Archives de catégorie : Lecture

Le livre à emmener à la plage

Timur Vermes, Il est de retour
Chez Belfond
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Et si Hitler revenait ? C’est l’hypothèse un peu folle de cet OVNI littéraire qui a déjà rencontré un grand succès outre-Rhin (1,5 millions d’exemplaires vendus). Après 70 ans de silence, le Führer se réveille en pleine Allemagne du XXIe siècle avec comble du malheur pour le dictateur le plus honni de l’histoire de l’humanité, une femme à la tête de sa belle patrie ! Passé le moment de surprise et le temps de réadaptation au monde moderne, Hitler, pris pour un imitateur, se lance une nouvelle fois à l’assaut du pouvoir.

Fable moderne, Il est de retour cultive le burlesque en même temps qu’il délivre des leçons sur la manipulation des masses via les médias. Car le Führer, qui contrôla à merveille entre 1933 et 1945 les journaux et instaura une propagande que d’autres copièrent, se coule parfaitement de ce nouveau monde de l’information, distillant entre conférences de presse et shows télévisés ses théories sous la forme d’un Mein Kampf interactif.

On rit à chaque page notamment lorsqu’Hitler caricaturé à souhait par l’auteur peste contre ses généraux, Goering surnommé « le Gros » ou contre Bormann son secrétaire. On rit moins devant la facilité de persuasion et de pénétration des idées du Führer. Arrivé à la fin de l’ouvrage, on se demande : « Et si cela recommençait ? ». Alors là, on ne rit plus.


Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1009, juillet 2014

Les ombres de la Pax Americana

Plusieurs ouvrages reviennent sur les déboires et les perspectives de la politique étrangère américaine.

obama

Un uppercut. C’est ce que l’on ressent à la lecture de cette nouvelle enquête extrêmement fouillée, ce livre coup de poing de Jérémy Scahill, journaliste qui nous avait déjà impressionné avec son ouvrage sur la société de sécurité Blackwater.

Avec Scahill, le lecteur est embarqué dans un voyage vertigineux, du sommet à la base de cette politique étrangère américaine, du Proche-Orient aux capitales occidentales, des ruelles mortelles de Badgad ou de Sanaa aux salons feutrés du Pentagone, avec ses répercussions mondiales sur l’ensemble des sociétés. Cet extraordinaire travail d’investigation nous emmène de la décision à l’exécution, des plans d’élimination aux voyages en drone. Les enquêtes parfois périlleuses de Scahill sur le terrain permettent de comprendre comment l’idéologie se traduit à tort ou à raison en meurtres, en éliminations et souvent en bavures.

Le journaliste de The Nation donne ainsi la parole à ces hommes, ces femmes que l’on range souvent dans la case « dommages collatéraux », ces victimes innocentes d’une guerre qui n’est pas la leur mais qui la devienne malgré eux et en fait des combattants redoutables et des terroristes convaincus.

Petit à petit, comme dans un thriller, les pièces disparates d’un conflit planétaire et au demeurant sans rapport entre elles s’assemblent pour devenir les rouages d’une seule et même mécanique, d’un unique engrenage concerté et décidé.

Evidemment, la critique des années Bush (2001-2009) est omniprésente avec les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak et son imposition stupide de la démocratie au Moyen-Orient. Mais Jérémy Schahill éreinte également son successeur Barack Obama. « Au moment où Obama rentre d’Oslo avec son prix Nobel en poche, son administration s’apprête à lancer une nouvelle guerre secrète et à inaugurer une nouvelle ère de la politique étrangère américaine, fondée sur l’expansion de son programme planétaire d’assassinats ciblés » écrit ainsi Jérémy Scahill.

L’ouvrage dresse également une formidable galerie de portraits de responsables politiques et militaires ou de terroristes (le général Stanley Mc Chrystal surnommé le « Pape », le terroriste Anwar Al-Awlaki, ou Raymond Davis dont l’affaire en 2011 marqua l’actualité) permettant de les restituer dans ce vaste contexte entourant cette guerre contre le terrorisme.

Du terrain à la mise en perspective, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement Robert D. Kaplan, journaliste américain spécialisé en géopolitique et théoricien conservateur dans la Revanche de la géographie. Avec ce premier ouvrage traduit en français, le public découvre enfin ce journaliste iconoclaste dont les thèses sur le conflit yougoslave, la démocratie européenne ou l’affrontement avec la Chine ont suscité des débats passionnés.

Et il faut dire que les choses ne traînent pas. Après quelques chapitres historiques où Kaplan revient sur les grands maîtres à penser de la géopolitique et la géostratégie que sont Halford Mackinder et Karl Haushofer, qui influença Hitler, la Revanche de la géographie met en pièces la politique étrangère américaine de ces quarante dernières années.

S’appuyant sur les cartes à la manière d’une émission bien connue, Robert Kaplan avance certaines théories concernant les conflits à venir dans les vingt prochaines années. Le Moyen-Orient, l’Inde, l’Union Européenne, le Mexique et la Chine sont ainsi passés au crible.

Concernant cette dernière, Robert Kaplan reste convaincu que la Chine représente une menace mais qu’elle « est trop puissante pour être combattue ». Selon lui, sa politique d’armement active et l’accroissement de son budget militaire est avant tout dissuasif. Il revient également sur le rôle que les Etats-Unis sera appelé à jouer dans les prochaines années. Un chapitre très important est consacré à l’Iran dont il pense à juste titre – cette analyse étant d’ailleurs partagé par de nombreux spécialistes – que son réveil et sa domination du Moyen-Orient n’est maintenant plus qu’une question de temps car l’histoire a prouvé par le passé que les différentes civilisations qui se sont succédées sur cette terre ont bâti des empires durables et redoutables.

L’ouvrage pêche parfois par des références trop orientés à droite, trop marquées par une idéologie influencée par des néo-conservateurs comme Jakub J. Grygiel ou le célèbre auteur du Choc des civilisations, Samuel Huntington. A ce titre, l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kisssinger y a apporté toute sa caution morale. La Revanche de la géographie n’en demeure pas moins intéressante car elle permet une mise en perspective de la marche du monde, ce qui fait parfois cruellement défaut à nos dirigeants.

Jérémy Scahill, Dirty Wars : Le nouvel art de la guerre, Lux Editeur, 2014

Robert D. Kaplan, La Revanche de la Géographie : Ce que les cartes nous disent des conflits à venir, Edition du Toucan, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1009, juillet 2014

La Bible qui chante

L’opéra a désormais son ouvrage de référence.

nilsson

Il est un peu lourd à transporter mais n’en demeure pas moins indispensable. Les éditions Ullmann viennent ainsi de publier ce qui ressemble fort bien à l’ouvrage de référence que doit posséder tout mélomane qui se respecte.

Tout y est consigné : les œuvres, les compositeurs, les interprètes, les lieux. Il y a là bien entendu les incontournables : Mozart, Verdi, Wagner, Bellini, Donizetti, Carmen, la Traviata, Tristan et Isolde, la Flûte enchantée, etc. Mais on y trouve également des compositeurs nettement moins connus tels que Stockhausen, Nielsen ou Marschner qui composa Hans Heiling. Et à côté de ces opéras universellement joués, il y a ceux qui ont connu moins de succès ou ont été oubliés tels que Bastien und Bastienne de Mozart ou Vincent de Rautavaraa.

L’ouvrage placé sous la direction d’Andras Batta, directeur de l’académie de musique Franz Liszt de Budapest conjugue tous les goûts, du baroque au moderne en passant par le romantisme. Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók côtoie ainsi le couronnement de Poppée de Monteverdi et La Belle Hélène de Jacques Offenbach. Extrêmement didactique, il permet aux non-spécialistes de comprendre la différence entre les différentes formes d’opéras : regia, bouffe et singspiel et aux plus avertis de découvrir un secret ou une anecdote.

L’ouvrage extrêmement bien illustré rappelle également la genèse de la création lyrique et l’évolution des interprétations des œuvres. Ainsi on apprend que Pavarotti adorait jouer Ernani de Verdi ou que Calaf dans Turandot de Puccini est l’un des rôles les plus héroïques jamais composés. Son côté histoire de l’opéra avec de nombreuses photos d’archives et morceaux de partitions est extrêmement instructif et on retrouve avec plaisir les grandes voix de l’opéra passées (Maria Callas, Birgit Nilsson, Teresa Berganza, Elisabeth Schwarzkopf, Enrico Caruso, Luciano Pavarotti, Placindo Domingo, Ruggerio Raimondi).

Cet ouvrage est véritablement un puits sans fond. En tournant chaque page, c’est une histoire, un air, une voix, un lieu, une passion, une rencontre ou un souvenir qui se rappelle au lecteur qui ne peut que refermer cet ouvrage à regret. Pour aussitôt, l’ouvrir à nouveau.

Andras Batta, Opéra : Compositeurs, œuvres, interprètes, Ullmann éditions, 2013
Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1009, juillet 2014