur d’un magistral Formule 1 chez Glénat (2022) nous emmène ainsi dans l’histoire et les coulisses de la marque au cheval cabré. De l’aveu même des officiels d’une écurie qui, cette saison, associe deux champions en devenir, le monégasque Charles Leclerc et l’espagnol Carlos Sainz Jr, ce livre demeure la référence.


A chaque page se dessinent exploits et héros qui ont façonné non seulement l’histoire de la marque mais également l’histoire de la Formule 1. D’Alberto Ascari à Michael Schumacher en passant par Niki Lauda, Alain Prost, Didier Pironi ou Sébastien Vettel, l’auteur, sur près de 500 pages, convoque ainsi archives, photographies et documents personnels pour nous relater ces seize titres constructeurs, ces 242 victoires et ces 800 podiums.

Dans toutes histoires d’amour, il y a des hauts et des bas. Et derrière les titres glanés, Peter Nygaard n’occulte nullement les années noires, les querelles entre pilotes, les problèmes techniques, les morts de Lorenzo Bandini et de Gilles Villeneuve, martyrs rouges encore vénérés aujourd’hui. Au final, ce livre magnifique est un véritable roman avec ses héros et ses histoires incroyables comme celle, il y a tout juste trente-cinq ans, du formidable doublé de Gerhard Berger et de Michele Alboreto à Monza.

Dimanche, ils seront des milliers à rêver à nouveau d’un tel exploit.

Par Laurent Pfaadt

Peter Nygaard, Ferrari en Formule 1, édition anniversaire 50 ans
Aux éditions Glénat